De poussière et d'éternité…
Il a mis dans nos cœurs la pensée de l’éternité, bien que nous ne puissions embrasser son œuvre dans son ensemble….
- Ecclésiaste 3:11
Né de la poussière et d’éternité, j’ai vu la lumière…
- Noël-André Chefneux
Un homme rentre chez lui, par une nuit d’encre, l’une de ces nuits où l’on ne peut même pas voir sa main si on la met devant ses yeux. Il n’est pas inquiet, il a emprunté des centaines de fois ce sentier qui longe la rivière ; une petite heure de marche, et il apercevra les lumières de sa maison. Il avance d’un bon pas, la forêt sur sa droite, le courant silencieux à sa gauche. Il bute soudainement sur un obstacle et se retrouve à terre. Il n’y a normalement aucun rocher ou racine sur ce chemin étroit, mais bien entretenu. Il s’accroupit pour se relever, sa main se pose sur ce qui l’a fait trébucher, une besace de grosse toile, remplie de… il glisse sa main à l’intérieur et en sort une poignée de petits cailloux. Déçu, il se redresse et les jette dans l’eau, les petits « ploufs » l’amusent.
Sans trop y réfléchir, il met la besace sur son épaule et tout en marchant, lance les pierres dans l’eau, une à une ou par petite poignée, semant dans l’obscurité des graines infertiles. Pris à son petit jeu, il est surpris d’apercevoir, déjà, les lumières de sa maison. Il ne lui reste plus qu’un unique caillou dans la main. À la lueur du réverbère qui illumine son jardin, il regarde la petite pierre, pousse un cri de surprise et d’horreur, scintillant dans sa paume, ce n’est pas un banal caillou, mais un diamant…
Une année vient de s’achever et nous avons, toutes et tous, utilisé les 526 600 minutes qui se trouvaient dans la besace reçue au premier janvier dernier.
Une partie, heureusement, a été bien employée, de mille et une manières. Ces précieux fragments de temps ont été échangés contre de belles relations, des instants de conscience du présent, de la présence de ceux qui nous aiment et que nous aimons.
Certains ont été dépensés pour des activités qui ont du sens, pour prendre soin des nôtres et des autres, pour prendre soin de nous, de notre vie profonde, dans le secret de notre intimité.
Nous en avons aussi troqué une partie pour des moments de reconnaissance, d’admiration, de contemplation de ce qui est beau, de ce qui est authentique, de ce qui nous émeut profondément, même si nous ne savons pas toujours l’expliquer.
J’espère qu’une part consistante de ces éclats de temps a été offerte pour le développement d’un Royaume invisible et éternel. Un Royaume qui nous a précédés, auquel nous appartenons et qui cependant est en nous. Mais si nous sommes honnêtes, une partie de nos diamants temporels est probablement partie dans la rivière, perdue à jamais sans rien avoir acquis de valeur en échange.
Combien en avons-nous gaspillé pour satisfaire notre ambition, notre égoïsme, notre soif de pouvoir, d’approbation, pour nous construire un royaume sur terre, nous qui sommes — que cela nous plaise ou pas — des voyageurs forcés d’avancer jour après jour avant de la quitter définitivement…
Nous avons pourtant au fond de nous, si nous ne l’étouffons pas, si nous acceptons d’ouvrir les yeux, une aspiration profonde à ce qui est éternel, qui ne s’achète ni avec de l’argent, ni avec le pouvoir, mais avec du temps sagement dépensé.
Nous sommes un improbable mélange d’argile et d’immatériel, de fini et d’infini, une étrange émulsion, d’esprit et de matière. Il peut nous être si facile, si naturel de dilapider nos diamants-temps pour des édifices de boue, de béton et d’acier, de faux trésors technologiques, parfois utiles, mais souvent futiles et chronophages.
Quoiqu’il en ait été de l’année écoulée, nous avons reçu une nouvelle besace, pour l’année à venir. La culpabilité n’a aucun pouvoir de nous faire progresser. Si notre bilan nous semble négatif, s’il peut en tout cas être amélioré, ne nous engageons pas dans de grandes résolutions que nous serons pour la plupart incapables de tenir, mais reprenons cette très ancienne prière absolument pas usée: Initie-nous à bien compter nos jours, nous ferons venir le cœur de la sagesse. Rassasie-nous, au matin, de ton chérissement ; nous jubilerons, nous nous réjouirons, en tous nos jours.1
Heureux et fier d’avoir dépensé une partie de mes diamants en votre compagnie l’an dernier, réjouis à l’idée de continuer de le faire dans cette année encore toute neuve qui s’ouvre devant nous.
Philip
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1 Psaume 90:12&15 Traduction Chouraqui
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