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Dieu - Illusion ou réalité ?

par Francis Schaeffer

TITRE V - LA PRE-EVANGELISATION: UN DEFI

CHAPITRE 2 - L'importance de la vérité

Un jour, à Oxford, après avoir parlé, à un groupe d'étudiants en Théologie, de la communication de l'Evangile aux personnes soumises au consensus culturel du XXe siècle, un canadien s'est levé pour dire: "Si je vous comprends bien, une pré-évangélisation doit précéder l'évangélisation. S'il en est ainsi, nous avons donc commis une erreur à Oxford, car nous n'avons guère atteint de ces personnes-là".

La vérité précède la conversion

Avant d'être prêt à faire le pas décisif de la foi, il faut avoir bien compris la vérité, que le concept de vérité ait été ou non complètement analysé. Chacun, plus ou moins consciemment, agit selon une certaine notion de vérité, et celle-ci affectera profondément sa manière de comprendre ce que signifie "devenir chrétien". En ce moment, nous ne pensons pas tant au contenu de la vérité qu'au concept de vérité, à ce qu'est la vérité.

Certains chrétiens ont été imprégnés par les formes de pensées du XXe siècle. Dans la conversion chrétienne, la vérité a la priorité. La formule "accepter Christ comme Sauveur" peut vouloir dire n'importe quoi. Aussi devons-nous expliquer très clairement que la vérité du christianisme est une vérité objective, et qu'en conséquence "accepter Christ comme Sauveur" n'est pas simplement une sorte de "saut dans l'irrationnel".

Vérité et spiritualité

Insister sur cette notion de vérité objective est primordial avant d'évangéliser de façon efficace et, aussi, de parler de vraie spiritualité. Du point de vue biblique, la spiritualité n'est pas fragmentée et s'oppose donc aux conceptions modernes, tant en Occident qu'en Orient, ainsi, malheureusement, qu'à certaines conceptions "évangéliques". La spiritualité biblique concerne l'homme tout entier dans sa vie de tous les instants. En opposition à la vérité de ce point de vue, une conception "évangélique" platonicienne a trop insisté sur l'âme au détriment de l'homme dans sa globalité, corps et intelligence compris.

Il est très important de comprendre que l'expérience biblique, à la différence des conceptions modernes de l'expérience spirituelle, est solidement fondée sur la vérité. Ce n'est ni une simple émotion, ni une expérience dénuée de contenu.

Une authentique spiritualité comprend trois parties. Il est indispensable de commencer par examiner qui (ou quoi) "existe", et comment je peux établir un rapport avec cette personne (ou avec cet objet). Ce "quelque chose" doit être compris et défini; impossible d'avoir une relation personnelle avec quelque chose d'inconnu. Après avoir compris qui est celui avec lequel je vais avoir une relation personnelle, et comment je peux l'établir, il faut franchir le pas et entrer dans cette relation. La Bible appelle cela "naître de nouveau", c'est une étape que l'on ne peut franchir qu'individuellement. Pas question de naître de nouveau en groupe! Mais dire que c'est une affaire individuelle ne justifie pas l'individualisme. Les mots se ressemblent, mais ils appartiennent à deux mondes distincts, qui ont leurs propres conceptions sociologiques et culturelles.

On ne peut dissocier la vraie spiritualité de la vérité, ni de l'homme tout entier et de la culture dans son ensemble. La Bible affirme avec insistance que la vérité est une, elle est presque la seule à le faire en notre temps.

Pour éviter toute confusion, il est utile de préciser ce que cet accent mis sur l'unité de la vérité n'implique pas.
En premier lieu, du point de vue biblique, la vérité n'est pas fondamentalement liée à l'orthodoxie. Celle-ci est assurément importante... ne suis-je pas connu comme un théologien orthodoxe convaincu?
En second lieu, la vérité n'est pas non plus liée, en dernière analyse, aux Credo. Les Credo historiques sont, certes, importants, mais la vérité est ultimement liée à quelque chose qui sous-tend, et l'orthodoxie, et les Confessions de foi.
En troisième lieu, la vérité n'est même pas, en fin de compte, liée aux Ecritures. Je crois fermement ce que l'Eglise primitive et les Réformateurs ont enseigné sur la nature de l'Ecriture; je considère même que ce qu'ils ont dit à ce sujet est capital. En fait, la vérité est liée à quelque chose qui est derrière les Ecritures. Celles-ci ne sont pas importantes parce qu'elles sont imprimées d'une certaine manière ou reliées en cuir, ni parce qu'elles ont aidé beaucoup de personnes.
La Bible, les Credo historiques, l'orthodoxie sont importants parce que Dieu existe: telle en est la seule vraie raison.

J'ai compris la force de cette affirmation, il y a quelques années, lorsqu'un jeune architecte suisse allemand fit un exposé sur les derniers travaux de Max Planck, à l'un des séminaires de notre Centre d'études (Farel House), en Suisse. Il avait signalé que Planck – dans le langage de sa discipline – avait remarqué que l'homme moderne, en sa génération, avait dû déplacer plusieurs fois les limites de la connaissance, et il posait la question suivante: quelle sera la dernière? Selon Planck, nous ne savons pas quelle sera l'ultime limite de la structure matérielle de l'univers. Cette idée d'une "ultime limite" a commencé à faire son chemin dans mon esprit préoccupé, comme il l'est, de faire retentir l'Evangile au coeur du XXe siècle. Quelle est l'ultime limite de la vérité?

