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La vraie spiritualité

Francis A. Schaeffer
Editions La Maison de la Bible

Première partie: Libéré désormais des liens du péché

I. Les principes fondamentaux de la vraie spiritualité

1. La loi de Moïse et la loi de l'amour

Ce livre se propose de répondre à une double question: comment définir la vie chrétienne - la vraie spiritualité -, et comment la vivre actuellement?

Soulignons pour commencer qu'il est impossible de vivre une vie chrétienne, et connaître les notions élémentaires d'une vraie spiritualité sans être effectivement chrétien. Inutile d'adopter un genre de "vie chrétienne", ou de placer son espoir en une quelconque expérience religieuse. La seule façon de devenir chrétien, c'est d'accepter Christ comme son Sauveur. Que nous soyons des privilégiés par l'éducation et le statut social, ou issus d'un milieu modeste, il n'y a qu'une seule et unique voie pour devenir chrétien. A l'instar des rois et des grands de ce monde qui naissent de la même manière que le plus humble des mortels, l'intellectuel empruntera le même chemin que l'homme le plus simple pour devenir chrétien. Cela est vrai pour tous les hommes en tout temps et en tout lieu. Sans exception. Jésus l'a affirmé: "Nul ne vient au Père que par moi".

Pourquoi? Parce que tous les hommes sont séparés de Dieu à cause de leur culpabilité morale. Dieu existe, il a une personnalité, il est saint; aussi quand nous péchons (et nous devons tous admettre avoir péché non seulement par inadvertance, mais aussi intentionnellement), nous sommes moralement coupables devant le Dieu vivant.

Plus que d'un simple sentiment de culpabilité, au sens de la psychologie moderne, il s'agit d'une véritable culpabilité morale face au Dieu saint, infini et personnel. Seule, l'œuvre parfaite que Christ, le substitut, l'Agneau de Dieu, a accomplie sur la croix, dans l'espace et le temps de notre histoire, est suffisante pour nous en délivrer. Seule, cette oeuvre parfaite peut enlever notre culpabilité, ce "ciel d'airain" qui nous sépare de Dieu; sans aucune contribution de notre part.
La Bible y insiste: l'Evangile doit être accepté sans que nous n'ayons rien à y ajouter. Seule, la valeur infinie de l'œuvre parfaite accomplie sur la croix par Christ, la deuxième personne de la Trinité ôte notre culpabilité. Lorsque nous nous approchons ainsi de Dieu par la foi, la Bible affirme que Dieu nous déclare justifiés; notre culpabilité est effacée, nous sommes de nouveau en communion avec Dieu, ce pour quoi nous avons été créés.

De même que l'œuvre de Christ dans l'histoire est l'unique fondement de notre justification, de même la foi est l'unique moyen d'accepter l'œuvre parfaite de Christ. II ne s'agit ni de la foi comme elle est comprise au XXe siècle, ou à la manière de Kierkegaard, comme d'un saut dans le noir, ni d'une foi en la foi. La foi, au sens biblique du terme, s'appuie sur les promesses concrètes de Dieu; elle nous empêche de les ignorer volontairement et de faire Dieu menteur. Elle nous fait lever nos mains vides et accepter l'œuvre historique et parfaite de Christ accomplie sur la croix. A ce moment précis, nous passons - comme la Bible l'affirme - de la mort à la vie, du royaume des ténèbres au Royaume du Fils bien-aimé de Dieu. Dès cet instant, nous devenons individuellement enfants de Dieu pour toujours.

Ces remarques sur le début de la vie chrétienne, ne doivent pas nous faire oublier que la nouvelle naissance, certes nécessaire, n'est qu'un point de départ. Gardons-nous de penser que la vie chrétienne se limite à l'acceptation de Christ comme notre Sauveur, cet acte qui fait de nous des chrétiens. La naissance physique constitue, à l'évidence, un moment capital puisqu'elle nous introduit dans le monde extérieur. Cependant, cet événement, qui appartient vite au passé, est loin d'être le plus important au regard de notre vie entière.
Après la naissance, l'important est de vivre en établissant des relations et en développant toutes ses possibilités et ses aptitudes. II en est de même pour la nouvelle naissance. Elle est le moment le plus important de la vie spirituelle : avant elle, nous ne sommes pas chrétiens. Néanmoins son importance est appelée à s'estomper par la suite, car nous ne devons pas rester fixés sur notre naissance spirituelle, mais nous concentrer sur la vie, la vie chrétienne qui vient juste de commencer. Ainsi, tout au long de notre vie, de la nouvelle naissance jusqu'au retour de Jésus, ou jusqu'à l'heure de notre mort, se déroule le parcours de la sanctification.

