La vraie spiritualité
11. Un nouveau départ
Francis A. Schaeffer
Editions La Maison de la Bible
Au chapitre précédent nous avons déjà utilisé un vocabulaire qui implique bien d'une part la possibilité d'une guérison intérieure, mais d'autre part, son caractère partiel, c'est-à-dire imparfait.
Les miracles sont possibles. La Bible en donne un témoignage très clair, et notre expérience le confirme. Nous avons tous eu l'occasion de voir Dieu intervenir à un moment précis de l'histoire par des guérisons miraculeuses totales, tant physiques que psychologiques. Mais la Bible et notre expérience nous montrent également que si Dieu guérit parfois, il ne le fait pas de manière systématique. Ce n'est pas toujours une question de foi. Dieu est une personne avec ses propres plans. L'absence de guérison ne relève pas nécessairement d'un manque de foi.
Même lorsqu'un malade est complètement guéri par Dieu d'une certaine maladie, il n'en acquiert pas pour autant une santé parfaite. Prenons l'exemple d'une personne entièrement remise d'une hernie en réponse à la prière. Dieu a accompli ce miracle en réponse à la foi et selon son dessein. Mais cela ne veut pas dire que cette personne jouira désormais d'une santé physique parfaite. Elle peut très bien avoir une migraine le soir même! Ce miracle a donc une portée partielle, c'est-à-dire relative. Il en est exactement de même dans le domaine psychologique. Une personne guérie d'un désordre mental n'en acquiert pas pour autant une santé psychique parfaite pour le reste de ses jours. Je pense souvent à Lazare après sa résurrection. Il lui est certainement arrivé d'être encore malade, ou même peut-être de subir des moments de dépression et, ne l'oublions pas, il a dû finir par affronter la mort à nouveau. Les conséquences de la Chute se perpétueront jusqu'au retour de Christ.
Il nous faut savoir accepter notre limitation physique, morale ou psychologique, de crainte de voir nous échapper la part que nous pourrions obtenir. A cet égard, le chrétien comme les autres se trouve en danger de vouloir être Dieu; ce désir se traduit par la mise en place, consciente ou non, de normes excessives, basées sur la valeur exceptionnelle attribuée à sa propre personne. Une telle attitude provient parfois de nous-mêmes, parfois de notre entourage. Une famille peut nourrir des ambitions exagérées à l'égard d'un enfant, et attendre de lui un comportement ou des performances supérieures, pour la seule raison qu'il est l'un de leurs enfants. Elle l'accable par là d'une charge écrasante. Ainsi la plainte: "Je ne suis pas comme les autres", veut en réalité souvent dire : "Je veux être meilleur que les autres mais je n'y arrive pas". Veillons à être sincères dans ce domaine. Il est si facile pour nous, chrétiens, de nourrir le désir secret d'être Dieu, et de s'exclamer en nous-mêmes: "Etant ce que je suis, je devrais être supérieur!". En refusant d'accepter nos limites et nos luttes psychologiques, nous renions la doctrine de la Chute et nous élaborons un nouveau romantisme. Ainsi, par nos efforts désespérés pour atteindre l'inatteignable, nous perdons même l'essentiel de ce que Dieu veut nous donner.
Evitons de nous placer au centre de l'univers et d'exiger que tout se soumette à nos propres normes, établies d'après notre soi-disante supériorité. Gardons-nous de raisonner: "Il faut que je sois ainsi, sinon il ne me reste qu'à sombrer dans le désespoir." Certaines personnes sont totalement prisonnières d'un tel état d'esprit; nous en avons tous quelques traces au fond de nous-mêmes. Nous oscillons comme un balancier, tantôt persuadés de notre supériorité, tantôt plongés dans le désespoir.
