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Dieu - Illusion ou réalité ?

par Francis Schaeffer

TITRE IV - LE CHRISTIANISME HISTORIQUE AU XXe SIECLE

CHAPITRE 1 - Trouver le point de tension

Communiquer avec l'un de ses semblables

Communiquer signifie qu'une idée qui est dans mon esprit passe par mes lèvres (ou par mes doigts, dans la plupart des arts) et atteint l'esprit d'une autre personne. La communication est bonne si cette idée demeure essentiellement la même à l'arrivée. Cela signifie, non pas qu'elle est tout à fait la même, mais que le récepteur a substantiellement compris ce que je veux lui transmettre. Les mots sont seulement un des outils qui servent à exprimer les idées que nous voulons communiquer; en les utilisant, nous n'avons pas l'intention de transmettre uniquement une succession de sons verbaux.

Plusieurs sortes de problèmes peuvent se poser. Le plus évident est celui qui surgit entre groupes linguistiques différents. Si nous voulons parler à quelqu'un, nous devons commencer par apprendre sa langue.

Un autre problème tient à ce que la langue évolue au cours de l'histoire: les mots ne gardent pas la même signification qu'autrefois. Le langage change tout naturellement de sens au fur et à mesure que le temps passe et cela est spécialement vrai, aujourd'hui, en raison des grandes différences apparues de part et d'autre de la "ligne du désespoir".

Une autre barrière surgit lorsqu'il s'agit de parler à des personnes appartenant à un autre milieu social que le nôtre, par exemple à ceux qui font partie du Quart Monde.

Aucun des problèmes évoqués jusqu'ici ne se résolvent automatiquement. Ils exigent que nous prenions le temps et la peine d'apprendre comment nos interlocuteurs s'expriment si nous voulons qu'ils nous comprennent. Ceci est particulièrement difficile, de nos jours, pour les chrétiens qui veulent employer des mots comme "Dieu" ou comme "culpabilité" dans leur vrai sens, et non avec leur connotation moderne universellement reconnue. Il convient, soit d'essayer de trouver un synonyme dépourvu de fausse connotation, soit de définir soigneusement le terme employé afin d'être assuré que notre auditeur comprendra, aussi bien que possible, ce que nous voulons lui dire. Dans ce dernier cas, nous n'employons plus un terme technique en tant que tel, mais nous nous accordons sur une définition.

Si le mot (ou la phrase) utilisé habituellement n'est qu'un cliché "évangélique" transformé en terme technique entre chrétiens, il faut être prêt à l'abandonner hors de ce petit cercle. Si, en revanche, un mot comme "Dieu" est indispensable, nous devons l'expliquer assez longuement pour être bien compris. L'utilisation de termes techniques insuffisamment définis risque de conduire ceux du dehors à ne pas entendre le message chrétien, et de faire de nous, dans nos Eglises et dans nos oeuvres missionnaires, un groupe linguistique introverti et isolé.

En examinant plus en détails comment parler aux hommes du XXe siècle, il apparaît tout d'abord qu'il est impossible d'appliquer mécaniquement des règles. Plus que n'importe qui, nous devons le comprendre, puisque, comme chrétiens, nous croyons à l'existence et à l'importance de la personnalité. Certes, des principes généraux existent, mais leur application ne doit pas être automatique. Si nous sommes vraiment des êtres personnels créés par Dieu, chacun diffère de l'autre, et chaque homme doit être considéré comme un individu et non comme un cas, ou comme un élément de statistique, ou comme une machine. Si nous voulons œuvrer auprès de nos contemporains, il est exclu d'appliquer mécaniquement tout ce dont nous avons parlé dans ce livre. Il convient plutôt de nous tourner vers Dieu et, dans la prière, de nous en remettre à l'action du Saint-Esprit pour que toutes ces vérités soient utilisées de façon efficace.

