A la redécouverte du Dieu Créateur
Dans un numéro de Promesses, sous le titre "Les insensés pensent: «Dieu n'existe pas", nous avons tracé le développement d'une pensée athée à partir du rationalisme du 17e siècle et cherché à montrer comment, dans un mouvement de cause à effet, elle a contribué à l'émergence des idéologies du 20e siècle avec leur lot de «goulags» et de génocides. Nous avons évoqué certains maîtres à penser représentatifs de ce mouvement, dont en particulier Charles Darwin (matérialisme biologique), Karl Marx (matérialisme politico/économique), Friedrich Nietzsche (athéisme militant), et Sigmund Freud (matérialisme psychologique).
Nous avons conclu en proposant de «formuler une réponse chrétienne qui soit notre témoignage, approprié à notre génération». C'est ce que nous tâcherons de réaliser ici, du moins en partie, car le sujet est tellement vaste que nous serons obligés de limiter le cadre de nos réflexions à quelques problèmes soulevés par le darwinisme, et de poser des jalons qui pourraient stimuler des recherches plus poussées de la part de nos lecteurs dans les domaines qui les intéressent.
Une question d'a priori
Dieu existe-t-il? La science, limitée par définition et par compétence à l'examen des faits observables, et conduisant à l'élaboration d'hypothèses puis de théories, ne peut fournir des «preuves» de son existence, ni, d'ailleurs, la «disprouver»! On a bien dit que «Dieu ne se prouve pas» (ce à quoi les chrétiens pourraient répondre: «C'est vrai, mais il s'éprouve»). Car la question appartient au domaine extra-scientifique, métaphysique, et doit être classée dans la catégorie des a priori (ou présuppositions), c'est-à-dire de ce qui est axiomatique, à des notions premières admises sans démonstration ou antérieures à toute expérience. Qu'on le reconnaisse ou non, tout raisonnement, tout débat, toute recherche, partent nécessairement d'un choix, peut-être inconscient, d'a priori.
Nous verrons ci-après que l'existence de Dieu – du Dieu Créateur – est le point de départ sine qua non de la foi chrétienne. Cependant, nous maintenons que l'idée de la «non-existence de Dieu» est aussi un acte de foi (ou de non-foi si l'on préfère) qui n'a rien de scientifique... mais qui ne manque pas d'audace! Il faudrait, en effet, être doté d'omniscience et d'omniprésence – attributs divins – pour fouiller dans les derniers recoins de l'univers où Dieu pourrait se cacher avant d'oser l'affirmer.
A ce sujet il est intéressant d'évoquer une enquête entreprise avant la Deuxième Guerre Mondiale auprès des membres du «Fellowship of the Royal Society» en Grande-Bretagne, association à laquelle ne pouvaient accéder que des savants scientifiques dont les recherches avaient impressionné leurs pairs. Parmi les 200 réponses reçues à la question: «La science contredit-elle l'idée d'un Dieu personnel tel qu'enseigné par Jésus-Christ?»
- 26 répondirent par l'affirmative,
- 103 dirent que non,
- et 71 évitèrent de se prononcer par oui ou non.
Plusieurs ajoutèrent en substance: «Le fait que je suis professeur de chimie [ou d'une autre discipline] ne me qualifie pas pour exprimer une opinion déterminante dans un domaine religieux, politique ou autre... pas plus qu'une autre personne non-scientifique mais raisonnablement instruite». (A. Rendle Short, Modern Discovery and the Bible, Inter-Varsity Fellowship, Londres, 1947; p. 11).
C'est, donc, au niveau des a priori que le dialogue entre chrétiens et leurs contemporains doit s'engager pour éviter les écueils cachés et rester valable.
Tester nos a priori
Puisque les a priori ne peuvent être prouvés, comment savoir si nous avons fait le bon choix ? Dans la suite de notre article nous proposons de les soumettre à deux tests:
Qu'est-ce qui a motivé notre choix? Où, vers quels résultats, nous conduit notre choix?
1. Choix motivés
1.1. Parlant de l'attraction qu'exerce l'évolution sur l'homme naturel, Rick Lanser, que nous avons cité dans l'article précédent, dit que «celui-ci cherche constamment un chemin de détour autour de ce Dieu qui gène avec ses exigences morales (...)»; et de conclure : «L'évolutionnisme darwinien n'est, enfin, qu'une philosophie fondée sur [des a priori] religieux qui essaie, sans grand succès, d'interpréter les données à partir de prémisses purement naturalistes. Il est populaire, non pas en tant que bonne science, mais parce que, selon les mots de l'ultra-évolutionniste Richard Dawkins, il fournit les moyens d'être un «athée intellectuellement comblé». (Rick Lanser in Associates for Biblical Research Newsletter, jan/fév. 2000; p. 2).
