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La vraie spiritualité

Francis A. Schaeffer
Editions La Maison de la Bible

II. La vraie spiritualité et l'unité de la doctrine biblique

5. L'univers surnaturel

Notre génération est très largement naturaliste. Elle adhère presque sans réserve à l'idée que les relations de causes à effets sont d'ordre purement naturel et forment un système clos. Cette adhésion quasi totale est même sa principale caractéristique. Si nous n'y prenons pas garde, le risque est grand de nous laisser imprégner par le naturalisme ambiant, même nous, chrétiens qui croyons à la réalité efficace du surnaturel. Cette mentalité peut très bien pénétrer nos pensées à notre insu, comme un brouillard s'infiltre par une fenêtre à peine entrouverte. Aussitôt exposé à cette influence, le chrétien commence à perdre de vue la réalité de sa vie chrétienne. A l'occasion de mes voyages et de mes conférences dans de nombreux pays, j'ai été frappé de constater combien souvent les chrétiens me consultaient au sujet du manque de crédibilité de leur vie chrétienne. Voici sans doute l'une des principales, sinon la principale explication à ce problème : d'un côté nous affirmons croire, mais de l'autre nous nous laissons sournoisement envahir par la mentalité naturaliste de notre époque. Bien trop souvent, le sens de la vie spirituelle a été perdu parce que le "plafond" est beaucoup trop bas sur nos têtes. Ce "plafond", c'est le mode de pensée naturaliste.

Or la spiritualité du chrétien, comme nous l'avons vu dans les chapitres précédents, ne constitue pas un phénomène isolé; elle est en rapport avec la conception biblique de l'univers. Nous devons donc comprendre (sans mettre des oeillères à notre intelligence) que l'univers n'est pas tel que notre génération le dépeint, c'est-à-dire uniquement naturaliste. Nous rejoignons, ici, nos propos antérieurs au sujet, par exemple, de l'exhortation à aimer Dieu assez pour lui dire "merci" même dans les difficultés. Il est évident qu'une telle attitude n'aurait aucun sens en dehors d'un univers personnel, habité par un Dieu personnel qui existe objectivement.

Dans le deuxième chapitre, nous avons également touché le sujet du surnaturel. Nous avons souligné la difficulté de dire "non" aux biens temporels et à soi-même, face au matérialisme et à l'égoïsme des hommes, marques caractéristiques du XXe siècle. Toutefois, l'épisode sur la montagne de la transfiguration nous a bel et bien confrontés à un univers surnaturel. Nous y avons vu Moïse et Elie s'entretenir avec le Christ dans sa gloire. Cet univers surnaturel n'est pas un univers lointain, mais se trouve au contraire en parfaite continuité avec notre monde quotidien. Ainsi, le lendemain de cet événement, Jésus et ses disciples sont descendus de la montagne et ont participé aux activités normales de la vie (Luc 9:37). Pendant leur séjour sur la montagne, le temps et les événements ont suivi leur cours habituel. Voici donc une parfaite illustration du rapport entre l'espace et le temps. A aucun moment de leur excursion, Jésus et ses disciples ne sont passés dans un "ailleurs" philosophique. S'ils avaient eu des montres, celles-ci, loin de s'arrêter, auraient continué de fonctionner. Le monde surnaturel fait partie du même système spatio-temporel que le monde visible.

Nous avons également considéré la mort rédemptrice de Christ, absolument dépourvue de sens si l'on supprime toute relation avec le monde surnaturel. Les mots "mort rédemptrice" tirent leur sens uniquement de l'existence d'un Dieu personnel doué d'un caractère propre. Ce Dieu n'est pas indifférent face à la morale. Lorsque l'homme pèche contre le caractère de Dieu qui constitue la loi de l'univers, il est coupable; Dieu le jugera donc sur la base d'une culpabilité morale bien réelle. Sans ce contexte, les termes "mort rédemptrice" n'ont aucun sens.