N'oublions pas non plus que la personne à laquelle nous parlons, si éloignée soit-elle de la foi chrétienne, est à l'image de Dieu et a une grande valeur. Notre communication avec elle doit être empreinte d'un véritable amour. Aimer n'est pas chose facile et ne consiste pas en un simple attrait d'ordre sentimental. Aimer, c'est essayer de se mettre à la place de l'autre et de comprendre comment il perçoit ses propres problèmes. Aimer quelqu'un, c'est éprouver pour lui un véritable intérêt et, comme Jésus-Christ le rappelle, l'aimer "comme nous-mêmes". C'est par là qu'il faut commencer. Nous faisons donc fausse route si nous "témoignons" par devoir ou sous la pression de notre environnement. Nous témoignons de notre foi parce que la personne qui est devant nous est à l'image de Dieu et parce qu'elle est unique. Communiquer de cette manière n'est pas aisé. Comprendre les hommes et les femmes du XXe siècle, tout à la fois sincères et en pleine confusion, et leur parler exigent de grands efforts. C'est fatigant, cela nous expose à des tentations et nous soumet à des pressions. En bref, l'amour véritable suppose la volonté d'être totalement transparent pour notre vis-à-vis.

Notre interlocuteur est de la même nature que nous. Pourtant la Bible enseigne qu'il y a deux humanités : celle qui est encore en révolte contre Dieu et celle qui est réconciliée avec lui par Jésus-Christ. Cependant, il est bien vrai que Dieu "a fait que toutes les nations humaines, issues d'un seul homme, habitent sur toute la face de la terre." (Actes 17:26) Cela signifie, non pas simplement que la race humaine est biologiquement une, au sens qu'elle peut se reproduire, mais que nous descendons tous d'Adam, notre ancêtre commun. Aussi, affectivement et intellectuellement, devons-nous considérer la personne qui est devant nous comme appartenant à la même espèce que nous. Elle est un autre nous-mêmes; elle est perdue comme nous l'étions aussi autrefois. Nous sommes de la même chair, du même sang, de la même espèce.

Enfin, il doit être clair que la personne à qui nous parlons est un ensemble composite, et que nous ne nous occupons pas seulement de la partie de son être appelée "âme" pour essayer de l'amener au ciel. La Bible enseigne l'unité de la personne humaine, et cela doit être perceptible aussi bien dans notre attitude que dans nos paroles.

Conclusions logiques

Envisageons maintenant quelques-uns des principes généraux à suivre pour communiquer avec l'homme du XXe siècle.

Rappelons-nous que tout interlocuteur, qu'il soit vendeur ou étudiant, admet une série de présuppositions, que celles-ci aient été analysées ou non. Dans le schéma ci-après, le point représente les présuppositions d'un non- chrétien et la flèche leur conclusion logique.

 

Si quelqu'un est totalement conséquent, en pensée et en actes, avec ses propres présuppositions, il se situe tout à fait à droite sur la ligne.

En fait, aucun non-chrétien n'y parvient pour la simple raison qu'un être humain doit vivre dans la réalité et que celle-ci se compose de deux parties : le monde extérieur avec sa structure, et la nature humaine. Qu'importe ce qu'il croit, il ne peut pas changer la réalité telle qu'elle existe objectivement. Or, puisque le christianisme rend compte de celle-ci avec vérité, le rejeter en s'appuyant sur un autre système équivaut à s'écarter du monde réel.

Aussi chaque homme, quel que soit son système, se trouve-t-il enfermé dans un dilemme. En essayant d'être conséquent, intellectuellement et pratiquement, il est en quelque sorte pris au piège. Sans dire pour cela que sa psychologie ou sa philosophie soit juste, Carl Gustav Jung a bien vu que deux choses contrecarrent la volonté de l'homme: le monde extérieur avec sa structure, et tout ce qui jaillit du fond de son être. Les présuppositions non-chrétiennes ne cadrent absolument pas avec ce que Dieu a fait, en particulier avec la nature de l'homme.

