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Dieu - Illusion ou réalité ?

par Francis Schaeffer

TITRE VI - LA VIE PERSONNELLE ET COMMUNAUTAIRE AU XXe SIÈCLE

CHAPITRE 1 - Manifester la nature de Dieu dans la pratique

Le salut ne se limite pas à l'individu

Nous avons vu la tension qu'un non-chrétien perçoit entre le monde réel et la conclusion logique de ses présuppositions. Mais comme chrétiens, si nous sommes honnêtes, nous avons, nous aussi, à faire face à une question. Est-ce que les personnes qui nous observent – soit individuellement, soit en communauté – et qui entendent nos présuppositions, nous voient fidèles à celles-ci?

L'homme devenu chrétien et ses présuppositions <-----------------------------------> La conclusion logique de nos présuppositions chrétiennes

Dans cette dernière Partie, je tenterai d'aborder cette question.

Les chrétiens ont, en effet, eux aussi, à examiner quelles sont les conclusions logiques de leurs présuppositions. Il s'agit, ici, d'apologétique, non pas abstraite, scolastique ou en tant que discipline enseignée dans une Faculté de Théologie, mais pratique, celle qui est utilisée dans les batailles de notre temps. L'apologétique chrétienne doit être capable de montrer, intellectuellement, que le christianisme traite de vérité vraie; elle a aussi à manifester visiblement qu'il ne s'agit pas d'une simple théorie. C'est indispensable à la fois pour défendre le troupeau du Christ et, dans un sens positif, pour atteindre les personnes qui se posent d'honnêtes questions.

Les comportements individuels et communautaires des chrétiens tels qu'ils sont observés de l'extérieur sont de l'apologétique. Il aurait fallu le comprendre et y réfléchir depuis longtemps; quoi qu'il en soit, il est extrêmement important, étant donné les formes de pensée de nos contemporains, de bien montrer, aujourd'hui, que le christianisme n'est pas seulement une dialectique meilleure qu'une autre.

Nous avons souvent commis l'erreur, nous les "évangéliques", d'en rester au salut individuel. Historiquement, le mot "chrétien" a eu deux significations. Il sert, d'abord, à désigner quelqu'un qui a accepté Christ comme Sauveur: ce qui est un acte tout à fait individuel. Sa seconde signification a trait à ce qui découle du salut individuel. Il est bien vrai que le salut est individuel et qu'il marque le commencement de la vie chrétienne; pourtant, selon l'enseignement sur l'Eglise et en examinant les périodes de son histoire où l'Eglise a été la plus épanouie, le salut individuel doit se manifester aussi dans des relations communautaires.

Lors de la Chute, plusieurs ruptures sont intervenues. La première et la plus fondamentale s'est produite entre l'homme en révolte et Dieu. Toutes les autres en découlent. Nous sommes séparés de Dieu par notre culpabilité, qui est une véritable culpabilité morale. Aussi avons-nous besoin d'être justifiés grâce à l'oeuvre parfaite de substitution du Seigneur Jésus-Christ. Mais il est tout à fait clair, comme les Ecritures et une observation d'ensemble le montrent, qu'il y a eu d'autres séparations. La seconde a été celle de l'homme d'avec lui-même, d'où le surgissement des problèmes psychologiques de la vie. La troisième séparation est celle de l'homme d'avec les autres hommes, d'où l'apparition des problèmes sociaux. La quatrième est celle de l'homme d'avec la nature.

Selon l'enseignement des Ecritures, l'oeuvre parfaite du Seigneur Jésus-Christ apporte la guérison à chacune de ces lésions, guérison qui ne sera complète, en tous ses aspects, que dans l'avenir, lors du retour historique du Christ.

Dans la justification, la relation est déjà totalement rétablie. Quand quelqu'un accepte Christ comme son Sauveur, grâce à l'oeuvre parfaite du Christ, Dieu lui déclare, en qualité de juge, que sa culpabilité est effacée immédiatement et pour toujours. Quant aux autres séparations, il est clair, selon l'enseignement biblique et au vu des luttes du peuple de Dieu pendant les meilleures années de la vie de l'Eglise, que le sang de Christ leur apporte une guérison déjà substantielle dans la vie présente. Mon salut (individuel) intervient avec la justification et ma culpabilité est enlevée sur le champ. Ensuite, viendra le jour où mon corps ressuscitera des morts et où les autres séparations seront, elles aussi, complètement supprimées.