"Que faut-il faire maintenant?" demandera le chrétien "nouveau né". En réponse, il lui est souvent donné une liste assez limitée (et variable selon le pays, la région ou l'époque) de prescriptions en majorité restrictives, dont l'observation rigoureuse refléterait son niveau spirituel. Rien de plus erroné. La vie chrétienne, la vraie spiritualité ne consiste pas à s'abstenir d'un certain nombre de choses, même si, à l'origine, cette liste d'interdictions a pu avoir sa raison d'être dans une situation donnée. II convient, en effet, de dire avec insistance que la vie chrétienne, la vraie spiritualité, est bien plus que la seule observation formelle d'une liste de tabous.

Cela est si vrai que bien souvent un nouveau groupe de chrétiens se forme pour lutter contre un tel catalogue de tabous. Il en résulte une tendance conflictuelle entre les protagonistes de ces catalogues et d'autres chrétiens qui, conscients d'avoir affaire à une fausse approche, disent: "A bas tous les tabous, à bas toutes les interdictions". Chacun des deux groupes peut avoir raison ou tort: tout dépend de leur motivation.

Cela m'a particulièrement frappé au cours d'une de nos soirées-débat à l'Abri (Centre d'accueil fondé par M. et Mme F. Schaeffer à Huémoz (Vaud), Suisse, en 1955). Ce soir-là, tous les participants étaient chrétiens, membres pour la plupart de groupes où les "listes" étaient à l'honneur. Ils ont commencé à s'élever contre ce règne des tabous et, à l'écoute de leurs premiers arguments, j'ai plutôt été porté à leur donner raison. Mais au fil de la conversation, comme ils se dressaient contre les tabous propres à leurs pays respectifs, une évidence s'est imposée à moi: ils revendiquaient simplement la liberté de transgresser tous ces tabous; ils désiraient une vie chrétienne plus relâchée.
Prenons donc bien garde: si nous abandonnons nos catalogues négatifs pour échapper à l'étroitesse d'une "mentalité de liste", le but de notre démarche ne peut se restreindre à la seule recherche d'une vie plus facile; nos objectifs doivent être plus élevés. Le seul fait de respecter une liste ne nous conduit pas à la vraie spiritualité; la rejeter d'un simple haussement d'épaules et mener une vie moins contraignante ne permet pas non plus de l'atteindre.

Si nous considérons vraiment quelles sont les exigences de la vraie spiritualité, nous nous trouvons en présence, non pas d'une petite liste, mais des Dix Commandements et de toutes les autres ordonnances de Dieu. En d'autres termes, si la liste m'apparaît comme un simple écran, une énumération banale, périmée, de peu de valeur et que je la rejette, je ne me trouve pas sur le terrain d'une plus grande permissivité, mais en présence des Dix Commandements avec tout ce qu'ils représentent. De plus, je suis confronté à ce que nous pourrions appeler la loi de l'Amour qui m'exhorte à aimer Dieu et mon prochain.

Dans l'Epître aux Romains, chapitre 14, verset 15, nous lisons: "Mais si, pour un aliment, ton frère est attristé, tu ne marches plus selon l'amour: ne cause pas, par ton aliment, la perte de celui pour lequel Christ est mort." Telle est la loi de Dieu. Nous n'avons ici, à vrai dire, aucune liberté. L'injonction est formelle et absolue.
Certes, la seule observation de cette loi ne peut pas nous sauver; nous ne pouvons pas non plus nous y conformer par nos propres forces. Nul d'ailleurs n'y parvient parfaitement dans la vie présente. Néanmoins, c'est un impératif, un commandement absolu de Dieu. La même vérité ressort en 1 Corinthiens 8:12-13: "En péchant de la sorte contre les frères, et en blessant leur conscience faible, vous péchez contre Christ. C'est pourquoi, si un aliment scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de viande, afin de ne pas scandaliser mon frère."

