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Dieu - Illusion ou réalité ?

par Francis Schaeffer

TITRE II - THEOLOGIE NOUVELLE ET CLIMAT INTELLECTUEL

CHAPITRE 1 - Le cinquième palier: La théologie

Abandon du christianisme biblique

La théologie existentialiste moderne et l'existentialisme athée ont tous deux leur origine en Kierkegaard. Leur point commun fondamental est le saut de la foi. Si la théologie constitue notre dernier palier, cela ne signifie nullement qu'elle échappe au consensus culturel que nous avons examiné.

Des différences existent à l'intérieur de la théologie nouvelle: par exemple, entre la néo-orthodoxie et le néo-libéralisme inspiré par le nouvel Heidegger. Si nous voulons accomplir un travail scientifique, nous devons en tenir compte; mais si nous négligeons ainsi le lien qui les unit, nous ratons l'essentiel.

A l'époque de la Réforme, les Réformateurs ont eu à faire face à un système fermé. Ils n'ont pas dit qu'il n'y avait aucun chrétien au sein de l'Eglise catholique romaine et ils se sont gardés d'affirmer que les divers Ordres catholiques romains avaient tous le même enseignement et insistaient sur les mêmes points de doctrine. Ils ont compris, en effet, qu'un système fondamental unique reliait entre elles, de façon sous-jacente, toutes les parties de l'Eglise. C'est ce système en tant que tel qu'ils ont dénoncé comme erroné et en contradiction avec l'enseignement de la Bible.

Les "évangéliques" ont de nouveau à faire face à un consensus, à une méthodologie commune aux théologiens de tous bords. Il est certes possible de retenir certains aspects mineurs de leurs travaux; il y a, par exemple, de bonnes choses dans l'exégèse de Bultmann.

Cependant, ce n'est pas le lieu de formuler une appréciation ambiguë qui laisserait croire que le désaccord ne porte que sur des détails; il importe plutôt de bien se rendre compte que c'est leur système en tant que tel qui est inacceptable.

De même que Senghor a montré que l'élément fondamental du marxisme n'était ni sa théorie économique, ni son athéisme, mais sa méthode dialectique, nous disons que ce qui unifie la théologie nouvelle, c'est sa mauvaise méthodologie. Son concept de vérité est faux; aussi ce qui sonne juste chez elle a-t-il souvent, en fait, une signification totalement différente de ce qu'affirme, dans les mêmes termes, le christianisme historique. C'est donc faire preuve de naïveté que d'ouvrir un débat théologique sérieux avant d'avoir précisé quelle est la notion de vérité retenue.

La théologie a suivi le même processus que la philosophie, mais avec quelques décennies de retard. Jusqu'à Hegel, les rationalistes ont encore essayé de tracer des cercles qui englobent toute la vie. Puis survint la "ligne du désespoir". Le naturalisme théologique a suivi cette évolution de près. Au début, les théologiens libéraux allemands ont accepté le présupposé de la permanence du principe de causalité à l'intérieur d'un système clos, et ils ont rejeté tout miraculeux et tout surnaturel, y compris dans la vie de Jésus-Christ. Après quoi, ils ont encore espéré trouver un Jésus historique d'une manière rationnelle, objective et scientifique, en écartant les aspects surnaturels de sa vie et en ne conservant que ce qui est "vraiment historique".

Mais ils ont échoué de la même manière que les philosophes rationalistes. Ils se sont trouvés, eux aussi, enfermés dans une pièce circulaire, sans issue. Leur recherche du Jésus historique était vouée à l'échec, car le surnaturel est tellement mêlé à tout dans sa vie qu'en enlevant le surnaturel, il ne restait plus de Jésus historique! S'ils ôtaient le surnaturel, il n'y avait plus de Jésus historique et s'ils gardaient le Jésus historique, il fallait conserver aussi le surnaturel.

Après leur échec, ils avaient le choix entre deux décisions s'ils voulaient rester dans le domaine du rationnel et du logique. Soit abandonner leur rationalisme et en revenir à la théologie biblique de la Réforme qu'ils ont rejetée à partir de présuppositions naturalistes; soit devenir nihilistes dans leur manière de penser et de vivre leur vie. Ils n'ont choisi ni l'un, ni l'autre des termes rationnels de cette alternative; ils se sont décidés, à l'exemple des philosophes, pour une troisième solution qui, auparavant, aurait paru impensable aux gens cultivés, et qui a consisté à diviser le concept de vérité.