Mais déjà, dans la vie présente, celles-ci doivent faire l'objet d'une guérison substantielle, sensible aux yeux des personnes qui nous observent. Substantielle est le mot juste, car il implique deux idées: premièrement, que la guérison n'est pas encore parfaite; deuxièmement, qu'elle est cependant réelle.

La visibilité

Le monde a le droit de nous regarder et de formuler un jugement sur nous. Jésus nous dit que c'est à l'amour que nous avons les uns pour les autres que le monde reconnaît, non seulement si nous sommes ses disciples, mais encore si le Père a envoyé le Fils. (Jean 17:21) L'ultime apologétique, celle qui accompagne la défense et la présentation rationnelle, logique de la foi, c'est ce que le monde voit de la vie personnelle du chrétien et de ses relations communautaires. Le commandement de nous aimer les uns les autres implique sûrement beaucoup plus que de simples relations au sein d'une organisation. Sans vouloir, certes, minimiser la valeur de celles-ci – notamment au sein de l'Eglise –, il faut reconnaître qu'elles n'ont rien à voir avec la guérison substantielle, déjà en cette vie, de la rupture qui sépare les hommes les uns des autres.

Jésus et le Nouveau Testament enseignent que l'Eglise – même s'il est certain que "l'Eglise invisible" existe – ne doit pas être cachée, reléguée dans quelque sphère invisible, comme si ce que les hommes voient n'avait pas d'importance. Nous sommes appelés, par la foi en l'oeuvre parfaite du Christ et en la puissance du Saint-Esprit, à rendre manifeste une guérison substantielle au plan tant individuel que communautaire. C'est là une partie de l'apologétique: savoir démontrer de façon suffisante que le christianisme n'est pas seulement une théorie ou une nouvelle dialectique, mais une réalité, sans doute imparfaite, mais déjà substantielle. Si nous nous limitons aux aspects individuels de l'Evangile, le monde, conditionné comme il l'est aujourd'hui, n'y prêtera guère attention. Il ne le pourra pas, en revanche, s'il est placé devant une manifestation substantielle et communautaire des conclusions logiques auxquelles conduisent les présuppositions chrétiennes. Il n'est pas exact que le Nouveau Testament présente une conception individualiste du salut. Le salut est individuel, c'est vrai: nous devons venir "seul" à Christ, à un moment donné; mais il est plus que cela. C'est une réalité perceptible d'abord sur le plan individuel, et ensuite sur le plan communautaire. Les gens exigeants du XXe siècle ne s'attendent pas, en effet, à ce que les chrétiens soient parfaits, et ils ne leur font pas de reproches lorsqu'ils découvrent chez eux – individuellement ou communautairement – une imperfection. Ils attendent non un témoignage parfait, mais effectif, réel; ils en ont le droit étant donné l'autorité de Jésus-Christ.

Communion et vie communautaire doivent exister dans le peuple de Dieu; non pas une fausse vie communautaire qui s'érigerait elle-même en propre fin, mais une vie communautaire au sein de l'Eglise locale, de l'oeuvre missionnaire, dans une école ou n'importe où ailleurs, qui reflète une véritable communion fraternelle, conséquence visible du salut individuel. Telle est la véritable Eglise du Seigneur Jésus-Christ: non pas une simple organisation, mais un groupement de personnes, individuellement des enfants de Dieu que le Saint-Esprit rassemble pour accomplir une tâche particulière, localement ou au loin. L'Eglise du Seigneur Jésus-Christ doit être le rassemblement de ceux qui sont rachetés et qui sont unis les uns aux autres sur la base de la vraie doctrine. Ensemble, ils doivent rendre manifeste la "guérison psychologique" substantielle des ruptures qui, en suite du péché, ont surgi entre les hommes.