Ainsi, même à l'égard des aspects purement extérieurs de notre conduite, nous ne sommes pas appelés au relâchement, mais à entrer dans une démarche plus profonde et plus exigeante. En fait, après nous être interrogés devant Dieu, nous ne manquerons pas de nous découvrir respectueux de quelques-uns au moins des tabous portés sur les listes. Toutefois, pour en avoir cherché le sens profond, nous nous rendrons compte que notre respect repose maintenant sur une tout autre base. Cette évolution, curieusement, est souvent circulaire: c'est pour avoir goûté à la liberté, puis étudié l'enseignement biblique de plus près, que nous désirons désormais conserver ces tabous; nous ne les observons plus par pression sociale ou par crainte du "qu'en dira-t-on", mais par une libre résolution.

II faut toutefois bien comprendre que la vie chrétienne et la vraie spiritualité sont moins un comportement extérieur qu'une attitude intérieure. Le Décalogue culmine avec le dixième Commandement en Exode 20:17: "Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain."
L'ordre de ne pas convoiter correspond à une disposition tout intérieure. De par sa nature même, la convoitise n'est jamais extérieure. Il est remarquable de voir le Décalogue se clore sur ce commandement, qui en est, en fait, le centre. En effet, nous transgressons le commandement de ne pas convoiter avant tous les autres. Chaque fois que nous contrevenons à l'un des autres commandements de Dieu, nous avons déjà transgressé celui-là. Ainsi, à chaque transgression de l'un des neuf autres commandements, nous en transgressons deux: celui qui est en question et le dixième. Ne pas convoiter, voilà le cœur du problème.

En Romains 7:7-9, Paul décrit très clairement comment ce dernier commandement lui a révélé son état d'homme pécheur: "Que dirons- nous donc? La loi est-elle péché? Loin de là! Mais je n'ai connu le péché que par la loi. Car je n'aurais pas connu la convoitise, si la loi n'avait dit: Tu ne convoiteras point. Et le péché, saisissant l'occasion, produisit en moi par le commandement toutes sortes de convoitises; car sans loi le péché est mort. Pour moi, étant autrefois sans loi, je vivais; mais quand le commandement vint, le péché reprit vie, et moi je mourus."

II est clair que Paul ne prétend pas être parfait. II explique plutôt: "J'ignorais que j'étais pécheur. Je pensais m'en sortir assez bien en observant ces règles et, me comparant aux autres, j'avais l'impression de progresser dans le bon sens." Il devait s'être mesuré à l'aune des formes extérieures de la tradition juive. Mais en ouvrant le livre de la Loi, il s'est reconnu pécheur à la lecture du dernier commandement.

La convoitise est le contraire de l'amour requis dans le sommaire de la Loi: "Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée", et "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". (Matthieu 22:37 39)

L'amour fait partie de la vie intérieure. II peut s'extérioriser, mais il reste néanmoins une disposition intérieure. La convoitise est toujours une disposition intérieure; le geste concret en est la manifestation. II s'agit de comprendre que le fait "d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée" exclut toute convoitise à son égard; et le fait d'aimer autrui, d'aimer son prochain comme soi-même, exclut toute convoitise envers lui. Si je convoite les prérogatives du Seigneur ou les biens de mon prochain je n'aime ni Dieu, ni mon prochain comme je le devrais.

Le commandement, "Tu ne convoiteras pas", touche donc à la vie intérieure. Il montre à celui qui se croit moralement irréprochable combien il a besoin d'un Sauveur. Cet homme de "bonne réputation" qui, toute sa vie, a veillé à ne pas se distinguer négativement des autres, et à respecter un catalogue de préceptes relativement faciles (même au prix de quelques souffrances et difficultés), peut éprouver, comme Paul, le sentiment d'être sur la bonne voie. Mais tout à coup, lorsqu'il est confronté au commandement de ne pas convoiter, il est contraint de plier les genoux. Il en va exactement de même pour nous, chrétiens. Je peux souscrire à des listes de préceptes rédigées par des hommes et donner l'impression de les observer, sans pour autant m'être humilié devant Dieu.
Mais lorsque je considère le sens profond des Dix Commandements et du commandement d'aimer, si j'écoute tant soit peu les directives de l'Esprit Saint, je perds toute fierté. Je tombe à genoux. Dans la vie présente, je ne pourrai jamais dire: "Me voici au but, ça y est, regardez-moi: je suis parvenu à la perfection". Ainsi, quand nous parlons de la vraie spiritualité chrétienne et de la libération des liens du péché, il ne s'agit pas simplement de respecter quelques règles extérieures, mais de mener un combat intérieur contre la convoitise envers Dieu et envers les hommes, un combat pour aimer le Seigneur et notre prochain.