Tout être humain connaît donc une situation de tension; il ne peut pas fabriquer son propre univers et y vivre. C'est ainsi que Picasso n'a pas été capable de se mettre à la place de Dieu et de façonner son propre monde, même sur la toile, et, en même temps, de communiquer avec les personnes qui regardent sa peinture. Mais problème plus profond encore, s'il avait été logique jusqu'au bout, Picasso n'aurait même pas pu communiquer sérieusement avec lui-même. Il se serait séparé non seulement du monde réel, mais de son "moi" réel.

La Bible va plus loin lorsqu'elle affirme que, même en enfer, personne ne peut aller jusqu'au bout de sa pensée non-chrétienne: "si je me couche au séjour des morts (enfer), t'y voilà." (Psaume 139:8)

En enfer, la communion avec Dieu est rompue; et personne ne pourra s'y fabriquer, dans une zone limitée, son propre univers. Là encore, l'homme se trouvera dans l'univers de Dieu. Ainsi, même en enfer, il ne peut pas être conséquent avec ses présuppositions non-chrétiennes.

Il en est de même dans la vie présente. Aucun individu, ou groupe, non-chrétien ne peut être conséquent en théorie et en pratique avec ses principes. L'homme du XXe siècle – célébrité ou passant anonyme, universitaire ou docker – vit dans un état de tension qui joue en faveur de l'action des chrétiens. Si la Parole de Dieu et mon expérience ne m'avaient pas appris tout cela, je n'aurais jamais eu le courage de m'aventurer dans les milieux que je fréquente. Une personne peut essayer de cacher cette tension et il faudra peut-être l'aider à la découvrir; car il est certain qu'il y a, quelque part, en elle un point à propos duquel elle est inconséquente. Elle est dans une position qu'elle ne peut tenir jusqu'au bout, non pas seulement intellectuellement, mais parce que son humanité même est en cause.

Tiraillé entre deux logiques

L'apologétique chrétienne ne commence pas quelque part au-delà des étoiles. Elle commence avec l'homme et ce qu'il sait de lui-même. Quand celui-ci est perdu, il est perdu envers et contre tout ce qui existe objectivement, y compris lui-même. C'est pourquoi, lors du jugement final, Dieu n'aura qu'à faire appel à ce qu'il a connu du monde extérieur et de sa propre humanité pour lui montrer la fausseté de sa position. Sur le plan moral, il suffira de le juger selon les normes qu'il aura lui-même établies pour condamner les autres, car – Paul le montre clairement – il se met lui-même à transgresser délibérément ses propres normes. (Romains 1:32-2:3)

Votre interlocuteur n'est donc pas en suspension dans le vide. Il n'ignore pas tout du monde extérieur et de lui-même.

Chaque homme se trouve quelque part sur la ligne qui va du monde extérieur à la conclusion logique de ses présuppositions non-chrétiennes (voir schéma ci-dessus). Chaque être humain se sent écartelé entre deux logiques: celle qui l'entraîne vers le monde extérieur et celle qui l'entraîne vers son système. Il peut laisser osciller le pendule entre les deux, mais il ne peut pas vivre à la fois dans les deux. Il vivra plus près de l'une ou de l'autre selon l'intensité de leur attraction à un moment donné. Avoir à choisir entre une logique ou l'autre est un véritable enfer. Plus le non-chrétien est logique avec ses présuppositions, plus il s'éloigne du monde réel; plus il est proche de celui-ci, plus il est inconséquent.

