La pesanteur et l’apesanteur…
La facilité, c’est le talent qui se retourne contre nous.
- Jean-Paul Sartre
Et moi, quand j’aurai été élevé au-dessus de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi.
- Jean 12:32
Ce que nous nommons « la pesanteur » et qui devient « l’apesanteur » lorsque nous parvenons à lui échapper est tout simplement la conséquence de l’attraction du noyau de la Terre. C’est pour cela que nous pouvons marcher sans nous envoler. Nous et tout ce qui se trouve autour de nous. Sans la pesanteur, les trains ne resteraient pas sur les rails, les voitures sur les routes, les bateaux sur la mer, d’ailleurs, même la mer ne resterait pas en place, pas plus que les cailloux sur le chemin… bref, vous avez compris l’idée.
Cette attraction qui nous donne « du poids » est une source de fatigue. Combien de fois, à la fin d’une journée, n’avons-nous pas souhaité ne plus sentir cette « lourdeur » sur nos épaules ? Pour ceux comme moi, qui aiment l’élément liquide, quel plaisir d’évoluer sous l’eau et de ne plus subir une partie de cette pression ! Pourtant, sans cette force qui nous donne « du poids », qui exerce sur nous son autorité, nous ne pourrions pas vivre. Rester « les pieds sur terre » deviendrait un exploit technologique ou une torture, former et développer nos musculatures serait une mission quasi impossible, garder nos objets familiers une gageure…
La pesanteur existe aussi dans le monde invisible, nous connaissons tous cette lourdeur d’âme, cette pression intérieure qui pèse sur nos cœurs, nos pensées, nos émotions, elle charge jusqu’à notre volonté et nos désirs. Paradoxalement, c’est souvent à cause du vide que la pesanteur intérieure se fait sentir. Il est normal d’aspirer à la libération de cet invisible fardeau qui peut rendre nos journées et nos nuits si difficiles à traverser.
Nous avons mis au point diverses stratégies pour tenter d’échapper à cette pression. La plus utilisée dans notre monde occidental, sous des formes variées, consiste à l’oublier par la distraction, la suroccupation et les ivresses en tout genre. Mais face aux vraies épreuves de la vie, cette méthode s’effrite et nous ressentons pleinement la charge qui écrase notre âme.
Le Christ est venu aussi pour nous sauver de cette oppression, mais il nous propose une solution différente de nos échappatoires vaines. Si nous le désirons, si nous y consentons, il peut remplir le vide intérieur qui nous tourmente et ainsi rééquilibrer les pressions. La pesanteur s’exerce toujours, mais elle n’écrase plus notre être intérieur. Nous expérimentons ce que le poète Paul Claudel a si bien exprimé « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence. »
Il est toutefois une pesanteur salutaire que nous ne devrions pas combattre, mais au contraire rechercher. Je veux parler de la motivation, l’engagement, la responsabilité qui devrait découler de nos cœurs en réponse à l’amour d’En-Haut. Il s’agit d’une attraction douce, mais puissante qui nous rend responsables d’aimer notre entourage, de le servir, d’en prendre soin. Elle nous permet de marcher avec les pieds qui touchent le sol sur les chemins du royaume de Dieu ; elle nous évite de « flotter » portés par les vents de l’égoïsme, de l’indifférence, du nombrilisme.
En toute honnêteté, en observant ce qui se passe dans le petit laboratoire de ma propre existence, je réalise qu’une fois de plus, je fais tout à l’envers. Je me laisse opprimer, écraser par les mauvaises pressions sans chercher le secours de Dieu pour rééquilibrer les choses. En revanche, mon traître de cœur tente instinctivement de fuir la responsabilité, l’engagement, l’attraction de celui qui a donné sa vie pour moi.
Finalement en parcourant les Écritures, j’ai vu que j’arrivais au même constat qu’un certain Paul: « Lorsque je veux faire le bien, je découvre cette loi : c’est le mal qui est à ma portée 1».
Il ne me reste plus qu’à tirer ma fusée de détresse-prière : viens au secours de ma stupidité ! Et puis faire le choix délibéré de m’abandonner à l’attraction céleste de son amour, cette douce pesanteur qui garde mes pieds sur les sentiers de randonnée de sa volonté, les meilleures sentes que mon âme puisse emprunter.
Philip
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1 Romains 7:21
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