Loin de se confiner au seul domaine psychologique, ce genre d'attitude se manifeste dans toutes les relations humaines. Il n'est pas besoin d'avoir une longue expérience pastorale pour rencontrer des couples qui refusent ce qui est à leur disposition parce qu'ils se sont fixés de fausses normes de supériorité. Ils poursuivent un but utopique dans leurs relations, soit sentimentales, soit physiques, et si leur vie de couple reste en deçà des normes fixées par eux, ils laissent tout tomber. A leurs yeux, ils doivent absolument vivre l'histoire d'amour du siècle! Cette idéalisation est sans nul doute à l'origine de nombreux divorces et remariages. Tel couple refuse d'avoir moins que l'idéal sentimental fixé, et oublie la réalité de la Chute; tel autre couple veut connaître une expérience sexuelle qui surpasse ce qu'autorise notre condition humaine limitée par les effets de la Chute. Un mariage éclate soudain en mille morceaux, les conjoints se séparant et détruisant une union pourtant possible et belle, simplement pour s'être fixés dans leur orgueil, des normes trop élevées. Ils refusent le bon mariage à portée de leurs mains.
Nous attendons la résurrection de nos corps, le moment où l'œuvre parfaite de Christ agira pleinement sur l'être humain tout entier. Mais avant le retour de Christ, gardons-nous d'exiger "la perfection ou rien", car c'est le "rien" que nous obtiendrons, tant dans le domaine psychologique que dans tous les autres domaines de la vie.
Ceci dit, ne tombons pas dans l'autre extrême. N'attendons pas moins que ce que Dieu veut nous donner, à nous, êtres rationnels et moraux, créés à sa propre image. Souvenons-nous de la clochette de Pavlov, qui a marqué le début de l'expérimentation des réflexes conditionnés. Pavlov, avant de nourrir son chien, agitait sa fameuse clochette. Après un bon conditionnement, le chien se mettait à saliver à chaque tintement. Cette réaction est normale pour les chiens, car elle correspond à leur nature canine, créée telle par Dieu. Mais malheur à l'homme qui se met à agir de la même façon, comme s'il n'avait pas d'autre choix, car il se méprendrait sur sa juste place dans la création. Nous faisons partie de la catégorie des créatures créées à l'image de Dieu, morales, mais aussi rationnelles.
Chez l'homme, le réflexe conditionné occupe une place limitée. Lorsque j'étudie ma structure physique, je m'aperçois qu'elle comporte des réactions de type mécanique : dans la tension de mes muscles, par exemple. Mais l'homme n'est pas qu'une simple mécanique. Le traiter comme tel, c'est faire fausse route, et le réduire à un ensemble de réflexes psychologiques conditionnés, c'est commettre une erreur fondamentale. Aussi, le chrétien qui envisage de soigner des problèmes psychologiques doit se pourvoir d'une bonne connaissance de la nature humaine. Je suis créé à l'image de Dieu, je suis donc rationnel et moral. Par conséquent mon comportement sera conscient et responsable. Mon bien-être (et celui d'autrui) ne saurait provenir du seul jeu de réflexes. Agir ainsi reviendrait à renier les doctrines que nous affirmons. Au cœur de tout problème psychologique, il y a un aspect conscient, car c'est ainsi que Dieu a fait l'homme.
Notre problème psychologique fondamental réside dans notre ambition d'être ce que nous ne sommes pas, et de porter ce que nous ne pouvons pas porter. Avant tout, nous refusons d'être ce que nous sommes: des créatures devant leur Créateur. Imaginez que vous rencontrez Atlas portant le monde sur ses épaules. En mythologie classique, il le fait sans peine, puisqu'il est Atlas! La rencontre a lieu quelque part sur la côte nord-africaine au pied des montagnes qui portent son nom. Vous voyant venir, Atlas s'écrie: "Tenez, portez le monde un instant." Vous vous retrouvez écrasé. Vous êtes écrasé parce que vous êtes incapable de porter ce que le géant vous a confié. L'homme, psychologiquement parlant, s'évertue à porter le monde sur ses épaules lorsqu'il s'efforce de se mettre au centre de l'univers et refuse sa condition de créature. C'est tout simple : il se retrouve écrasé pour avoir essayé de porter ce que Dieu seul peut porter, car Dieu seul est infini.
