Contempler et décloisonner… les «Verbes de l’été».
Il y a le labeur visible et le labeur invisible. Contempler, c’est labourer ; penser, c’est agir. Les bras croisés travaillent, les mains jointes font.
- Victor Hugo
Celui qui est la Parole est devenu homme et il a vécu parmi nous. Nous avons contemplé sa gloire…
- Jean 1:14
La roue des saisons n’ayant pas l’option « pause », voici à nouveau le moment de sortir « Les verbes de l’été »1. Deux verbes, cailloux tirés du torrent du langage, polis, lustrés par des millénaires d’utilisation ; deux germes de méditation pour ensemencer le jardin intérieur de nos pensées.
Contempler…
Nous sommes dotés d’yeux, ils nous permettent d’appréhender une partie de la réalité extérieure, grâce à eux nous pouvons voir, regarder, observer, scruter… contempler, c’est du moins ce qui était prévu par le « Fabricant ».
Usés par les multiples écrans qui accompagnent nos journées professionnelles ou de loisirs nous sommes devenus aveugles. Nos yeux ont dégénéré en sonars imprécis utilisés simplement afin d’éviter d’entrer en collision avec les objets ou les personnes qui croisent notre chemin. Nous devons réapprendre à voir, comment tisser des liens, bâtir des relations si nous ne voyons plus ceux avec qui nous vivons, comment ne pas être abattus si nous ne percevons plus la beauté qui subsiste dans notre monde malade et abimé.
Mais, contempler demande un ingrédient supplémentaire, une denrée inestimable d’une grande rareté, tellement précieuse qu’elle ne peut s’acheter, je veux parler, vous l’avez bien compris, du temps. La contemplation, orfèvre de talent, incruste les pierres précieuses du regard attentif sur une trame de temps ourlée de patience.
La contemplation, orfèvre de talent, incruste les pierres précieuses du regard attentif sur une trame de temps ourlée de patience.
Les technologies les plus développées, les grandes fortunes de la planète, les dictateurs, les chefs de guerre, les voleurs, les violents de tous poils ne peuvent acheter ou voler le bijou de la contemplation. Ils peuvent y accéder, tout comme les plus humbles des humains, en se dépouillant de leur arrogance et en utilisant une partie du temps qui leur est octroyé pour regarder, observer, questionner et se laisser remplir par l’objet de leur contemplation, une œuvre d’art, un oiseau, une fleur, un visage, quelques mots ou notes de musique… elle est la seule façon de s’approprier la beauté pour en tirer des nutriments d’âme.
La contemplation intérieure est sujette aux mêmes règles. La lecture rapide et superficielle d’un texte et de son commentaire prémâché, l’écoute moyennement attentive d’un discours, la répétition d’une prière routinière ne peuvent nous nourrir. Ils sont capables, au mieux, de satisfaire notre conscience en lui communiquant un petit bien-être, celui du devoir accompli.
La contemplation nous ouvre des domaines inconnus, des paysages jamais contemplés, des horizons nouveaux, elle infuse tout notre être, nous donne les calories spirituelles nécessaires pour poursuivre notre cheminement, elle nous permet de nous imprégner des pensées, de la nature, de la beauté de notre Dieu.
Décloisonner...
Cependant, pour que la contemplation accomplisse son œuvre en nous, il faut qu’elle soit accompagnée d’un deuxième ingrédient, le décloisonnement. Rien de nouveau sous le soleil, au temps de Jésus, les humains débattaient pour savoir où et comment il fallait adorer, sur cette montagne ou sur une autre…
Les choses n’ont pas changé.
L’éducation, laïque et religieuse, nous a enseigné depuis notre plus jeune âge le cloisonnement de la pensée. Les matières scolaires sont dissociées les unes des autres, nous avons compris qu’une parole choquante un dimanche matin dans un bâtiment doté d’une croix est tout à fait appropriée le mardi soir autour d’un verre. Une action qui ne pourrait être assumée en plein soleil sur la place publique passe sans problème au milieu de la nuit dans un lieu obscur et bruyant… En conséquence, nous avons développé, des attitudes, des valeurs, des codes et un langage qui diffèrent selon le lieu et le moment.
Les efforts que nous demande cette adaptation permanente, la peur d’être démasqués ou de se tromper de costume et de ton, affectent nos vies, anéantissent toute authenticité et par conséquent rendent toutes vraies relations impossibles. Cerise toxique sur un gâteau empoisonné, le cloisonnement neutralise en grande partie les effets bénéfiques de la contemplation.
Si la contemplation se vit uniquement dans la petite pièce exiguë que nous attribuons à notre activité religieuse, elle n’aura aucune possibilité de nous transformer, elle pourra au mieux améliorer la décoration de cette chambre obscure.
Même si pour des raisons d’ordre et d’efficacité, nous avons organisé rationnellement notre vie intérieure, assurons-nous qu’il y a de grandes portes et de larges baies vitrées entre les différents lieux de stockage afin que ce que nous vivons dans la contemplation illumine la totalité de notre vie intérieure.
Nous pourrons ainsi être transformés dans notre entièreté et si nous avons eu la sagesse d’installer aussi des ouvertures vers l’extérieur, nous deviendrons des photophores2, diffusant autour de nous un peu de la clarté bienveillante de la lumière d’en haut.
Je nous encourage donc à mettre dans les poches de nos habits d’été les petits cailloux de la contemplation et du décloisonnement. Sortons-les en toutes occasions, utilisons-les dans toutes les situations.
Relevons, durant cette saison estivale, ce double défi, des yeux intentionnellement grands ouverts dans une âme unifiée, éclairés et nourris des délices de la contemplation.
Philip
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1 Le succès de la formule « Les verbes de l’été » utilisée en 2022, m’a encouragé à relancer l’expérience.
2 Photophore: élément de décoration en verre dont la forme creuse permet d’accueillir une bougie, aussi utilisé comme synonyme pour lanterne.
© Tous droits réservés: Philip Ribe