La réponse ne peut être que l'existence de Dieu et sa nature. La vérité chrétienne se définit par rapport à ce qui est et, en fin de compte, par rapport au Dieu qui existe. Une spiritualité authentique implique une relation juste avec le Dieu vivant, une relation qui repose sur la justification accomplie une fois pour toutes et qui se prolonge dans une communion de tous les instants. Cette intimité permanente est le trait caractéristique de la piété biblique.

Le Dieu qui se trouve derrière la vérité

Si j'ai choisi l'expression "Dieu est vivant" comme étant l'équivalent de "Dieu existe", ce n'est pas parce que je ne suis pas au courant des débats théologiques actuels ou parce que j'ai rencontré quelqu'un qui, convaincu de la vérité de la Bible, croit à l'existence d'un univers à trois étages. Si je l'ai choisie, c'est pour pouvoir aborder le problème que pose la théologie nouvelle : la négation de l'existence de Dieu tel que l'entend la perspective biblique historique. Nous devons avoir le courage de dire que Dieu est vivant ou, pour parler autrement, que Dieu est l'ultime réalité et qu'il a créé toutes choses.

Notons bien qu'en disant que Dieu est vivant, nous disons que Dieu existe et nous ne nous contentons pas de prononcer le mot ou l'idée "dieu". Nous parlons de la relation normale avec le Dieu vivant qui existe. Pour comprendre les problèmes de notre génération, il faut être sensible à cette distinction.

La sémantique (ou analyse linguistique) est au centre de l'étude de la philosophie moderne dans les pays anglo-saxons. Pour nous, chrétiens, cette discipline ne constitue pas une véritable philosophie; cependant, nous nous réjouissons de l'importance accordée à la définition des mots en vue d'une meilleure communication. En tant que chrétiens, nous devons comprendre qu'aucun mot n'est aussi vide de sens que le mot "dieu" tant qu'il n'est pas défini. Aucun mot n'a été autant utilisé que lui pour enseigner des concepts absolument opposés. Ne restons donc pas dans la confusion. Il existe aujourd'hui, autour de nous, de nombreux types de "spiritualité" qui se rattachent au mot ou à l'idée "dieu", ce n'est pas de cela que nous parlons. La vérité et la spiritualité bibliques consistent, non pas en une relation avec le mot ou l'idée "dieu", mais en une relation avec celui qui est omniprésent; c'est une notion entièrement différente.

Suite au débat sur Dieu, surgit la seconde question fondamentale de notre génération : celle de l'homme. "Qui suis-je ou que suis-je?" Pour qu'une relation pleine de sens existe entre Dieu et l'homme, ces deux questions doivent recevoir une réponse.

"Qui est le Dieu vivant?" et "Qui suis-je?" La réponse donnée à ces interrogations affectera profondément l'idée que nous nous faisons de la nature de la relation entre Dieu et l'homme; celle-ci pourra être mécanique ou déterminée, ou bien encore, ce qui est infiniment plus beau, personnelle.

De nombreuses personnes, aujourd'hui, se débattent avec la question: "Quel est le but de la vie humaine?" En fait, l'homme moderne ne lui a trouvé, dans aucun des domaines de sa pensée, de réponse satisfaisante. Qu'il l'ait cherchée dans le rationalisme ou dans le saut dans le vide du mysticisme moderne, profane ou théologique, l'homme du XXe siècle demeure dans une impasse.

Lorsque l'on me demande quelle est la réponse chrétienne à cette question, je renvoie toujours au premier commandement du Christ. Notons, en passant, qu'il n'y a aucune raison de penser que ce commandement "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force" (Marc 12:30; Deutéronome 6:5) ait été prononcé pour la première fois par Jésus; nous savons, en effet, qu'il n'en est pas ainsi, puisque Jésus l'a cité du dernier livre de Moïse, le Deutéronome. Mais nous pouvons ajouter que ce commandement est certainement le premier, parce qu'il indique quel est le but de la vie de l'homme et qu'il donne son sens à ma propre vie.

Mais il ne suffit pas de citer ce commandement; car sans réponse donnée par le christianisme historique, à savoir que Dieu existe réellement, une telle citation ne peut représenter pour le chercheur honnête qu'un cliché, qu'une "réponse religieuse" de plus, conforme à la mentalité du XXe siècle; impossible de le blâmer s'il cesse d'écouter. Lorsque j'entends le premier commandement d'aimer le Dieu vivant de tout mon être, cela suppose une vision globale de la vie et de la vérité. On ne peut aimer qu'un Dieu qui existe, qui est personnel et que l'on connaît. Aussi que ce Dieu communique sa pensée est-il de la plus grande importance. Mais ce commandement apporte plus encore : il m'enseigne quelque chose de fondamental et de magnifique sur moi-même.

Il y a vraiment lieu de s'émerveiller que nous puissions comprendre les dilemmes de notre génération. Si vous pouviez voir les hommes et les femmes sensibles qui viennent à notre chalet, en Suisse, pour poser ces questions dans une attente profonde, vous vous rendriez compte combien il est électrisant de savoir qui on est.

Pour la mentalité moderne, il est tout à fait renversant d'apprendre qu'il n'y a rien d'absurde dans l'invitation à aimer le Dieu qui existe et que les natures mêmes de Dieu et de l'homme rendent cette proposition plausible. Ceux qui comprennent tout ce que cela implique n'écarteront pas cette perspective en disant: "j'entends répéter cela depuis mon enfance". La nature du Dieu vivant est telle qu'il peut être aimé, et ma nature est telle que je peux aimer. Aussi ce premier commandement, en énonçant le but fondamental de la vie de l'homme, est-il tout le contraire d'une déclaration absurde. Je sais ce qu'est l'homme et je sais qui je suis. C'est absolument merveilleux!


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