Pour le chrétien, les problèmes, quelle que soit leur nature, découlent de la rupture que le péché a suscitée entre les hommes. Aujourd'hui, le monde devrait pouvoir constater, dans l'Eglise, les signes d'une guérison sociale substantielle. Le témoignage de la génération précédente est insuffisant. Des choses merveilleuses ont, certes, été accomplies dans le passé, mais nos contemporains sont en droit de dire: "L'époque en cause est celle où nous vivons, il s'agit de notre histoire, qu'en est-il aujourd'hui?" Il ne suffit pas que l'Eglise s'associe à l'Etat pour guérir les fléaux sociaux, bien que cela soit important à certains moments. Le monde ne manquera pas de remarquer un groupe d'enfants de Dieu au sein duquel les relations humaines sont restaurées de façon substantielle. Autrement dit, chaque groupe de chrétiens est une sorte d'entreprise pilote qui met en évidence ce qui peut être redressé en notre temps, si du moins la démarche suivie est correcte.

A cet égard, la vie communautaire de l'Eglise primitive a été très solide; non pas parfaite, mais solide. Le témoignage nous en est parvenu: en observant les chrétiens – représentatifs de tout l'arc-en-ciel social de l'Empire romain, des esclaves aux maîtres, jusque et y compris certains membres de la maison de César –, les non-chrétiens étaient obligés de dire: "Voyez comme ils s'aiment!", formule tout sauf creuse, car elle correspondait à un véritable amour mutuel. En cela réside l'une des causes de l'ébranlement de l'Empire romain.

La réalité mise en évidence

Regarder au Fils de Dieu, à chaque instant, pour porter du fruit est indispensable, car notre force personnelle est insuffisante. Nous pouvons être "orthodoxes" et accepter des compromis charnels, alors que notre vocation est différente et consiste, par sa grâce, à manifester Dieu et sa nature en notre temps. Nous devons le présenter comme un être à la fois personnel, saint, aimant. Il est possible d'être orthodoxe et mort, aimant et plein de compromissions; mais, en revanche, la justice et l'amour de Dieu ne peuvent être manifestés que sous l'action du Saint-Esprit et pas de façon charnelle. Témoigner de moins que cela, c'est n'offrir qu'une caricature du Dieu qui est vivant.

Notre existence doit donc rendre manifeste la nature de Dieu. Sur ce point, les existentialistes ont raison, même s'ils ont tort, par ailleurs, lorsqu'ils disent que l'histoire ne mène nulle part. Nous vivons comme si nous étions constamment sur le fil du rasoir. Ce qui importe, à chaque instant, c'est notre relation avec le Seigneur Jésus, individuellement et ensuite communautairement. Ce qui compte, tandis que les hommes nous regardent, individuellement et communautairement, c'est de manifester Dieu et sa nature. L'attitude du chrétien n'est pas statique, mais dynamique.

Le Christ dit: "Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait". (Matthieu 5:48) Comment un Dieu parfait pourrait-il dire: "Péchez juste un petit peu"? C'est impossible. Le modèle, c'est la perfection même de Dieu. Et cependant, la Parole de Dieu ne nous laisse pas l'illusion romantique du tout ou rien. Je suis tout à fait convaincu que beaucoup de choses magnifiques ont été détruites parce que certaines personnes, ayant dans l'esprit une notion romantique préconçue sur la nature de la perfection, ont décidé que rien d'autre ne saurait convenir et ont ainsi détruit ce qui aurait pu exister.

Quelle joie d'entendre l'apôtre Jean dire: "Mes petits enfants, je vous écris ceci, afin que vous ne péchiez pas. Et si quelqu'un a péché, nous avons un avocat auprès du Père". (1 Jean 2:1) Ce mot nous suggère quelque chose d'extraordinaire et de magnifique: Jean, l'apôtre bien-aimé, se place lui-même parmi nous. D'une part, tout modèle inférieur à la perfection doit être rejeté. Les règles à suivre ne sont pas arbitraires et doivent être prises tout à fait au sérieux, puisque le Dieu saint qui existe nous les a données dans la Bible. Impossible d'en supprimer et de minimiser le péché, soit dans la vie individuelle, soit dans la vie communautaire. En théorie et en pratique, l'antinomisme (l'opposition à toute loi) est toujours mauvais et destructeur.