Pour revenir à notre sujet, l'étude de la vraie vie chrétienne doit donc se faire à la lumière de l'enseignement biblique dans son ensemble, lequel s'accorde à mettre l'accent sur le monde surnaturel. Dans ce cadre, l'image biblique de l'Eglise comme épouse de Christ prend tout son sens : les chrétiens sont vus dans le monde surnaturel comme unis à Christ, l'époux, pour que lui, le Christ crucifié, ressuscité et glorifié, puisse porter du fruit à travers eux. Dans notre perspective, cette doctrine n'est nullement surprenante.

Pourtant, j'ai l'impression que même des personnes qui ont reçu un bon enseignement concernant le salut et les autres aspects de la vie ou de la doctrine chrétiennes, considèrent cette image de Christ, l'époux produisant du fruit au travers des croyants – l'épouse –, comme une doctrine plutôt étrange, ou tout au moins abstraite. Mais, si l'on garde à l'esprit l'enseignement de la Bible sur le caractère surnaturel de l'univers entier, cette doctrine n'a rien de surprenant.

La Bible déclare avec insistance que nous vivons dans un univers surnaturel. Si nous rejetons tant soit peu la réalité objective de cet univers surnaturel, la glorieuse réalité de Christ comme époux produisant du fruit au travers de nous vole en éclat, et le christianisme est réduit, dès lors, à servir de béquille psychologique et sociologique, d'outil et rien de plus. Sans le surnaturel, il ne nous reste plus que le "meilleur des mondes" d'Aldous Huxley où, dans l'avenir, la religion est nécessaire, mais comme simple instrument sociologique. Dans l'humanisme évolutionniste, peut-être sentimental ou optimiste de Julian Huxley, la religion a sa place, non pas parce qu'elle comporterait quelque vérité, mais parce qu'au stade où il en est arrivé dans son évolution, l'homme en a besoin. Et parce qu'il en a besoin, il faut la lui "administrer". Nous sommes alors enfermés dans un système anthropologique, et tout ce que nous disons sur la religion en général et le christianisme en particulier s'effondre, sauf pour ce qui peut servir de simple mécanisme psychologique. La réalité du christianisme repose entièrement sur l'existence réelle d'un Dieu personnel et sur la réalité d'un univers surnaturel.

Passons, maintenant, à une autre conséquence directe de cette conception de l'univers. Le chrétien qui croit véritablement la Bible est un homme, une femme qui vit en pratique dans ce monde surnaturel. Je ne veux pas dire par là que celui qui ne le fait pas n'est pas sauvé et n'ira pas au ciel. II n'en est heureusement pas ainsi, sinon personne n'irait au ciel; personne ne vit, en effet, de manière constante dans la réalité du monde surnaturel. Je veux dire que le chrétien qui croit vraiment la Bible est celui qui la prend au mot. Ce n'est pas ma foi en la saine doctrine qui fait de moi un chrétien au plein sens biblique du terme, mais c'est ma vie pratique dans ce monde surnaturel.

Qu'est ce que cela signifie? D'après la Bible, la réalité comprend deux parties: le monde naturel, visible, et le monde surnaturel. Cependant, soyons prudents avec le mot "surnaturel". D'après la Bible, le domaine "surnaturel" de l'univers fait partie de l'univers autant que le domaine considéré habituellement comme naturel. Nous le qualifions de "surnaturel", tout simplement parce qu'il est invisible. C'est tout. Du point de vue biblique (le point de vue judéo-chrétien), la réalité est composée de deux moitiés, comme les deux moitiés d'une orange. L'orange, sans les deux moitiés, est incomplète. Cependant, une partie est normalement visible par nos yeux et l'autre ne l'est pas.