Il s'agit là d'une accusation grave, que certains pourraient qualifier de procès d'intention. Mais est-elle fondée? Nous avons dit plus haut en substance que la science a longtemps été définie comme une investigation objective qui découvre et teste les faits. Cependant une autre définition, implicite dans l'establishment scientifique, englobe une philosophie matérialiste qui limite les tentatives d'explication de tout ce que nous observons à des causes naturelles, et s'oppose d'emblée à toute mise en question de l'évolution naturaliste. La présupposition en est que seules les forces naturelles rendent possible le développement de toute vie sur la terre, et que notre tâche se réduit à discerner les détails du mécanisme. (Tandis que la science véritable part du principe du libre examen, ne se limite pas arbitrairement à des théories naturalistes, mais reste ouverte à toute explication rationnelle et suit les indices où qu'ils conduisent.)
Ainsi, le biologiste Richard Lewontin de l'Université de Harvard accepte la théorie classique de l'évolution parce que, écrit-il, «nous avons un engagement préalable au matérialisme», engagement, admet-il, qui n'est pas fondé sur la science, bien au contraire! Il ajoute: «Nous sommes forcés, par notre adhésion a priori [!] à des causes matérielles, de créer un appareil d'investigation et un ensemble de concepts qui produisent des explications matérialistes (...). Ce matérialisme est absolu, car nous ne pouvons permettre qu'un pied divin se glisse dans la porte». (Cité par Nancy Pearson in We're not in Kansas Anymore, Christianity Today, 20 mai 2000; p. 45).
Concession significative, en effet.
1.2. Qu'est-ce qui motive le choix du croyant en faveur de l'existence d'un Dieu Créateur, en l'absence de «preuves scientifiques»? S'agit-il d'un élan irrationnel de ceux qui, selon Ludwig Feuerbach, projettent et objectifient la nature humaine pour en faire un être divin ? (Voir article précédant).
Nous répondrons que cette foi intuitive, profondément ancrée dans le cœur de l'homme et quasi-universelle dans le temps et l'espace, fait appel à des témoignages éloquents, adéquats pour les uns mais jamais assez convaincants pour les autres... selon leurs a priori. Nous en développerons deux :
- Témoignage de la création (appelée «révélation générale» par les théologiens). (1.2,1.)
- Témoignage de l'Ecriture («révélation spéciale»). (1.2.2.)
1.2.1. Témoignage de la Création
Nous utilisons délibérément le mot «création», dans son sens le plus large, plutôt qu'«univers» ou «nature». Depuis quelques années un grand débat se poursuit à l'intérieur des milieux scientifiques autour d'un concept présenté par l'auteur William Dembski, entre autres, dans son livre Intelligent Design (dessin intelligent). Un philosophe d'autrefois avait dit qu'une horloge ne pouvait exister sans horloger! Cet argument est repris à la lumière de découvertes récentes, surtout dans le domaine de la biologie moléculaire. Celle-ci reconnaît que la cellule vivante est une véritable usine en miniature, infiniment plus complexe que ce que Darwin pouvait imaginer. Les systèmes innombrables, variés mais synchronisés de la cellule agissent ensemble en harmonie comme autant de moteurs, pompes, ressorts, communicateurs et transporteurs, de telle manière qu'ils doivent tous être complets et en place avant de fonctionner. De plus, ils ne peuvent pas évoluer et fonctionner à travers d'innombrables stages intermédiaires, étape après étape, comme l'exige le Darwinisme. Cette structure incroyablement complexe, conforme à un modèle préconçu, est la marque du dessin intelligent.
De même, l'apparition de la théorie de l'information jette une lumière sur le code génétique, l'«ADN»: celle-ci a la même structure qu'un langage. L'origine de la vie doit, donc, être expliquée en termes d'information biologique, information qui ne saurait être créée par des forces matérielles, aveugles! Darwin lui-même, à son époque, a reconnu l'évidence en faveur du dessin, mais l'a écartée [a priori!] en espérant montrer que les êtres vivants avaient seulement l'apparence du dessin, tout en étant le résultat du hasard et de la sélection naturelle, (Nancy Pearson, art. cit. in Christianity Today; p. 46), son but était d'exclure Dieu comme explication du dessin évident des organismes.