II y a diverses façons d'être écrasé. Un pneu usé gonflé à l'excès éclate. Il éclate sous l'effet de la pression, mais la rupture proprement dite se fait à l'endroit de l'usure. Depuis la Chute, nous avons tous des points faibles. Pour certains, la faiblesse est plutôt physique, pour d'autres, elle est plutôt psychologique. Si nous portons une charge au-dessus de nos forces, il y aura éclatement, et cela précisément à l'endroit de nos points faibles. La plus grande pression exercée sur nous provient de notre soif d'être le point de référence de toutes choses, soit parce que nous refusons d'accepter l'existence de Dieu, soit parce que tout en l'acceptant intellectuellement, nous refusons de nous courber devant lui dans la vie pratique de tous les instants.
Aux conséquences psychologiques de la révolte de l'homme, la doctrine chrétienne apporte des réponses rationnelles aussi bien que des solutions pratiques. En d'autres termes, la guérison psychologique est liée à une juste compréhension de la doctrine chrétienne. L'Evangile de Christ apporte une réponse théorique, mais aussi pratique, dans le cadre de l'unité de l'enseignement biblique, notamment en ce qui concerne la relation créature-Créateur et la relation racheté-Rédempteur.
La peur est l'une des conséquences psychologiques de la révolte de l'homme. Elle peut revêtir des formes multiples, mais se manifeste en général sous trois aspects: la peur de l'impersonnel, la peur du non-être et la peur de la mort. D'autres formes de peur peuvent nous venir à l'esprit, mais beaucoup entrent dans l'une ou l'autre de ces catégories : de la légère inquiétude aux affres d'un grand désespoir. Parmi ceux qui, à l'époque moderne, ont abouti à une philosophie du désespoir, beaucoup ont traversé les ténèbres de grandes affres. De nombreux psychologues modernes traitent cette peur en conseillant tout bonnement à leurs patients de faire "comme si Dieu était là". Au cours de sa dernière interview, huit jours à peine avant sa mort, C.G. Jung définit Dieu comme "tout ce qui indépendamment de moi-même s'oppose à ma volonté", ou encore "tout ce qui jaillit de l'inconscient collectif qui m'habite". Il conseille alors d'appeler ces forces "Dieu" et de se soumettre à "lui". Autrement dit, d'agir comme si.
Pourtant, à la lumière de l'ensemble de l'enseignement biblique, Dieu est bel et bien là, et ne se limite pas à être une simple projection de l'image du père. Tout le système chrétien se fonde sur la compréhension et l'affirmation de l'existence objective de Dieu. Nous n'avons donc aucune raison de craindre l'impersonnel. Mais pour les hommes sans ce Dieu-là, l'existence se réduit en fin de compte à un simple flux d'énergie ou de particules. Si, par contre, ils se referment sur eux-mêmes et refusent cette conclusion, ils se retrouvent seuls face à une humanité sans visage. Plus leur connaissance de l'humain s'approfondit, plus ils prennent conscience de son caractère anonyme. Il en découle une véritable peur, une peur justifiée de l'impersonnel.
Pour le chrétien cependant, l'existence du Dieu personnel et infini constitue la réponse qui le met à l'abri de la crainte de l'impersonnel.
Il ne s'agit pas d'une simple mise en scène. Si nous vivons à la lumière de la doctrine que nous affirmons croire, cette peur élémentaire disparaît. "Dieu est là", - c'est ainsi que la maman chrétienne rassure son petit garçon effrayé de rester seul dans sa chambre. Il n'y a là rien de complexe. C'est aussi simple et profond que l'existence de Dieu. Le petit enfant craint de rester seul dans le noir, dans un environnement impersonnel. On peut très bien rester avec lui pour le rassurer, mais finalement les parents chrétiens lui diront: "Tu n'as rien à craindre, car Dieu est là." C'est une vérité profonde et elle n'est pas seulement réservée aux enfants. C'est là justement la gloire de la foi chrétienne : que les petites choses soient profondes, et que les choses profondes soient d'une étonnante simplicité.
Ainsi, lorsque la mère enseigne à son enfant que Dieu est à son côté, et lorsque l'enfant en grandissant se rend compte par lui-même qu'il a de bonnes et suffisantes raisons de savoir que Dieu est présent, cette prise de conscience a une signification profonde. Celle-ci se révèlera suffisante tout au long de sa vie, à travers toutes ses pérégrinations philosophiques et lorsqu'il éprouvera les ténèbres de la nuit. A la lumière de l'existence du Dieu de la Bible et de sa nature, telle que nous la révèle l'ensemble de la foi chrétienne, cette conscience de la présence de Dieu n'est sans signification, ni pour le petit enfant dans le noir, ni pour le plus diligent des étudiants en philosophie qui a parcouru le labyrinthe enténébré de la spéculation philosophique.