Dans mon livre "La mort dans la cité", j'ai illustré cette situation en imaginant deux chaises. Les individus assis sur ces chaises voient l'univers de deux manières différentes. Nous sommes tous assis sur l'une ou l'autre de ces chaises, à chaque instant de notre vie. Sur la première chaise, l'individu regarde la réalité de l'univers dans son ensemble, la partie visible et la partie normalement invisible. Avec une telle toile de fond, il a une vue juste des choses. Le chrétien, lui, opte pour cette chaise. L'incroyant, lui, est l'homme qui s'assoit sur l'autre chaise. Son regard porte seulement sur la partie naturelle de l'univers et il interprète la vérité à partir de ce point de vue. Remarquons que ces positions sont exclusives l'une de l'autre. L'une est juste, l'autre est fausse. S'il est vrai que seule la partie naturelle de l'univers existe, que le monde est un système clos régi par le seul principe de causalité, c'est se leurrer que de s'asseoir sur la première chaise. Mais si les deux moitiés de la réalité existent bel et bien, le sujet assis sur la seconde chaise fait preuve d'une naïveté extrême et se condamne à une compréhension erronée de l'univers. C'est pourquoi, du point de vue chrétien, l'homme n'a jamais montré autant de naïveté et d'ignorance à propos de l'univers qu'en ce XXe siècle.

Il ne suffit pas cependant de reconnaître l'existence de ces deux parties de l'univers pour être un chrétien biblique authentique. Il s'agit aussi de vivre dans les deux moitiés de la réalité, dans la partie surnaturelle comme dans la partie naturelle. A mon avis, il est tout à fait possible à un chrétien d'être imprégné de la pensée du XXe siècle, au point de passer la majeure partie de sa vie comme si le surnaturel n'existait pas. A vrai dire, et dans une certaine mesure, nous vivons tous de cette manière. Le contact du chrétien avec le monde surnaturel se limiterait-il au moment de sa nouvelle naissance, puis à celui de sa mort ou du retour de Christ, comme si le reste du temps il devait vivre livré à lui-même dans le monde naturel ? Rien n'est plus contraire à la conception biblique.

Etre un chrétien, selon la Bible, c'est vivre l'instant présent dans le monde surnaturel, non seulement en théorie, mais aussi en pratique. Si nous traitons d'incroyant celui qui s'assied sur l'une des chaises et nie l'existence de la partie surnaturelle du monde, que dirons-nous alors de nous qui sommes assis sur l'autre chaise en faisant abstraction du surnaturel dans notre vie? Une telle attitude ne devrait-elle pas aussi être qualifiée d'incrédulité? Incrédule, tel est le chrétien qui ne tient pas compte au jour le jour de la réalité du surnaturel. Son christianisme est alors réduit à une "bonne philosophie".

Le christianisme est effectivement une bonne philosophie; il est même, je le crois, la meilleure philosophie qui ait jamais existé. Bien plus, c'est la seule qui soit en accord avec elle-même et qui réponde véritablement aux questions relatives à la réalité. C'est une bonne philosophie justement parce qu'elle prend en compte nos problèmes et nous en apporte les solutions. Mais le christianisme va bien plus loin: la Bible ne se contente pas de parler par abstractions. Elle n'énonce pas de vagues concepts religieux. Elle parle de l'homme en tant qu'homme, de l'individualité de chaque être humain. Et elle nous enseigne comment vivre dans l'univers, tel qu'il est.

Je me trouve donc, à quelque moment que ce soit, assis sur l'une ou l'autre de ces chaises. Malheureusement, le chrétien a beaucoup trop tendance à hésiter entre les deux.

Tantôt il occupe la chaise de la foi, tantôt il se trouve sur celle de l'incrédulité. A partir du moment où j'ai accepté Jésus-Christ comme mon Sauveur personnel, je suis sauvé, car je me repose en Jésus-Christ et sur son oeuvre absolument parfaite. Mais Dieu continue à me traiter en homme; je ne suis ni une machine, ni un soldat de plomb. II est tout à fait possible pour le chrétien de passer d'une chaise à l'autre. Mais, si j'essaie de vivre une vie chrétienne tout en étant assis sur la chaise de l'incrédulité, certaines constatations s'imposent. D'abord, je vis selon la chair. Peu importe mon activité, peu importe le tapage que je fais pour gagner des âmes par l'évangélisation, pour me faire remarquer, je vis toujours selon la chair. Je me suis placé, moi, la créature, au centre de l'univers.