Pourquoi la théologie a-t-elle suivi la philosophie dans son évolution? Pour deux raisons: en premier lieu, le vieux rationalisme optimiste n'a pas réussi, après avoir rejeté le miraculeux, à présenter un Jésus historique crédible; en second lieu, étant habitués à considérer comme normatif le mode de penser de leur entourage, les théologiens ont suivi la démarche de la philosophie lorsqu'elle a changé de direction.

Le vieux libéralisme n'a pas été détruit par la néo-orthodoxie, même si l'enseignement de Karl Barth a bien pu constituer l'ultime tremblement de terre contribuant à l'effondrement de l'édifice chancelant. En effet, celui-ci était déjà miné à l'intérieur. En d'autres termes, si Barth avait parlé cinquante ans plus tôt, il n'aurait sans doute pas été écouté.

La néo-orthodoxie n'a pas apporté de nouveauté. Elle n'a fait que dire en langage théologique ce que la philosophie existentialiste avait déjà dit en langage profane. On peut représenter cela de la façon suivante:

LE NON-RATIONNEL | Une expérience décisive fondatrice
ET LE NON-LOGIQUE | La foi, un saut optimiste invérifiable et incommunicable
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          LE RATIONNEL | L'Ecriture pleine d'erreurs.
         ET LE LOGIQUE | Le pessimisme.

Le saut de la foi de la néo-orthodoxie a placé celle-ci au niveau supérieur où elle a essayé de trouver ce qui pourrait donner sens et espoir à la vie. Normalement, les présupposés de cette foi auraient dû la conduire logiquement à se situer au niveau inférieur.

C'est ainsi que la théologie est passée, elle aussi, en dessous de la "ligne du désespoir" .

La théologie nouvelle a abandonné l'espoir de trouver un champ unifié de la connaissance. Aussi, en contraste avec la théologie résolument biblique et celle de la Réforme, est-elle une anti-théologie.

Vue sous cet angle, il est aberrant d'étudier la théologie nouvelle comme si elle était une discipline indépendante. En 1966, j'ai donné une conférence dans l'une des Facultés de Théologie les plus "évangéliques" du monde. En commençant, j'ai affirmé que, si nos théologiens américains avaient compris la signification de l'Armory Show de 1913, lors de la première exposition d'art moderne à New York, les grandes dénominations ne seraient pas tombées, dans les années 30, sous la domination des théologiens libéraux. A cette époque, les tendances qui devaient atteindre beaucoup plus tard la théologie se profilaient dans le domaine artistique. Voilà pourquoi j'ai indiqué, plus haut, l'importance de l'année 1913. Si les chrétiens avaient compris le message des oeuvres d'art exposées à l'Armory Show, ils auraient saisi une magnifique occasion d'être en avance sur leur époque au lieu de rester à la traîne. La théologie conservatrice n'a pas encore rattrapé ce retard, ayant été trop provinciale et à l'écart du courant général de pensées.

Karl Barth (1886-1968) a fait franchir la "ligne du désespoir" à la théologie. Il est demeuré attaché aux théories de la haute critique (négative) libérale, mais par un saut, il a cherché à contourner l'option rationnelle: ou un retour à l'historicité de l'Ecriture, ou l'acceptation du pessimisme. Après la première édition de son commentaire de l'Epître aux Romains, il n'a plus reconnu sa dette à l'égard de Kierkegaard. Mais, comme il a accepté les théories de la haute critique, son "saut" est resté à la base de ses solutions optimistes. Ultérieurement, lorsque ses disciples eurent poussé plus loin ses idées, il s'est désolidarisé de leurs conclusions logiques. Quoi qu'il en soit, Karl Barth a ouvert la voie au saut existentialiste en théologie comme Kierkegaard a ouvert celle de l'existentialisme en général. Et comme dans les autres disciplines, l'épistémologie a subi un profond changement.

Barth a eu beaucoup de disciples, tels Reinhold Niebuhr et Paul Tillich. Des différences existent entre eux sur des points de détail, mais leur combat est le même: c'est le combat de l'homme moderne qui a renoncé à l'idée qu'il existe un champ unifié de la connaissance. En ce qui les concerne, ces théologiens ont dissocié la vérité religieuse de la science, d'une part, et de l'histoire, d'autre part. Leur nouveau système ne peut pas être soumis à vérification, il appelle seulement la foi. Ainsi le véritable problème que pose maintenant la théologie nouvelle est, non seulement, sa notion de l'Ecriture qui reste "libérale", mais aussi sa vision éclatée de la vérité.

 

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