La deuxième des trois peurs fondamentales est la crainte du non-être. Pourquoi de nos jours tant de personnes sont-elles en proie à une telle peur? Parce que l'homme moderne n'a aucune idée de son origine et que, sans réponse face à la question de l'Etre, il se retrouve finalement dans l'impasse du hasard. De là sa peur du non-être. Mais le chrétien qui tient compte de l'ensemble doctrinal biblique a comme nous l'avons déjà vu, la réponse à cette question. Fort de cet apport je ne connais pas la peur du non-être. J'ai été créé par un Dieu infini et personnel; je lui suis tout à fait extérieur. Je sais qui je suis en tant que créature. Mon existence est bien fondée; il n'y a donc aucune raison, aucune nécessité d'avoir peur du non-être. Je dois craindre l'enfer si je suis en révolte contre Dieu, mais je n'ai pas à craindre le non- être.
La troisième peur fondamentale, la plus criante, est celle de la mort. Je termine par elle parce qu'il saute aux yeux que les chrétiens n'ont pas à l'éprouver, ne devraient pas l'éprouver. Pour le croyant, la vie terrestre se poursuit en ligne continue jusque dans le monde à venir. Le gouffre est franchi à la nouvelle naissance. La mort n'est plus un abîme; nous sommes déjà passés de la mort à la vie. Dans les premiers chapitres, nous avons été témoins, sur la Montagne de la Transfiguration, de la continuité qui existe dans le temps et l'espace. Nous l'avons considéré lors de l'Ascension, lorsque Etienne lapidé contemple Jésus debout à la droite de Dieu, lorsque Paul voit le Seigneur sur le chemin de Damas, lorsque sur l'île de Patmos Jean voit et entend Jésus. Le chrétien devrait donc voir clairement que d'après la doctrine chrétienne, il n'y a pas lieu de craindre la mort.
Abordons maintenant l'aspect pratique de la question. Il faut bien l'admettre: au cœur des tourments psychologiques, ces vérités sont parfois difficiles à appliquer. Mais nous avons un cadre tout à fait rationnel dans lequel nous pouvons agir, penser et nous exprimer; en cela, la situation du chrétien est totalement différente de celle de l'individu en révolte contre Dieu. En période de troubles psychologiques - qu'elle soit passagère ou durable - nous avons besoin de nous aider mutuellement à agir en tenant compte de l'ensemble de l'enseignement chrétien. C'est bien autre chose que d'essayer de travailler à l'aveuglette, sans cadre rationnel. Nous avons à nous adresser la parole, à nous aider mutuellement à réfléchir sous l'éclairage de la vérité du système de pensée chrétien. Celui-ci nous offre un terrain de discussion et de contact solide et sûr. Cette méthode diffère tout à fait de celle du psychologue qui, la pipe à la bouche et bien installé dans son fauteuil, incite son patient à se décharger sur lui de ses peurs, à se confier à sa propre autorité et à sa personnalité; alors que chacun sait pertinemment que le psychologue a lui aussi ses problèmes!
J'aimerais maintenant aborder un autre sujet de conflit et de tension: les sentiments de supériorité et d'infériorité que nous éprouvons à l'égard d'autrui. A l'instar du mouvement d'un balancier, beaucoup d'entre nous passent constamment d'un extrême à l'autre. Etant des créatures sociales, nous sommes portés à nous comparer aux autres. Personne ne vit pour lui seul, sur une île déserte. Ce sujet nous occupera plus tard, quand nous nous pencherons sur la question de la communication avec autrui dans le chapitre consacré aux rapports du chrétien avec son prochain. Nous nous limiterons, ici, aux conséquences intérieures des sentiments d'infériorité et de supériorité que chacun peut éprouver.