Si, ensuite, j'essaie de vivre ma vie chrétienne alors que je suis assis sur la chaise de l'incrédulité, ce n'est qu'une parodie. La véritable bataille ne se livre pas sur le terrain de la chair et du sang, mais dans les "lieux célestes", et je ne peux y participer en vivant selon la chair. Lors de la dernière guerre mondiale, pendant que leurs grands frères se battaient au front, les petits garçons, restés à la maison, jouaient aux soldats. Ils se conduisaient bien en guerriers, mais n'avaient aucune part, ni aucune influence sur la véritable bataille. Lorsque j'essaie de vivre la vie chrétienne tout en restant sur la chaise de l'incrédulité, je ne fais que jouer à la guerre. Je n'ai absolument aucun contact avec le véritable combat.

Enfin, le Seigneur n'honorera pas nos armes si nous sommes sur la chaise de l'incrédulité, car elles ne lui font pas honneur et ne le glorifient pas. En fait, elles usurpent son honneur et sa gloire d'être le seul Créateur et le seul centre de l'univers. Paul s'exprime à ce sujet quand il dit: "Tout ce qui n'est pas le produit d'une conviction est péché." (Romains 14:23) Hudson Taylor a dit: "L'œuvre du Seigneur accomplie selon les plans du Seigneur aura toujours le soutien du Seigneur." Il parlait surtout des bénédictions matérielles, mais c'est également vrai pour toutes les autres bénédictions. Autrement dit: "L'œuvre du Seigneur accomplie avec l'énergie humaine n'est plus l'œuvre du Seigneur; elle représente bien quelque chose, mais pas l'œuvre du Seigneur."

Deux questions surgissent alors. D'abord, si la véritable bataille se livre dans "les lieux célestes", ces lieux célestes sont-ils très éloignés? Et ensuite, notre rôle n'est-il pas finalement négligeable et même dérisoire?

La réponse à la première question est un "non" catégorique. Le récit de la transfiguration démontre de façon irréfutable la proximité du monde surnaturel. Pour l'atteindre, point n'est besoin de monter à bord d'un vaisseau spatial et de voler pendant deux générations – la première génération engendrant la seconde en cours de route –. Dans l'épisode de la transfiguration, le monde surnaturel était au sommet de la montagne. Le temps continuait de s'écouler de telle sorte que c'était le jour suivant lorsque les disciples sont redescendus. L'Ecriture met bien l'accent sur le fait que le monde surnaturel n'est pas lointain, mais au contraire très, très proche.

Parlant de Christ sur le chemin d'Emmaüs, Luc écrit: "Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux." (Luc 24:31)

En fait, une meilleure traduction serait: "II cessa d'être visible pour eux." Luc ne dit pas que Christ n'était plus là, mais que simplement, à cet endroit précis, les disciples ne le voient plus. Jean 20:19-26 souligne la même idée. Ajoutons que ce phénomène ne se limite pas seulement à la période historique qui a suivi la résurrection de Jésus-Christ. Il structure l'Ecriture, qui insiste sur la présence immédiate du surnaturel tout autour de nous. Le monde surnaturel n'est pas seulement passé et futur, il est une réalité du présent.

Cette même idée apparaît déjà dans l'Ancien Testament: "Jacob poursuivit son chemin; et des anges de Dieu le rencontrèrent. En les voyant, Jacob dit: C'est le camp de Dieu! Et il donna à ce lieu le nom de Mahanaïm." (Genèse 32:1-2)

Le mot hébreu "Mahanaïm" signifie "deux armées", ou "deux camps". Chacun des deux camps est aussi réel que l'autre. L'un d'eux n'est pas une illusion, une invention issue de l'imagination de Jacob. Deux armées égales sont aux prises : la première, celle de Jacob, composée de sa propre famille, de son bétail et de tout le reste; la seconde composée d'anges, tout aussi réels et tout aussi proches.

