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Dieu - Illusion ou réalité ?

par Francis Schaeffer

TITRE III - Christianisme historique et théologie nouvelle

CHAPITRE 4 - La réponse de Dieu au dilemne de l'homme

La solution chrétienne permet de comprendre qu'il existe de véritables absolus moraux. Au-delà de Dieu, il n'y a pas de Loi, parce que Dieu est l'ultime réalité. Les absolus moraux sont fondés sur la nature de Dieu. La création, telle que Dieu l'a faite à l'origine, était conforme à sa nature. Les commandements qu'il a donnés aux hommes en sont l'expression. Les hommes ayant été créés à l'image de Dieu doivent choisir de vivre en se conformant à ce qu'il est. Est moral tout ce qui est en accord avec la nature de Dieu; est immoral tout ce qui s'y oppose.

Dieu peut avoir connaissance de choses qui ne se sont pas encore passées. Par exemple: Dieu savait tout ce qui concernait Eve, mais Eve n'a pas réellement existé jusqu'au jour de sa création. Il en va de même dans le domaine de la moralité. Quand l'homme pèche, il contrevient à la loi morale de l'univers; il est, par conséquent, selon cette loi, moralement coupable. Puisque l'homme en agissant à l'encontre de la nature de Dieu est coupable devant le législateur de l'univers, son péché est important ainsi que sa responsabilité morale dans une histoire qui a un sens. L'homme a une culpabilité morale véritable. Sur ce point, la pensée moderne est totalement différente: elle affirme que les actes n'induisent pas de culpabilité et qu'ils n'ont, par conséquent, aucune signification morale. Même les actes les plus pervers en sont dépourvus. En définitive, "bonnes" ou "mauvaises", les actions n'ont aucune valeur, conception qui contribue fortement à conférer, dans la mentalité moderne, la même valeur nulle à l'homme.

Le christianisme affirme que l'homme est une créature morale créée à l'image du Créateur, qu'il y a une loi dans l'univers et que, si cette loi est violée, l'homme est coupable. Dès lors, la responsabilité de l'homme est importante aussi bien par rapport à Dieu que par rapport à ses semblables. La pensée moderne non-chrétienne nie la légitimité d'absolus moraux, s'abstient du moindre commentaire moral sur les actions humaines et en vient à placer sur le même plan les actes cruels et ceux qui ne le sont pas. Ainsi, non seulement la notion de péché est amoindrie par rapport à la notion biblique, mais l'homme lui-même est rabaissé au-dessous de la condition de l'homme coupable de la Bible.

Si elle est admise, la pensée moderne ne fournit plus de réponse au dilemme de l'homme: l'homme est ce qu'il était à l'origine et ce qu'il sera toujours. En revanche, l'explication, qui fait de l'homme un agent responsable dans l'univers et qui relie son dilemme à la Chute, offre une issue possible à ses problèmes

S'il existe une véritable culpabilité morale face à un Dieu personnel (et non un état métaphysique du type "ce qui est et a toujours été"), une solution venant de Dieu n'est peut-être pas impossible. Et Dieu dit effectivement à l'homme qu'il y a une solution: "Je suis saint et je suis amour; dans mon amour, j'ai aimé le monde et je lui ai envoyé mon Fils". C'est dans l'histoire, sur la croix du Calvaire, dans l'espace et dans le temps, que Jésus est mort. Aussi ne faut-il jamais parler de la mort de Jésus sans la relier à sa personne, qui est la seconde et éternelle personne de la Trinité. Quand Jésus est mort, la séparation causée par la révolte de l'homme s'est produite à l'intérieur même de la Trinité; c'est là que la véritable culpabilité morale a été effacée par la valeur infinie – expiatoire, propitiatoire et substitutive – de la mort de Jésus. Jésus a pu dire: "Tout est accompli".