Les sentiments de supériorité sont une surestimation de mon statut par rapport aux autres, comme si j'étais une créature à part. Pour le chrétien, dignité et valeur ne reposent pas sur ses relations avec autrui, critère bien trop relatif. En tant que chrétien, je n'ai pas à fonder ma valeur sur mon statut social ni sur la haute opinion que j'ai de moi-même. Valeur et dignité se trouvent dans la présence du Dieu vivant. Ma valeur fondamentale, ma dignité foncière ne dépendent donc pas de ce que les autres pensent de moi. Les problèmes de supériorité se situent ainsi dans un tout autre contexte et je peux les résoudre sans craindre de me déprécier si je modère mon orgueil.
Il en est de même pour l'infériorité. Le sentiment d'infériorité prend le contre-pied du sentiment de supériorité; c'est le retour du balancier une fois que l'on a accroché sa suffisance au portemanteau. Si je prends conscience d'être réellement une créature, je me garderai de caresser l'espoir d'être illimité et infini, ou meilleur que les autres. Je sais qui je suis : une créature. Je me vois à la lumière de ce que je suis, un être créé par Dieu, et à la lumière de la vraie Chute historique. Je comprends donc ce que je suis, et ce que sont tous les hommes. Ce point de départ est tout différent. Nul besoin de nourrir le désir ou l'espoir d'être un jour intrinsèquement supérieur pour éprouver, ensuite, un sentiment d'infériorité parce que je n'y parviens pas. Cette perspective, comme un volet ouvert, laisse entrer à flot la clarté du jour. La doctrine biblique dans son ensemble permet une guérison tout aussi profonde, tant des tensions nées des sentiments de supériorité et d'infériorité, que des sentiments de culpabilité. Chrétiens, agissons par la grâce de Dieu conformément à ce que nous affirmons croire!
Le christianisme présente un autre point fort. Lorsque je sens peser sur moi le poids de ces tensions ou de ces conflits, il y a toujours une solution. Quelle que soit la nature et la gravité de mon péché, quelle que soit ma situation du moment, je ne suis jamais dans une impasse, car le sang de Jésus-Christ peut me purifier de toute vraie culpabilité; et non seulement une fois, mais aussi souvent que nécessaire. Il y a toujours la possibilité d'un nouveau départ, dans un cadre tout à fait rationnel. Remercions Dieu pour cette possibilité sans cesse offerte sur la base de la valeur infinie du sang de Jésus-Christ, répandu sur la croix du Calvaire.
Considérons, enfin, quelques aspects d'une bonne hygiène mentale. Se constituer centre de l'univers est péché; aussi le chrétien est-il appelé à rejeter cette attitude. Cela est non seulement juste, mais surtout important pour sa vie personnelle ici-bas. Je dois conformer mes pensées à celles de Dieu et agir selon sa volonté. Concevoir Dieu, tel qu'il s'est révélé par sa création et surtout par la Bible, c'est avoir une réponse qui permet d'intégrer tous les aspects de la vie, tant sur le plan intellectuel que pratique. Cette réponse ne se trouve nulle part ailleurs. Tout autre fondement que celui-ci me conduit à conclure, avec l'Ecclésiaste, que sous le soleil "tout est vanité". Mais lorsque par la grâce de Dieu je pense selon Dieu, une cohérence intellectuelle devient possible. Je n'ai plus besoin de jouer à cache-cache avec les faits que je n'ose pas regarder en face.
L'unité de ma personnalité, de mon être tout entier est soumise aux mêmes conditions. Je dois soumettre ma volonté à celle de Dieu. La seule réalité sûre pour ma vie, le point de référence essentiel: c'est Dieu lui-même. Paul écrit aux Ephésiens: "Ne vous enivrez pas de vin: c'est de la débauche. Soyez, au contraire, remplis de l'Esprit; entretenez-vous par des psaumes, par des hymnes, et par des cantiques spirituels, chantant et célébrant de tout votre cœur les louanges du Seigneur." (Ephésiens 5:18- 19) Dans ce passage, Paul déclare que le vin est un point d'ancrage inadéquat. Par contre, si le Saint-Esprit est mon point de référence et si, par lui, je suis en communion avec toute la Trinité dont il est l'agent, mon cœur est plein de joie, de paix et de chants. Je n'ai plus besoin de siffler pour me rassurer dans l'obscurité; la louange jaillit de mon cœur dans la nuit. Ce passage parle de vin, mais nous comprenons que la mise en garde peut s'étendre, au-delà du vin et de l'ivresse, à tout ce qui constitue ma référence finale, à la place de Dieu lui-même. Durant ma période universitaire, j'ai ramené au lit plus d'un camarade d'étude ivre, après leur avoir donné une douche froide en pleine nuit pour les dégriser : ils avaient essayé de faire de l'alcool leur point de référence. L'excès ne procure aucune joie véritable et n'offre qu'un point d'ancrage précaire et déficient. Il en est de même pour toute référence autre que Dieu. Il ne s'agit pas d'un simple stratagème théologique ou psychologique. Je suis ainsi fait. Rien d'autre ne pourra combler mon être tout entier, car j'ai été créé à cette fin : aimer Dieu de tout mon cœur, de toute mon âme et de toute ma pensée. Tout autre type de relation est insuffisant, faute d'inclure certaines parties de mon être.