Mais le passage le plus classique pour illustrer ce sujet se trouve en 2 Rois 6:16-17. Nous y voyons Elisée encerclé par une armée ennemie; le jeune homme qui l'accompagne est terrifié. Elisée lui dit: "Ne crains point, car ceux qui sont avec nous sont en plus grand nombre que ceux qui sont avec eux." Sur le coup, le jeune homme a dû trouver cette réponse d'un bien faible réconfort. Mais celle-ci devint très vite un encouragement réel et concret: "Elisée pria et dit: Eternel, ouvre ses yeux, pour qu'il voie. Et l'Eternel ouvrit les yeux du serviteur, qui vit la montagne pleine de chevaux et de chars de feu autour d'Elisée." Dès cet instant, le jeune homme n'a plus aucun problème! L'intérêt de ce passage pour notre sujet, c'est qu'Elisée, dans sa prière, n'a pas demandé que cette armée céleste vienne. Elle était déjà là. Il fallait seulement que les yeux du jeune homme soient ouverts sur ce qu'Elisée voyait déjà. Le monde surnaturel n'était pas éloigné, il était tout proche.

Dès que l'on aborde le surnaturel, le naturaliste le rejette résolument. Il est fermement décidé à en nier l'existence. Aussi la théologie libérale (qui est naturaliste) tente-t-elle d'ériger un système sur la seule base de l'anthropologie. Partout dans le monde, la question du surnaturel est le point chaud dans la lutte pour la vérité. Si nous avons compris cet enjeu, nous sommes contraints par vocation et par devoir de vivre dans la perspective d'un univers en deux parties, la visible et l'invisible, et dans la conscience que les lieux célestes ne sont pas loin de nous. Ils nous entourent de toute part.

Abordons maintenant la seconde question. Si les véritables combats sont surnaturels, livrés dans les lieux célestes, notre participation à ces combats est-elle valable? Voici une remarque de Paul à ce sujet: "Car Dieu, il me semble, a fait de nous, apôtres, les derniers des hommes, des condamnés à mort en quelque sorte, puisque nous avons été en spectacle au monde, aux anges et aux hommes." (1 Corinthiens 4:9)

Du point de vue purement naturaliste, ou du point de vue de celui qui occupe la chaise de la non-foi, comme nous l'avons appelée, cette affirmation de Paul est des plus extraordinaires. Le mot grec, traduit par "spectacle", exprime l'idée d'un théâtre; nous sommes sur une scène et les spectateurs nous observent. Cette affirmation montre, d'une part, la proximité du monde surnaturel, et d'autre part, l'importance de notre rôle, puisque le combat qui se déroule dans les lieux célestes est observé par le monde invisible.

Cette idée ne repose pas sur ce seul verset. Paul, par exemple, en parle à Timothée, qui n'était pas apôtre au sens strict du terme: "Je te conjure devant Dieu, devant Jésus-Christ, et devant les anges élus..." (1 Timothée 5:21)

Timothée est-il tout seul? Se passe-t-il un moment sans que personne ne l'observe? La réponse est "non". Dieu observe, et les anges observent aussi. Ce qui est vrai pour Timothée, l'est également pour nous tous. C'est aussi la signification du livre de Job. Job ne comprend pas qu'il est observé, mais il l'est. Bien plus, au moment où la série de malheurs s'abat sur lui, il joue, sans le savoir, un rôle-clef dans la bataille qui se livre dans les lieux célestes. Il y a une relation de type "cause à effet" entre le monde visible et le monde invisible. L'enseignement de Christ nous révèle aussi cette interaction, car il nous dit que les anges dans le ciel se réjouissent quand un pécheur se repent. (Luc 15:7,10) Au XXe siècle, nous appelons cela une relation de cause à effet. La cause a lieu sur terre et l'effet se produit dans le monde invisible. Le monde surnaturel n'est pas éloigné et notre rôle n'est nullement négligeable, car nous sommes observés; et il y a même une relation de cause à effet entre le combat réel qui se déroule dans les lieux célestes et notre vie chrétienne, selon que nous vivons en chrétiens ou pas.

En regard de 1 Corinthiens 4:9 où il nous est dit que nous sommes "sur scène" devant les hommes et les anges, nous devons également citer 1 Corinthiens 2:4: "Et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d'Esprit et de puissance."

"Démonstration" aux yeux de qui? A la lumière des propos de Paul au chapitre 4, il est certain qu'il ne s'agit pas uniquement d'une démonstration face au monde perdu, ou face à l'Eglise, mais aussi devant les anges.