Ce témoignage de la création comporte d'autres aspects que nous devons nous contenter de mentionner brièvement :
Le dessein (avec un «e») intelligent, ou la notion de finalité.
En d'autres termes: pourquoi la création? A quoi sert-elle? «Devant la vision de l'unité et de l'harmonie de la création qui s'impose à eux, de nombreux savants en viennent à remettre en honneur la notion de finalité longtemps abandonnée sous l'influence du rationalisme et du scientisme; la finalité leur apparaît non seulement comme une finalité interne immanente, une finalité de fait du domaine directe de la biologie, mais aussi comme une finalité externe à l'être vivant et à la création tout entière, une finalité transcendante qui, pour être essentiellement d'essence métaphysique, n'en correspond pas moins à une réalité. Or, la finalité, quels qu'en soient le niveau et la perspective, exclut l'idée de hasard et implique l'existence d'un Dieu qui a conçu et créé, et qui continue à diriger et à gouverner» (Art. sur la Création in Nouveau Dictionnaire Biblique, Editions Emmaüs, 1992; p. 296s).
Le «principe anthropique» de la cosmologie nous dit que l'univers tout entier, avec les milliers d'éléments qui le composent, est très exactement ajusté dans tous ses détails pour rendre la vie possible et la soutenir. L'astronome Fred Hoyle, pourtant athée, y voit l'implication «qu'un surintendant a bricolé avec les [propriétés] physiques» (Nancy Pearson, art. cit.: p, 47).
Ceux qui lisent l'anglais et désirent approfondir ces questions, pourraient consulter la liste d'ouvrages des plus intéressants, notamment de la plume de Phillip E. Johnson, publiés par les Groupes Bibliques Universitaires de l'Amérique du nord. (Inter-Varsity Press, P.O, Box 1400, Downers Grove, IL 60515, USA, www.ivpress.com).
1.2.2. Témoignage de l'Ecriture
Importance
Citons un extrait de l'ouvrage de J. M. Nicole: «Le schéma classique de la destinée humaine d'après la Bible se résume en trois mots: création, chute, rédemption. Avec raison, nous avons tendance à majorer le troisième, qui constitue le centre de l'Evangile. Mais nous avons tort de ne pas prêter attention autant que nous le devrions au premier.
«Si nous ouvrons l'Ecriture, dès le début nous sommes mis en présence, et cela majestueusement, du Dieu créateur. On aurait pu imaginer une autre entrée en matière. C'est celle-là que le Saint-Esprit a choisie pour notre édification. Tout au long de l'Ancien Testament, les prophètes et les psalmistes reviennent sur ce thème (...).
«Lorsque les apôtres évangélisaient les païens, ils ne se bornaient pas à parler du péché et du salut, ils prenaient soin aussi de poser à la base de leur enseignement le fait de la Création (...). Dans les moments difficiles qu'ils traversaient, les premiers chrétiens trouvaient force et consolation à la pensée qu'ils s'adressaient au Créateur de l'Univers, et c'est lui qu'exaltent les cantiques célestes de l'Apocalypse (...)». (J. M. Nicole, Précis de doctrine chrétienne, Editions Institut Biblique de Nogent-s/Marne, 1983; p. 63s).
Bref survol biblique
La doctrine biblique de la création ne doit pas être confondue avec une quelconque hypothèse scientifique des origines, car son but est éthique et religieux, tout en étant présentée comme une réalité historique. Loin d'être confinée aux premiers chapitres de la Genèse, cette doctrine est invoquée dans un nombre étonnant de textes, tant dans l'Ancien Testament que dans le Nouveau. En voici quelques exemples, à titre indicatif: Néh 9.6; Job 38.4ss; Ps 8; 19.1-7; 33.6-9; 90.2; 102.26-28; 104; Es 40.26,28; 42.5; 45.18; Jér 10.12-16; Amos 4.13; Mat 18.4; Jean 1.1ss; Act 17.24; Rom 1.20,25; 4.17; 2 Cor 4.6; Col 1.16-17; Héb 2; 11.3; 1 Pi 4.19; Apoc 4.11; 10.6; 14.6-7.