Nombreux sont les points de référence trompeurs, sources d'une paix illusoire, et il est bon de les identifier. Prenons d'abord les divertissements. Comprenons-nous qu'un divertissement même légitime peut devenir à tort notre ultime point de référence, si nous le mettons à la place de Dieu? Il est alors tout aussi nuisible et pernicieux qu'une distraction douteuse. Le sport n'est pas mauvais en soi. Beaucoup de disciplines sportives sont belles, mais si le sport devient le fondement de ma vie et que j'ai pour seul but ici-bas de gagner une seconde sur mon temps de course, je suis perdu.
Cela vaut également pour les biens matériels. L'enseignement chrétien n'a rien contre les biens matériels en tant que tels. La foi chrétienne n'est pas ascétique. Mais il se peut fort que la voiture ou la chaîne stéréo entraîne un chrétien vers le matérialisme. L'homme qui fonde sa vie sur les biens matériels est un authentique matérialiste.
La bonne musique et les arts ne doivent pas non plus constituer notre ultime référence. L'artiste peintre s'efforce de relier sur la toile toutes ses diagonales, ses horizontales et ses verticales, si bien qu'elle procure au spectateur un sentiment de paix et de repos. L'art a sa place et n'est pas mauvais en soi. Mais si vous en faites votre référence absolue et que votre repos dans ce monde dépende finalement de la contemplation d'un ensemble bien équilibré de verticales, d'horizontales et de diagonales, l'art plastique ne peut répondre à cette demande. Il en va de même pour la musique. Elle procure une détente réelle. Il est bien légitime d'écouter une musique qui vous apaise, mais comme ultime point de référence, elle est insuffisante. Une bonne chose peut être aussi destructrice qu'une mauvaise.
Il en est de même du sexe. Il se réduit très souvent à une recherche de quelque réalité dans un monde qui semble absolument vide de sens. Par le sexe, on pense pouvoir "atteindre un sommet" dans un univers qui semble en être dépourvu. C'est faire une erreur grave que de prendre le sexe comme point de référence absolu. Par là je n'entends pas seulement les relations sexuelles illicites, mais également les rapports sexuels légitimes, lorsqu'ils deviennent notre source ultime de bonheur. Ils sont certes destinés à procurer du plaisir et peuvent comme tels être beaux, mais ils ne peuvent donner le sens ultime de la vie. Idolâtrés, ils deviennent destructeurs. La même chose est vraie de la nourriture, qui peut aussi constituer un objectif premier de l'existence.