Les tensions sont ressenties avec plus ou moins d'intensité

Nous avons dit que chaque être humain, intelligent ou non, stationne quelque part sur la ligne qui le conduit à la conclusions logique de la position (vois schéma). Cetains sont prêts à aller plus loin que d'autres et ainsi, en s'éloignant davantage du monde réel, à être plus conséquensts. Voici comment se situent les existensialistes Camus et Sartre:

Sartre a dit de Camus qu'il n'était pas assez conséquent avec leurs présuppositions communes. Camus, en effet, n'a jamais renoncé à l'espoir, espoir lié à un bonheur personnel qu'il devait au hasard. Par ailleurs, comme cela a été souligné lorsqu'il reçut le prix Nobel, il n'a pas cessé d'espérer trouver une morale, bien que le monde lui ait paru dépourvu de sens. Telles sont les deux raisons pour lesquelles les intellectuels ont préféré Camus. Celui-ci n'est pas arrivé à bien comprendre le monde réel, comme on le voit dans son livre La Peste, mais il en a été plus proche que Sartre.

Sartre a eu raison de dire que Camus n'était pas conséquent avec leurs présuppositions, mais il ne l'a pas été davantage lui-même. En signant le Manifeste algérien, c'est-à-dire en adoptant une attitude réellement morale, lui aussi a été inconséquent. Il est donc également dans une situation de tension. Chaque personne peut aller et venir, selon les circonstances, sur la ligne (voir schéma ci-dessous), mais la plupart du temps elle se stabilise, plus ou moins, en un certain point. Tout non-chrétien, qu'il dorme sous les ponts de Paris ou dans un appartement bourgeois, se trouve forcément sur cette ligne.

 

Rien n'est moins abstrait; chaque être humain a été créé à l'image de Dieu et connaît un conflit intérieur dû au fait que certains éléments de sa nature font écho au monde réel. Il y a autant de normes morales que de cultures, mais personne n'est dépourvu d'aspirations morales. Suivez une jeune fille à la mentalité moderne; son comportement vous paraîtra, sans doute, complètement amoral. Pourtant s'il vous arrivait de la connaître, vous découvririez qu'à certains égards, elle a un certain sens moral. L'amour peut revêtir bien des formes et tous les êtres humains agissent, une fois ou l'autre, par amour. Les raisons pour le faire varient selon les individus : pour certains, ce sera la beauté, pour d'autres le sens donné à la vie, ou la rationalité, ou la peur du néant.

L'homme moderne essaye de supprimer sa tension intérieure en disant qu'il n'est qu'une machine. S'il en était ainsi, il n'éprouverait aucune difficulté à progresser sur la ligne (voir schéma ci-dessus) jusqu'à la conclusion logique de ses présuppositions non- chrétiennes. Mais, quoi qu'il en dise, il n'est pas une machine!

Supposons qu'une caméra capable de tout photographier se trouve dans un satellite placé sur orbite autour de la terre et que toutes les informations recueillies soient ensuite transmises à un ordinateur géant que l'on n'aurait pas besoin de programmer; cet ordinateur pourrait calculer que tout s'est passé de façon mécanique. Mais le dernier observateur n'est pas un ordinateur; c'est un homme, une personne qui – je le sais bien parce que je me connais – ne peut pas tout analyser à la manière d'une machine.

Que les chrétiens fassent maintenant très attention. Si la Bible affirme que les hommes sont perdus, elle ne dit pas qu'ils ne sont rien. Aussi lorsqu'un être humain prétend qu'il est soit une machine, soit rien, il a une conception de lui-même inférieure à la conception biblique de l'homme déchu.

Notre effort apologétique auprès d'un de nos contemporains, ouvrier ou chercheur, consistera d'abord à localiser son conflit intérieur. Cela ne sera pas toujours facile. Bien des personnes n'ont jamais analysé leur point de tension particulier. Depuis la Chute, l'homme est divisé contre lui-même; c'est un être complexe qui essaye de se tromper lui-même. Il faudra donc passer du temps et prendre beaucoup de peine pour découvrir ce que notre vis-à-vis ignore encore de lui- même. Aussi, en comptant sur l'action du Saint-Esprit, devons-nous faire preuve de beaucoup d'amour à son égard lorsque nous tentons de mettre en évidence son point de tension.

 


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