On est de son enfance comme on est d’un pays…
On est de son enfance comme on est d'un pays…
- ANTOINE DE SAINT-EXUPERY
Quand naissent les « je me rappelle ", on revient toujours d'où l'on vient…
- SERGE LAMA
Vraiment je vous l'assure, si vous ne devenez pas comme de petits enfants vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.
- MATTHIEU 18.3
Nous vivons une bien triste époque: les enfants, à dix ans, sont déjà désabusés; mais en même temps, vieillir est presque un crime, tout au moins une infamie. Nos contemporains sont deux fois volés.
On écourte toujours plus leur enfance en les propulsant, sans protection ni préparation, dans un monde d'une extrême violence. Un monde dans lequel on les presse de s'insérer, coûte que coûte, pour devenir une petite partie de l'immense machine à produire et consommer qui dévore insatiablement l'humanité.
Et puis on les vole une deuxième fois, en instillant de toute part l'idée que vieillir est honteux, méprisable, répugnant.
Ceux qui n'ont ni le courage ni la force de s'opposer à cette double tyrannie passent à côté des plus belles offrandes que l'existence met à leur disposition.
Il est intéressant de souligner que le premier et le troisième âge ont énormément de points communs, avec toutefois une immense différence: ce qui est naturel chez les gamins est retrouvé et cultivé par les séniors qui acceptent de regarder en face les grains dans le sablier.
Le présent: fondamental pour les petits puisqu'ils ne connaissent pas autre chose, il est précieux pour les aînés parce qu'ils savent qu'il est extrêmement fugitif et ne revient pas.
L'émerveillement: instinctif chez les bambins, il est sorti de l'oubli sur le tard par ceux qui ont enfin compris ce qui est vraiment important.
La confiance: naturelle et spontanée envers « les grands qui pourvoient à leurs besoins », souvent rebaptisée « amitié », elle est cultivée et chouchoutée par ceux qui ont appris, désormais, que se méfier de tout et de tous conduit à la solitude et à l'isolement.
L'enthousiasme: Conséquence de l'énergie inépuisable des petites crapules, il renaît, lui aussi, de braises qui semblaient éteintes lorsque, débarrassés des chimères de l'ambition et du succès, on redécouvre la beauté de la simplicité.
Et ceci n'est pas une liste exhaustive des forces qui rapprochent, comme la limaille de l'aimant, ceux qui viennent d'entrer dans ce monde et ceux qui sont en train de préparer leurs bagages pour passer à celui d'après.
Notre vie intérieure n'échappe pas à ces règles. Après la spontanéité des débuts de notre rencontre avec celui qui est la Vie, nous tombons facilement dans l'activité, pour ne pas dire l'activisme. Dieu, les anges et les « vieux " peuvent dormir sur leurs deux oreilles, nous sommes là. Le monde va enfin tourner comme il faut, nous allons tellement faire, et bien faire, que plus rien ne sera comme avant.
Pourtant l'empilement inéluctable des saisons finit par venir à bout de notre énergie débordante, nos dents raclent moins le carrelage, nos baskets nous serrent moins aux chevilles, nous n'usons plus les miroirs. Cette évolution pourrait engendrer de la tristesse, de la fatigue, du découragement, pour ne pas dire de l'amertume et de la jalousie envers ceux qui nous suivent et dont la soif de faire semble nous pousser sur le bas-côté.
Mais cela peut être l'occasion magnifique de retrouver l'enfance « comme on retrouve un pays ». S'approcher enfin de notre Dieu, non pas comme son « presque égal», mais comme un tout petit, sans puissance, incapable de subvenir à ses besoins. Venir à lui forts de notre faiblesse, libérés de nos illusions, de notre fièvre d'indépendance. Consentir enfin à son amour avec une conscience déculpabilisée de son impuissance à bien faire. Le moment de nous réapproprier ce dont nous jouissions à nos débuts, sans savoir que c'était un trésor, que c'était « le » trésor, dépendre de lui pour toute chose.
Finalement ramenés à notre stature d'enfant, celle qui nous permet de franchir les portes du Royaume sans nous fracasser le front contre son linteau. Heureux et comblés d'être, enfin et pour toujours, confortablement assis sur ses genoux.
Le sale gosse en paix, Philip.
PS: Si vous n'avez pas, au minimum, quinze ans de plus que l'âge du Christ lorsqu'il mourut, ne soyez pas surpris si cette méditation n'a pas trop de sens pour vous. Ne la jetez pas ! Mettez-la de côté et ressortez-la dans une vingtaine d'années.
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© Tous droits réservés: Philip Ribe