La recherche intellectuelle offre également un point de référence trompeur. Cette recherche peut certes être à la gloire de Dieu, mais de nos jours, elle n'est plus, dans bien des cas, poursuite de la vérité, mais un simple jeu, un jeu plus passionnant que le ski ou les échecs. A l'Abri, nous croyons que la foi chrétienne offre véritablement des réponses intellectuelles et que toute question sincère mérite une réponse honnête. Mais il ne faut pas faire de cette quête intellectuelle une fin en soi, car Dieu seul est le point de référence ultime. Même un chrétien peut accumuler de plus en plus de questions intellectuelles entre lui et la réalité de sa communion avec Dieu. La saine doctrine elle-même peut être un fondement trompeur. De nos jours, la théologie est souvent tenue pour un jeu de nature supérieure, tout comme la réflexion intellectuelle. C'est un exercice mental des plus passionnants. Si j'étais incrédule, incapable de trouver le sens de l'existence, et que j'aie à choisir, dans toute la gamme philosophique que je connaisse, une distraction pour combler le vide de ma vie, je ne pourrais pas trouver de jeu plus excitant que le sport théologique. Presque toute la théologie libérale moderne n'est qu'un jeu, une savante jonglerie. Même la doctrine orthodoxe peut devenir pur intellectualisme, constituer une fin en soi et nous séparer par là de Dieu, au lieu de nous en rapprocher comme elle le devrait. Toute organisation religieuse - même de bonnes et véritables églises, même les programmes les mieux appropriés - devient du poison si elle représente notre but ultime.
Ces points de référence fallacieux peuvent paraître de prime abord satisfaisants; ils finissent cependant par se révéler insuffisants, car certaines aspirations humaines sont négligées. Je me les représente souvent comme une poubelle dans laquelle on essaierait d'introduire un homme. Le récipient s'avère trop petit, aussi appuie-t-on de toutes ses forces pour faire entrer l'individu tout entier, mais sa tête persiste à dépasser. Alors notre ami est extrait de la poubelle, puis comprimé dans l'autre sens, mais cette fois ce sont ses jambes qui n'entrent pas. Il est ressorti à nouveau pour être compressé d'une autre manière, mais alors ses bras débordent. Malgré tous les efforts, l'homme n'entre jamais tout entier dans la poubelle: celle-ci n'est tout simplement pas assez grande. C'est là le défaut de toute fausse référence. Dieu nous a créés à son image et dans un but précis; un point d'ancrage limité lésera toujours certains aspects de l'individu. Sur le plan psychologique, cela implique de nouvelles divisions de la personnalité et la nécessité de trouver une autre échappatoire. Le chrétien qui s'attache à tous ces faux points d'appuis en ressentira les conséquences au ciel lors du jugement des croyants; quant au présent, ils attirent sur l'enfant de Dieu la discipline de son tendre Père, car il l'aime et veut l'attirer à lui.
Mais il y a plus. Lorsque la tendre main du Seigneur me châtie, le préjudice n'affecte pas seulement ma vie future ni ne se limite à ma vie présente extérieure; je le subis aussi à l'intérieur de moi-même, dans le monde de ma pensée. En plus de ma vie future, et de ma relation présente avec le Dieu d'amour, c'est ma relation avec moi-même qui est affectée.
De nos jours, nous sommes plus que jamais conscients des réalités psychiques et des problèmes psychologiques. Je l'ai déjà souligné, les psychologues modernes ont de par leur expérience un aperçu très valable de la question. Ils fournissent souvent de bons éléments de réponse, qui demeurent toutefois insuffisants faute d'une base solide. Dans la mesure où les hommes agiront selon l'enseignement de la Parole de Dieu et mettront en pratique ses commandements et ses instructions, leur base psychologique se révèlera satisfaisante. Dieu est bon pour son peuple. Plus un homme vit à la lumière des commandements de la révélation biblique, plus son fondement psychologique est solide. Trouvez-moi un pasteur fidèle dans un village et je vous montrerai qu'il sait traiter les problèmes psychologiques selon l'enseignement de la Parole de Dieu, même s'il n'a jamais entendu prononcer le mot psychologie ou s'il en ignore le sens. Il vaut mieux avoir une connaissance bien fondée et correcte de la nature de l'homme et du but de son existence, sans toutes les subtilités de la psychologie, que de maîtriser ces dernières sur fond de vide absolu, sans pouvoir les intégrer dans une vision globale cohérente.
Cette réserve ne minimise pas l'importance de se tenir au courant des détails que nous révèle la science; mais psychologie ou non, il n'y a pas de véritable réponse au désarroi profond de l'homme, à son accablement, en-dehors de la relation Créateur-créature, de la compréhension de la Chute, et de l'œuvre substitutive de Jésus-Christ accomplie dans l'histoire.