Ce verset de 1 Corinthiens 2:4 a fait l'objet de grossières erreurs. Beaucoup en déduisent que la prédication de l'Evangile devrait être toute "simple". Par prédication "simple" de l'Evangile, ils entendent sans doute le refus de tenir compte des problèmes de notre propre génération et le refus d'y faire face. A la tentative de donner des réponses honnêtes à d'honnêtes questions, ils opposent leur prédication toute "simple" de l'Evangile. Il ne peut y avoir plus mauvaise interprétation de ce verset. Paul exprime l'idée que la prédication de l'Evangile, qu'elle s'adresse à des âmes "simples" ou à des gens plus "compliqués" échouera, dans un cas comme dans l'autre, si elle n'est pas accompagnée d'une démonstration de vie chrétienne, si elle n'est pas accompagnée de l'action de l'Esprit Saint. Il ne s'agit pas de simplifier à l'extrême le message de l'Evangile, ni de faire une dichotomie totale entre foi et vie intellectuelle. Selon Paul, quel que soit l'interlocuteur à qui vous prêchez l'Evangile, quelle que soient la terminologie et la longueur des mots que vous employez, que vous parliez à un paysan ou à un philosophe, dans tous les cas une démonstration de la puissance de l'Esprit du Christ ressuscité et glorifié doit être à l'œuvre à travers vous.

Petit à petit, nombre de chrétiens de cette génération voient la réalité du monde invisible leur échapper. Celle-ci est masquée graduellement par un naturalisme tenace et rampant. En fait, cette question fait partie de la demi-douzaine de questions que me posent les jeunes "évangéliques": où est la réalité? Où s'en est-elle allée? Ces questions sincères et teintées de désespoir sont formulées, dans bien des pays, par des jeunes de bonnes familles chrétiennes. Alors que le plafond du naturalisme nous recouvre et que cette mentalité nous envahit, la réalité spirituelle s'estompe peu à peu. Mais le fait que Christ, l'époux, produise par l'action du Saint-Esprit et de ma foi du fruit à travers moi, en tant que membre de l'Eglise, son épouse, me permet de connaître déjà, dès ici-bas, la réalité du surnaturel. C'est ainsi que le chrétien doit vivre. La doctrine est certes importante, mais ne constitue pas une fin en soi. Il faut qu'il y ait une réalité vécue instant après instant.

Contrairement à l'existentialiste ou à l'adepte de religions orientales, le chrétien peut faire l'expérience de la réalité du monde surnaturel tout en gardant bien ouvertes les portes et les fenêtres de son intelligence. Nous n'avons pas besoin de nous enfermer dans une chambre noire, ni d'être sous l'effet d'un quelconque hallucinogène, ni d'écouter un certain type de musique. En tout temps, en tout lieu, nous pouvons connaître la réalité du surnaturel.

Cette expérience n'est cependant pas l'expérience d'un surnaturel "vide" de tout contenu, impossible à décrire ou à communiquer. C'est bien plus que cela. C'est une relation vécue, une relation de tous les instants, une relation toujours plus étroite, avec Christ et avec la Trinité tout entière. Nous sommes appelés à vivre en communion avec toute la Trinité. Les portes sont désormais ouvertes: les portes de l'intelligence, mais aussi celles qui s'ouvrent sur la réalité.

Voici donc le "comment". Voilà comment vivre une vie affranchie des liens du péché - non pas une vie parfaite, car la perfection ne nous est pas promise sur cette terre. Voilà comment être libéré dans la vie présente des liens du péché, ainsi que de leurs conséquences, comme nous le verrons plus loin. Tel est le moyen de montrer la réalité du surnaturel à une génération qui s'est égarée. Telle est la vie chrétienne, la vraie spiritualité. A la lumière de l'ensemble de l'enseignement biblique au sujet du caractère surnaturel de l'univers, la réponse au "comment", se trouve dans la puissance du Christ crucifié et ressuscité, transmise par l'action du Saint-Esprit qui habite en nous, par le moyen de la foi.


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