Il est un verset, Romains 3:26, que nous sommes tentés de lire trop vite, parce qu'il se trouve, dans cette épître, au milieu des trois premiers chapitres consacrés à exposer, d'abord, les raisons de la perdition de l'homme, et ensuite la solution offerte par la mort expiatoire de Jésus-Christ. Paul y dit: "de manière à être reconnu juste, tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus" (il faut insister sur la force de la construction grecque "tout en justifiant"). D'un côté, à cause de la valeur infinie de la mort du Christ, Dieu n'a pas à renoncer à ce qui le caractérise de façon absolue, à savoir qu'il est un Dieu saint; de l'autre, il n'est pas obligé de dénier toute importance à l'homme afin de pouvoir lui pardonner sa faute et de rétablir la relation qui a été brisée entre eux. C'est là exactement le contraire du saut dans le vide – véritable négation de l'antithèse et de tout sens – que propose l'homme moderne en affirmant qu'il faut croire, contre toute raison, que Dieu est amour. Un ordre moral absolu subsiste et il y a une solution au dilemme de l'homme.

L'alternative de "La Peste" n'est pas nécessaire

Quatre éléments importants sont mis en évidence dans la solution biblique.

Premièrement, le Dieu vivant est un Dieu bon.

Deuxièmement, un espoir existe de trouver une solution au dilemme de l'homme.

Troisièmement, la morale a un fondement solide. Jamais personne n'est parvenu à établir un comportement moral en dehors de tout absolu. Sans absolu, en effet, il ne reste que l'hédonisme (faire ce qui me plaît) ou tel ou tel type de "contrat social" (est bien ce qui est le meilleur pour la société). Ni l'une, ni l'autre de ces deux solutions ne correspond chez l'homme à ses intuitions morales ou à ce qu'il entend par valeur éthique. Sans absolus, pas de morale en tant que telle, et aucun absolu n'a surgi de la solution humaniste qui prend l'homme comme point de départ. Cependant, parce que le Dieu de la Bible est vivant, il existe une morale véritable et, dans cette perspective, il n'est pas absurde d'affirmer que telle action est bonne et telle autre mauvaise.

Quatrièmement, combattre le mal est légitime. Le chrétien n'est jamais placé devant le dilemme décrit dans La Peste de Camus. Il est faux de poser qu'il est, soit aux côtés du médecin pour combattre la peste et se trouver ainsi contre Dieu, soit avec le prêtre, du côté de Dieu, dans une attitude inhumaine de refus face au combat contre la peste (voir chap. précédent). Si, dans la vie, tel était le choix, cela serait vraiment dramatique. Mais il n'en est pas ainsi. Rendons-nous à la tombe de Lazare. Lorsque Jésus y arriva, il ne s'est pas contenté de pleurer, il était en colère contre la mort et l'état anormal du monde, contre la destruction et la détresse dues au péché. Pour employer les mots de Camus, Jésus haïssait la peste. Il a affirmé être Dieu et il a pu haïr la peste sans se haïr lui-même.

Un chrétien peut faire preuve de compassion en combattant le mal dans le monde; il sait que, comme lui, Dieu l'abhorre et cela au point qu'il en a payé le prix élevé de la mort du Christ.

Comment, dans un monde où il n'y a aucun absolu, pourrait-on lutter contre l'injustice sociale du moment, si on est incapable de dire en quoi celle-ci consiste? Quel critère permettra de distinguer le bien du mal, afin de ne combattre que ce dernier? Ne risque-t-il pas d'arriver que j'approuve le mal et piétine le bien? Le mot "amour" ne me sera d'aucun secours, car, dans le système humaniste, l'amour peut être dépourvu de signification précise. Par contre, lorsque nous comprenons que le Christ, venu pour frapper à mort "la peste", a en même temps pleuré et ressenti de la colère en constatant ses effets, nous avons, pour mener le combat, un motif qui ne doit rien à nos dispositions passagères ou à un consensus changeant.

Le chrétien a, lui aussi, besoin d'être rappelé à l'ordre en ce domaine. Etre le seul à avoir un modèle absolu pour combattre le mal n'implique pas obligatoirement qu'il voudra le suivre. Le chrétien est le véritable révolutionnaire de notre temps, car il s'élève contre le relativisme ambiant; il croit à l'unité de la vérité. Mais, trop souvent, au lieu de se dresser en révolutionnaire contre les sables mouvants du relativisme, il se contente de maintenir le statu quo. S'il est bien vrai que le mal est le mal, que Dieu le hait tellement qu'il est allé jusqu'à la croix, qu'une loi morale fondée sur la nature même de Dieu existe, les chrétiens devraient être les premiers à se jeter dans la lutte contre le mal, notamment contre l'inhumanité de l'homme envers son prochain.

 


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