Héb 11.3 fournit un bon point de départ pour considérer la doctrine: «C'est par la foi que nous comprenons que le monde a été formé par la parole de Dieu, de sorte que ce qu'on voit ne provient pas de ce qui est visible.» Cela veut dire que, à l'instar de l'auteur de la Genèse – et de Jésus-Christ (Mat 18.4)! – nous partons de l'a priori, non seulement que Dieu existe, mais qu'il a créé toutes choses ex nihilo. En d'autres termes, la doctrine biblique de la création est fondée sur la révélation divine, tout comme le mystère de la rédemption, et ne peut être saisie et acceptée que par la foi.
De plus, l'œuvre de la Création est attribuée tour à tour aux trois personnes de la Trinité: au Père (Gen 1.1; Ps 33.6; Es 44.24), au Fils (Jean 1.3; Col 1.16), et au Saint-Esprit (Gen 1.2; Job 26.13), en tant qu'œuvre une et indivisible du Dieu trinitaire. Loin d'être un acte nécessaire ou inévitable, la création doit être comprise comme le fruit d'une initiative libre de Dieu, déterminée par sa volonté souveraine. Ainsi Dieu peut être à la fois le Seigneur transcendant, distinct de sa Création, et immanent, Dieu de la providence dont dépend la création pour son existence continue. Le rôle de cette Création est de manifester la gloire de la puissance éternelle, de la sagesse et de la bonté du Créateur, bref d'être, comme le dit Calvin, «le théâtre de sa gloire». (Art. sur la création in The New Bible Dictionary, Inter-Varsity Fellowship, Londres, 1967; p. 269s).
En parfait accord avec l'Ancien Testament, le Nouveau Testament tout entier assume ou affirme la création du monde par Dieu et sa dépendance absolue de lui. Cette création, ainsi que les corollaires de grâce et de liberté, sont les axiomes [a priori – ndlr] sur lesquels toute la vérité biblique est érigée. (The Expositor's Bible Commentary, Zondervan, 1978, Vol. 1; p. 46).
Portée de la doctrine
Le grand théologien Alfred Edersheim, juif messianique, insiste sur la portée de la doctrine de la création: «Quatre grandes vérités, touchant à l'ensemble de la révélation, nous viennent du récit biblique le plus ancien, comme le fleuve, divisé en quatre bras qui sortaient du jardin d'Eden :
- la création de toutes choses par la puissance de la parole de Dieu;
- la descendance de toute l'humanité de nos parents communs, Adam et Eve;
- notre solidarité avec Adam, tête de la race humaine, dans le péché et la chute;
- la promesse d'un second Adam, sans péché, qui par ses souffrances nous délivrerait des conséquences de la chute, et deviendrait l'Auteur d'un salut éternel pour tous ceux qui croiraient en lui». (Alfred Edersheim, Bible History, Old Testament, Hendricksen, 1998; p. 11).
«De toutes les oeuvres créées par Dieu», ajoute Edersheim, «l'homme seul a été créé «à son image, selon sa ressemblance» (Gen 1.26). Cette expression met en relief, non seulement l'intelligence conférée par Dieu et l'immortalité qu'il lui a accordée, mais aussi la nature parfaite, morale et spirituelle, que l'homme possédait au commencement.»
J. M. Boice développe ce thème, en détaillant les attributs que possède l'homme créé à l'image de Dieu :
- personnalité: connaissance, vie affective, volonté;
- moralité: liberté, conscience, responsabilité;
- spiritualité: potentiel de communion avec Dieu. (J. M. Boice, Le Dieu Souverain, Editions Emmaüs, 1981; p. 179s).
2. Vers quel résultat nous conduit notre choix ?
2.1. «Dieu n'existe pas!»
L'hédonisme inconscient: «Mangeons, buvons, amusons-nous, car demain nous mourrons!»
L'angoisse: «Jean Rostand (1894-1977) tout au long de sa vie s'est interrogé sur son athéisme, reconnaissant qu'il n'était «ni satisfait ni apaisé, obsédé» qu'il était, «sinon par Dieu, du moins par le non- Dieu». (4 Art. cit. in Nouveau Dictionnaire Biblique, p. 297).
Le désespoir: «Le monde est absurde, la vie n'a pas de sens : inutile de se poser des questions pour lesquelles il n'y a pas de réponse. Il ne nous reste qu'à reconnaître notre désespoir, à l'accepter et à apprendre à vivre avec lui.»
2.2. Dieu existe !
«Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il récompense ceux qui le cherchent» (Hébreux 11.6b).
A vous, cher lecteur, de faire votre choix et de suivre, jusqu'à sa destination inévitable, le chemin dans lequel vous vous engagez!
Frank Horton