Une question surgit aussitôt: dans tout désir, y a-t-il convoitise, et donc péché ? La Bible est formelle et nous rassure: tout désir n'est pas péché. Mais à quel moment un désir légitime devient-il convoitise? A mon avis, la réponse est simple: le désir devient péché quand l'amour envers Dieu et envers les hommes en est exclu.
A ce propos, nous disposons, je pense, de deux tests pratiques pour déceler s'il y a convoitise: le premier, aimer Dieu assez pour être satisfait de notre condition; le second, aimer notre prochain assez pour ne pas lui porter envie.

Poursuivons l'examen de ces deux tests:

1) Le premier test

concerne ma relation avec Dieu. Si j'aime Dieu, je serai content de mon sort; sinon, mes désirs naturels et légitimes me pousseront à me révolter contre lui. Dieu m'a créé avec des aspirations légitimes, mais si je suis mécontent de ce qui m'est échu, je suis en révolte contre Dieu, et cette révolte constitue le cœur de ce que l'on appelle "le péché". Si je me trouve dans un tel état, c'est que j'ai oublié que Dieu est Dieu.
Le meilleur test de notre amour pour Dieu et de notre confiance en lui est celui de notre paix intérieure et de notre disposition à lui rendre grâces en tout temps. Voici une forte parole de la Bible qui rappelle aux chrétiens quelle est la norme divine: "Que la débauche, ni aucune impureté, ni la cupidité (convoitise), ne soient pas même nommées parmi vous, ainsi qu'il convient à des saints. Qu'on n'entende ni paroles grossières, ni propos insensés, ou équivoques, choses qui sont contraires à la bienséance; qu'on entende plutôt des actions de grâces." (Ephésiens 5:3-4)

Ainsi, les "actions de grâces" s'ensuivent en contraste avec toute la liste noire qui précède. Ephésiens 5:20 est encore plus net: "Rendez continuellement grâces à Dieu le Père pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ." Ce "toutes choses" pour lesquelles nous avons à rendre grâces laisse-t-il place à la moindre exception? Nous retrouvons l'expression "toutes choses" dans l'Epître aux Romains 8:28: "Nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein." Ce n'est pas une formule magique; c'est la promesse du Dieu infini et personnel qui fait concourir toutes choses au bien du chrétien.

Si je suis un vrai chrétien, "toutes choses" concourent à mon bien. Non pas "toutes choses, sauf le chagrin"; ni "toutes choses, sauf les luttes". Le "toutes choses" de Romains 8:28 englobe réellement tout. Nous honorons Dieu et l'œuvre parfaite de Christ si nous plaçons vraiment tout à l'intérieur de cette globalité; toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. Dans la mesure où nous donnons bien au mot tout le sens de "toutes choses", nous englobons aussi le "toutes choses" d'Ephésiens 5:20: "Rendez continuellement grâces pour toutes choses à Dieu le Père". Ces deux passages sont inséparables. Le "toutes choses" d'Ephésiens 5:20 est aussi englobant que le "toutes choses" de Romains 8:28. Remercier Dieu pour toutes choses: telle est la norme divine.

L'Epître aux Philippiens reprend le même sujet: "Ne vous inquiétez de rien; mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, avec des actions de grâces." (Philippiens 4:6)

"Ne vous inquiétez de rien" signifie ici: ne vous laissez dominer par aucun souci, par aucune inquiétude, mais par vos prières et vos supplications, faites connaître à Dieu vos requêtes, sans oublier les actions de grâces.
A l'évidence, cette déclaration vise à opposer la prière à l'inquiétude, mais elle inclut aussi l'ordre formel de rendre grâces à Dieu à propos de "toutes choses". Nous pouvons également citer Colossiens 2:7: "Etant enracinés et fondés en lui, et affermis par la foi, d'après les instructions qui vous ont été données, et abondez en actions de grâces." Ces paroles font suite au verset 6 "Ainsi donc, comme vous avez reçu le Seigneur Jésus-Christ, marchez en lui". Pour marcher en Christ, il faut être enracinés et fondés en lui, et affermis par la foi (la foi fait ici office d'instrument)... et abonder en actions de grâces. L'accent final porte là encore sur les actions de grâces.