Si je refuse de reconnaître ma place de créature face au Créateur, et que je ne me consacre pas à son service, je commets un péché. Comment trouver ma joie en Dieu en dehors de ma nature et de ma condition réelles? Toute autre attitude n'apportera que détresse et tourment pour la personnalité malheureuse et divisée qui est la nôtre depuis la Chute. Le seul moyen de connaître une réelle vie de plénitude, c'est de vivre instant après instant par la foi, en s'appuyant sur la mort substitutive du Christ, dans la puissance de l'Esprit Saint. C'est aussi le seul moyen d'être en paix avec soi-même, car c'est alors seulement que l'on renonce à porter des fardeaux trop lourds pour soi. Vivre autrement c'est rejeter son havre de repos, le mieux-être psychologique dont peut jouir tout chrétien.
Cette manière de vivre n'a rien d'impersonnel. Je n'agis pas "comme si" je déchargeais mon fardeau sur un objet neutre et indifférent; bien plutôt, je réponds à l'appel du Créateur infini et personnel exprimé en 1 Pierre 5:7: "Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car lui-même prend soin de vous." Il s'agit simplement d'accepter l'invitation prononcée par le Dieu infini et personnel de rejeter nos soucis sur lui, et non pas sur une quelconque formule mathématique ou sur une projection mentale. C'est vraiment tout le contraire d'une situation impersonnelle! Jésus dit: "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos." (Matthieu 11:28) Cette exhortation, loin d'être un appel adressé au seul non-chrétien de venir à Christ, est aussi une invitation permanente adressée au chrétien. Jésus nous demande de nous décharger de tous ces soucis, non sur quelqu'un d'autre, mais sur lui-même. Dès que je saisis cette nuance, je n'ai plus à avoir peur. Ne pas reconnaître que nous craignons souvent de nous mettre au service de Dieu par peur des conséquences serait, je crois, manquer d'honnêteté. Mais la peur disparaît lorsque nous considérons celui devant qui nous nous tenons. Nous jouissons d'une relation vivante avec un Dieu vivant qui nous aime et qui, dans la mort de Jésus sur la croix, nous a donné la preuve de son amour! Oui, la peur disparaît et nous avons le courage de nous mettre à la disposition de Dieu sans éprouver de crainte. Nous comprenons que nous ne nous livrons pas aux griffes d'un monstre impersonnel, d'un monde hostile ou d'une race inhumaine. Nous nous offrons au Dieu qui nous aime. Ce Dieu n'est pas un monstre, mais notre Père céleste. Il ne nous abandonne pas en pleine bataille comme un soldat qui se défait d'une arme pour en saisir une autre. Jamais Dieu n'agira ainsi avec nous; jamais il ne nous utilisera comme arme sans prendre soin de nous. Dans sa main, non seulement nous serons utiles au combat, mais bien plus, les coups portés contre nous nous rapprocheront de lui parce qu'il est infini et personnel, et parce qu'il nous aime.
Lorsque je soumets ma volonté à Dieu dans la pratique de tous les jours, ma communion avec lui devient celle d'un fils avec son père: "Abba, Père". La communion avec Dieu exige tout d'abord que je le reconnaisse dans la sphère de mes connaissances; mais elle l'exige aussi quant à ma volonté dans les domaines que nous venons d'étudier. Nous sommes justifiés si nous avons accepté Christ comme Sauveur; mais la vie de communion avec Dieu, elle, requiert une continuelle soumission de l'intelligence et de la volonté. Si mon intelligence ne reconnaît pas Dieu et ne se conforme pas à ses pensées, si je ne vis pas en vertu de l'œuvre parfaite de Christ, et si je ne soumets pas concrètement ma volonté à celle du Seigneur, lorsque les flots tumultueux de la vie se brisent sur moi, ma communion avec Dieu est déficiente. Je ne suis pas à ma place: celle de créature dans un monde déchu et anormal. Ces dispositions sont absolument nécessaires, si je veux connaître ici-bas une communion réelle et suffisante avec Dieu. Dans la mesure où je les réalise, une relation de personne à personne s'établit avec Dieu; dans la mesure où je les mets en pratique, je n'éprouve en moi ni aliénation, ni déchirement. Le Créateur, mon "Abba, Père" séchera dès maintenant mes larmes. Telle est la vraie spiritualité au cœur même de ma vie personnelle.