Mais, d'autre part, toute idée romantique au sujet d'une perfection possible en cette vie doit également être rejetée. Sauf dans le domaine de la justification, la Bible ne nous promet aucune perfection morale, physique, psychologique ou sociale en cette vie. Victoires morales et croissance sont possibles, mais elles diffèrent de la perfection. C'est pourquoi Jean a dit nous et Paul a souligné son propre manque de perfection. (Romains 7:22-25) Une guérison physique peut intervenir, mais son bénéficiaire n'en est pas devenu, pour autant, un spécimen physique parfait. Lazare a peut-être eu la migraine le jour de sa résurrection et il est certainement mort, un jour. Des personnes peuvent être aidées merveilleusement du point de vue psychologique, mais cela ne veut pas dire que leur personnalité sera vraiment équilibrée. Pour un chrétien, la situation se présente de la façon suivante: avant la résurrection, il est appelé à être parfait et, en même temps, à ne pas détruire ce qui ne peut être amélioré, bien que ce soit moins réussi qu'il ne l'aurait rêvé. Combien de femmes – et combien d'hommes – se sont acharnés, par exemple, à détruire un mariage excellent, simplement parce que leur conception du mariage sur le plan physique ou affectif était romantique.

La personnalité au centre

Après avoir dit quelle importance vitale il y a à être logique avec les présuppositions chrétiennes et avoir commenté les termes communautaire et substantiel, venons-en à un troisième mot: personnel.

Le système chrétien est plus logique qu'aucun autre. Il est indiciblement beau car il a une qualité qu'aucun autre ne possède à un tel degré: il a un début et une fin entre lesquels se situe un cheminement. C'est aussi simple que cela. Chaque partie, chaque élément du système peut être relié au point de départ. Quelle que soit la question en discussion, pour comprendre vraiment, il suffit de revenir au début et tout se met en place. Le commencement, c'est simplement que Dieu existe et qu'il est le Dieu personnel et infini. Notre génération aspire à trouver ce qui donne sa réalité à la personnalité, mais elle n'y arrive pas. Pour le christianisme, la personnalité a de la valeur, non parce qu'elle a surgi un jour dans l'univers, mais parce qu'elle est issue du Dieu personnel qui a toujours existé.

Trop souvent, quand nous parlons au monde perdu, on cesse de nous écouter parce que nous ne commençons pas au commencement. Si nous n'insistons pas de cette façon sur le point particulier de la personnalité, comment espérer, en effet, retenir l'attention de nos auditeurs, car la notion de salut flotte alors dans le vide?

Comprendre cela, c'est comprendre la signification de la vie. La justification n'en est pas le terme. Bien au contraire, lorsque nous acceptons Christ comme Sauveur au vrai sens biblique, notre vie acquiert toute sa consistance et notre relation avec le Dieu personnel est alors rétablie. Quel que soit le sujet abordé, le christianisme met en relief cette réalité merveilleuse de la personnalité, c'est-à-dire tout l'opposé du dilemme navrant de l'homme moderne qui ne trouve aucun sens à sa personnalité. Pensez aux paroles de Paul: "Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous". (2 Corinthiens 13:13)

Nous sommes ainsi conduits à valoriser ce qui est personnel. En premier se trouve la relation personnelle avec Dieu lui-même, non pas uniquement au ciel, mais, ô merveille, substantiellement réeIle et pratique dès maintenant. Quand nous comprenons que notre vocation est non seulement vraie mais belle, comment ne pas être enthousiastes? Comment un chrétien "évangélique" qui croit à la Bible peut-il ne pas l'être? Nous devrions être enthousiasmés au-delà de toute expression par les réponses qui nous sont données dans le domaine intellectuel, et plus encore parce que notre relation personnelle avec le Dieu vivant est rétablie. Si l'enthousiasme nous fait défaut, revenons en arrière pour voir ce qui ne va pas. Autour de nous, nos contemporains n'arrivent pas à trouver de chez eux dans l'univers. Si quelque chose marque notre génération, c'est bien cela.

Or, en contraste total, je sais qui je suis, et je connais le Dieu personnel et présent. Quand je lui parle, il m'entend. Autour de moi, il n'y a pas simplement une masse de matière ou des particules d'énergie, mais Dieu existe réellement.

 


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