Nous lisons ensuite en Colossiens 3:15: "Et que la paix de Christ, à laquelle vous avez été appelés pour former un seul corps, règne dans vos cœurs. Et soyez reconnaissants." Un peu plus loin, au verset 17: "Et quoi que vous fassiez, en parole ou en oeuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant par lui des actions de grâces à Dieu le Père." Puis encore en Colossiens 4:2: "Persévérez dans la prière, veillez-y avec actions de grâces."

Ces déclarations au sujet des actions de grâces sont, en un sens, d'une grande rigueur. Elles sont belles, mais elles ne nous laissent aucune marge de manœuvre; ce "toutes choses" englobe vraiment tout.

1 Thessaloniciens 5:18 nous dit: "Rendez grâces en toutes choses, car c'est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus-Christ", et le verset suivant enchaîne: "N'éteignez pas l'Esprit".

Une chose est donc absolument claire. Dieu nous dit: "Rendez grâces en toutes choses".

Romains 1:21 nous aidera, je pense, à mettre cette exhortation à l'action de grâce dans sa juste perspective: "Car ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d'être sages, ils sont devenus fous." Voici le point crucial: ils ne lui ont point rendu grâces. Au lieu de remercier, "ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres." Ils se croyaient intelligents et ils sont devenus fous.
La révolte des hommes contre Dieu a commencé - et c'est toujours vrai - par l'ingratitude. Ils n'avaient pas des cœurs droits et reconnaissants, ne se considéraient pas comme des créatures face à leur Créateur, prêtes à fléchir les genoux et à humilier leur cœur insoumis. La rébellion est le refus délibéré d'être une créature face au Créateur et de lui témoigner de la reconnaissance. L'amour doit s'accompagner d'un "merci"; non pas un "merci" superficiel ou de convenance, mais un "merci" sincère, adressé à Dieu de vive voix ou du fond du cœur. Comme nous le verrons plus loin, cette attitude se distingue nettement d'une résignation passive face à la cruauté et à la méchanceté du monde d'aujourd'hui, mais témoigne d'un cœur réellement reconnaissant envers le Dieu vivant.

Si nous considérons cette attitude du point de vue chrétien, plutôt que de celui des non-chrétiens, deux conséquences apparaissent. Premièrement, en tant que chrétiens nous affirmons vivre dans un univers personnel, c'est-à-dire créé par un Dieu personnel qui, depuis notre conversion, est aussi notre Père. Si nous affirmons vivre dans un tel univers personnel, et si nous disons que Dieu le Père est notre Père, manquer de confiance envers Dieu revient à renier notre foi. Nous affirmons, en tant que chrétiens, avoir, par un choix délibéré, pris la place de créature face au Créateur; mais, lorsque notre confiance défaille, nous annulons dans la pratique, à ce moment précis, notre choix.

La deuxième conséquence se trouve illustrée par le dilemme présenté par Albert Camus dans La Peste. Avec les chrétiens, nous affirmons vivre dans un univers surnaturel, théâtre depuis la Chute d'une bataille qui touche, à la fois, le monde visible et le monde invisible. C'est ce que nous croyons, par opposition aux naturalistes et aux adversaires du surnaturel. Si telles sont effectivement nos convictions, nous pourrons premièrement connaître la sérénité devant Dieu tout en combattant le mal, et deuxièmement, reconnaître à Dieu le droit de nous attribuer la place de son choix dans la bataille.

C'est dans cette double perspective qu'il appartient au chrétien de concevoir la sérénité qui doit habiter son cœur.

2) Le deuxième test

permettant de savoir à quel moment le désir légitime devient convoitise se rapporte à notre prochain. Si nous l'aimons, nous ne l'envierons pas. La convoitise ne se limite pas à l'argent. Tout peut la susciter; nous pouvons, par exemple, envier quelqu'un pour ses dons spirituels. Un moyen tout simple permet de dépister ce genre de sentiment lorsque nous éprouvons une secrète satisfaction à la vue de l'infortune d'un de nos semblables, d'un de nos proches, d'un ami. Qui d'entre nous ne s'est jamais réjoui de voir son prochain privé de quelque chose? Gardons-nous de nous prétendre trop vite irréprochable sur ce point; ce serait un mensonge! Quel que soit le chemin parcouru dans la vie avec Christ, nous devons admettre la présence, dans notre cœur, de cette perfide satisfaction face au malheur d'autrui, quand bien même il s'agit d'un frère en Christ. Or, si j'ai laissé un tel état d'esprit me gagner, mes désirs naturels sont devenus convoitise et je n'aime plus mon prochain comme je le devrais.

