pensees du mois ligne w

 

Le face-à-face…

Je prétends regarder face-à-face le gouffre.
- VICTOR HUGO

 L’amour c’est la présence, le face-à-face ; le reste est désir.
- RINA LASNIER

… j’ai vu Dieu face-à-face, et mon âme a été sauvée.
- GENESE 32:30

Face à face - Deux hommes dans un canoë

L’été est à portée de main. Jours plus longs, souvent plus ensoleillés, attitude plus décontractée, plus d’occasions de prendre l’apéro sur la terrasse, de traîner dans le jardin, de bousculer un peu la routine. C’est aussi le temps des vacances, du dépaysement…
Et si cette année, l’été apportait aussi la possibilité du « face-à-face » ?
Je ne propose pas de remplacer la chaise longue, le ski nautique, la randonnée, les rencontres entre amis, la plongée ou le paddle par des semaines de retraite au fond d’une grotte, mais de mettre intentionnellement dans notre planning des «moments tranquilles». D’inscrire, sur l’une ou l’autre des pages de notre agenda, de petites oasis d’intimité, des enclaves protégées de rêvasserie orientée, des réserves naturelles de solitude organisée.
Face au vide de l’âme et au mal-être qu’il diffuse, nous avons, en caricaturant un peu, trois réponses possibles. La fuite, le déni ou le face-à-face.
Nous avons tous appris à fuir devant les exigences «déraisonnables» de notre âme qui nous supplie de prendre soin d’elle. Fuite dans un nouveau projet, une nouvelle activité, un nouveau défi, une nouvelle relation…choses qui ne sont absolument pas mauvaises en elles-mêmes, mais qui le deviennent lorsqu’elles se transforment en cache-misère, en trompe-l’œil, en emplâtre sur une âme de bois.
Nous devrions pourtant le savoir, si nous tournons le dos à nos peurs, si nous cherchons à les fuir, elles nous poursuivent et prennent de l’ampleur. Lorsque finalement elles nous rattrapent, parce qu’elles finissent toujours par nous rattraper, elles sont devenues monstrueuses.

Le déni fait lui aussi partie des mécanismes de défense que nous connaissons tous, nous l’utilisons régulièrement. Refuser de nommer ce qui nous trouble, prétendre que tout va bien, en tout cas pas si mal, ou pas plus mal que la plupart des gens. Rationaliser, relativiser, minimiser, positiver, autant de façons de faire l’autruche, de refuser d’aborder ce qui nous mine silencieusement de l’intérieur.

Et puis, il y a le face-à-face. Le terrifiant, l’effrayant, le redouté face-à-face.
Il demande beaucoup de courage, une bonne dose de détermination et un vrai désir d’authenticité. Le face-à-face ne s’improvise pas, il n’arrive pas par hasard, il ne nous tombe pas dessus sans que nous le voulions.
Il a besoin d’un espace-temps consacré, d’une clairière débroussaillée spécifiquement pour lui dans la jungle de nos occupations, de nos activités et autres babioles qui encombrent notre vie comme les bibelots la boutique d’un antiquaire.
Ensuite, dans le silence et la solitude de ce lieu préparé, il faut trouver la hardiesse de se mettre à nu, totalement.
Lorsque cette étape est franchie, il faut encore faire quelques pas, s’avancer jusqu’à l’extrême limite de l’abysse intérieur qui nous tyrannise, les orteils au bord du gouffre, sans aucune protection, sans aucun artifice, dans la fragilité de notre dépouillement, de notre impuissante nudité.

Les préliminaires sont terminés, le face-à-face peut commencer.
C’est un duel implacable, une lutte brutale avec le désir de fuir, l’envie de parler, de se justifier, de faire diversion. Il faut affronter le silence, la peur qu’il génère, et fermement s’ancrer dans une seule résolution, une prière d’une simplicité enfantine et pourtant d’une violence inouïe :
«Mon Dieu, je ne vais pas tricher, si tu ne me remplis pas, je resterai vide».
Pas de plan B, pas de négociation, pas de chantage non plus, Il n’est pas un distributeur automatique de bénédictions.

Tout est en place, et comme à la pêche à la ligne, il ne reste plus qu’à attendre. Soyons honnêtes, il arrive que nous ressortions de ce face-à-face aussi vides et plus épuisés que lorsque nous l’avons tenté. Cela fait partie des risques, des possibilités, mais cela rend encore plus beaux, encore plus forts, encore plus éclatants les moments où le miracle s’accomplit.

Miracle du basculement. La vacuité se fait plénitude. Parfois brutalement, parfois de façon progressive, le flot d’amour, de bienveillance, de lumière nous submerge. La certitude de sa présence nous remplit. Le vide n’existe plus, il reviendra bien sûr, mais dans la gloire du présent, la magie de l’instant de grâce, il a été anéanti. Nous sommes imprégnés, pénétrés, saturés par le contentement, rassasiés, repus, reposés — équipés pour remonter vivre quelque temps à la surface, jusqu’à la prochaine fois.
Je nous souhaite donc, pour cet été — et pour plus longtemps si affinités — le courage et l’envie du face-à-face.

Philip

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© Tous droits réservés: Philip Ribe

 


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