Cette convoitise intérieure - le manque d'amour pour autrui - ne tardera pas à déborder vers l'extérieur. Impossible de la garder complètement au dedans de soi-même, elle s'extériorisera d'une manière ou d'une autre. Si je regrette que d'autres jouissent de ce qui me manque, et si je laisse grandir ce regret en moi, celui-ci ne tardera pas à se muer en aversion pour mon prochain. Nous avons tous éprouvé cela. Lorsque le Saint-Esprit nous ouvre les yeux sur nous-mêmes, nous sommes obligés de reconnaître que souvent nous nourrissons de l'aversion envers quelqu'un parce qu'au fond nous convoitons l'un de ses biens. Si nous nous réjouissons à la perspective de le voir perdre son bien, un tout petit pas suffira alors pour que notre convoitise devienne manifeste et que nous provoquions cette perte nous-mêmes de façon sournoise ou ouverte, par une médisance, un mensonge, un vol ou quelque autre moyen.

Selon 1 Corinthiens 10:23-24, l'amour devrait susciter en mon cœur la volonté de rechercher le bien d'autrui et non pas seulement le mien. "Tout est permis, mais tout n'est pas utile; tout est permis, mais tout n'édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d'autrui." De même 1 Corinthiens 13:4-5 nous dit: "L'amour est patient, il est plein de bonté; l'amour n'est point envieux; l'amour ne se vante point, il ne s'enfle point d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche point son intérêt..."

Lorsque nous lisons ces versets et prenons conscience que nos manquements sur ces différents points manifestent en réalité notre convoitise, notre manque d'amour, il ne nous reste plus qu'à tomber à genoux et à nous humilier comme Paul face au dixième commandement, commandement qui interdit toute conception superficielle de la vie chrétienne.

C'est à de telles dispositions de cœur que se reconnaissent une vraie spiritualité, une vie chrétienne authentique. Ces dispositions ne sont pas à priori extérieures; elles sont intérieures, profondes, et touchent à des aspects de notre vie que nous aimons cacher à nos propres yeux. C'est d'abord dans notre cœur que se dégrade la vie spirituelle; les péchés apparents sont le fruit de cette dégradation intérieure.

Cependant la vraie spiritualité, la vie chrétienne, va plus loin. Jusqu'ici, nous sommes passés d'une liste de tabous à l'intégralité des Dix Commandements et à la loi de l'Amour tout entière; puis, de l'apparence extérieure aux dispositions intérieures. Dans les deux cas, nous nous sommes longuement occupés d'aspects négatifs. Mais la vraie spiritualité ne consiste pas seulement à rejeter ce qui est négatif, si profond soit-il; elle est fondamentalement positive.

Considérons rapidement quelques passages, sur lesquels nous reviendrons plus en détail par la suite. La tonalité de Romains 6:4a est négative: "nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort." Nous retrouvons la même idée au début du verset 6: "sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui." Quand j'ai accepté Christ comme mon Sauveur, quand Dieu, mon Juge, m'a déclaré justifié selon la loi divine, ces faits ont pris force de loi pour moi. Ma vocation chrétienne est maintenant de les concrétiser dans ma vie de tous les jours. Galates 2:20a présente le même accent négatif: "j'ai été crucifié avec Christ."

Nous ne devons jamais perdre de vue l'importance de ces aspects négatifs pour notre justification et pour notre vie chrétienne, sinon nous ne pourrons pas comprendre les aspects positifs suivants. En Galates 6:14 nous lisons: "Pour ce qui me concerne, loin de moi la pensée de me glorifier d'autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde!" Dans ce verset, la tonalité négative apparaît avec plus de force encore. Loin d'être une affirmation purement théorique, cette vérité doit être mise en pratique par la grâce de Dieu, comme nous le verrons plus tard. Il y a donc véritablement un côté négatif dans la pensée biblique, mais la vie chrétienne, la vraie spiritualité, ne s'arrête pas là.

Reprenons Galates 2:20: "je suis crucifié avec Christ..."; à ce point vient une coupure que j'ai marquée dans ma Bible par deux petits traits verticaux, afin de ne pas l'oublier même au cours d'une lecture rapide: "J'ai été crucifié avec Christ; (coupure) et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi." Le négatif est bien là, mais il débouche sur le positif; s'arrêter au premier serait se méprendre totalement sur le sens du passage. La vraie vie chrétienne ne se résume pas à un comportement ou à une forme de pensée négatifs; elle ne consiste pas à haïr la vie, comme le font les dépressifs et les personnes sujettes à des troubles psychologiques. Elle n'a rien à voir avec le nihilisme; elle est la vie véritable aussi bien dans le présent que dans le futur.

La même force d'expression se trouve dans l'épître aux Romains (6:4): "Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie." Il faut lire: "afin que nous puissions marcher en nouveauté de vie."  Voilà l'aspect positif! Il nous est possible de marcher en nouveauté de vie dans la vie présente, dès notre nouvelle naissance, et jusqu'à la seconde venue de Jésus ou jusqu'à notre mort. Romains 6:6 reprend: "Sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit réduit à l'impuissance, pour que nous ne soyons plus esclaves du péché." Nous sommes donc morts avec Christ, mais nous sommes aussi ressuscités avec Christ. Tout est là. La mort de Christ est un fait historique du passé, et notre résurrection d'entre les morts appartient encore à l'histoire future; mais déjà dans le cours actuel de l'histoire, il peut y avoir des manifestations positives de la vie nouvelle.

En guise d'illustration, lisons Galates 5:15: "Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres." Il s'agit là d'un avertissement négatif adressé à des chrétiens, mais il est précédé d'une déclaration positive au verset 14: "Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci: Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Cet aspect positif se retrouve dans les versets 22 et 23 du même chapitre: "Mais le fruit de l'Esprit, c'est l'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la maîtrise de soi; la loi n'est pas contre ces choses." Ainsi, au cours de notre étude de la vie chrétienne, le contexte nous conduit de la perspective négative à la positive.

Ce chapitre sert d'introduction au reste du livre; il est peut-être utile d'en rappeler les points-clés:

1. La vraie vie chrétienne, la vraie spiritualité n'implique pas uniquement la nouvelle naissance, son point de départ. Elle ne se limite pas non plus à la certitude que nous irons au ciel, ni même à notre justification. La vie chrétienne authentique, la vraie spiritualité signifie bien davantage, déjà dans la vie présente.

2. La vraie spiritualité ne consiste pas simplement à se débarrasser de tabous pour pouvoir vivre une vie plus facile et relâchée. Elle correspond à une vie plus profonde. Lorsque nous nous penchons sur ce sujet, la Bible nous présente l'ensemble des Dix Commandements et toute la loi de l'Amour.

3. La vraie vie spirituelle n'est pas seulement extérieure, mais intérieure. Elle se caractérise par l'absence totale de convoitise à l'égard de Dieu et des hommes.

4. La vraie spiritualité est par-dessus tout positive aussi bien par les dispositions du cœur dont elle témoigne que par ses manifestations extérieures. Notre vie intérieure doit être positive et pas seulement négative; et des fruits doivent la rendre manifeste. II ne suffit pas d'être mort à certaines choses; nous avons à aimer Dieu, à être à son écoute, à être en communion avec lui, en ce moment précis de l'histoire.
Nous avons à aimer les hommes, à les considérer en leur qualité d'êtres humains, à rechercher une communication vraiment personnelle avec eux en ce moment précis, celui que nous sommes en train de vivre.

Qu'il s'agisse de vie chrétienne, de libération des liens du péché ou de vraie spiritualité, la Bible nous demande de rechercher le niveau dépeint par les quatre points ci-dessus. Rechercher moins signifierait manquer de sérieux à l'égard de Dieu, à l'égard du Créateur de l'univers, à l'égard aussi de celui qui est mort sur la croix. Si nous ne sommes pas résolus à rechercher ces choses dès le commencement de notre étude, nous nous pencherons en pure perte sur des thèmes tels que la libération des liens du péché, ou l'expérience concrète de la vie chrétienne, de la vraie spiritualité. Sans résolutions, mêmes timides ou hésitantes, nous ferions mieux d'en rester là. Tout autre attitude serait pure comédie vis-à-vis de Dieu et, par conséquent, péché.

 


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