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1. Roboam - Faible, face à un lourd héritage

Sous les règnes de David et de Salomon, Israël était parvenu a 1'apogée de sa puissance mi1itaire et de sa renommée, alors que son splendide temple avait porté Jérusalem au pinacle de la gloire. Qui aurait songé alors à un soudain éclatement du royaume et à ce qu'un fossé doive se creuser pour des siècles entre le sud et le nord, entre la monarchie de David à Jérusalem et les roitelets qui se succéderont sur le trône chancelant érigé en Samarie?

Mais, dix siècles avant J.-C. comme vingt siècles après lui, promesses électorales ou intrigues politiciennes ne sauraient modifier d'un iota les décrets du Tout-Puissant, seul digne de gérer la géopolitique. L'euphorie du règne de Salomon ne pouvait que paver la route au marasme dans lequel plongèrent les deux royaumes, issus d'un schisme que la grave immoralité de la cour de Salomon avait rendu inévitable.

Mais Dieu ne juge jamais sans en avoir prévenu ceux que, dans sa patience, il voudrait encore arracher à un châtiment pourtant mérité. Salomon était encore sur son trône que Dieu l'avertissait personnellement (1 R 11:11) des conséquences de son idolâtrie, puis une seconde fois par le sévère message confié par Achija de Silo à son rival, le futur roi Jéroboam (1 R 11:29-40).

Déjà ce prophète avait utilisé le langage des paraboles (cf Es 6:9-10; Mt 13:11-15) - réservé aux apostats - pour faire connaître ses desseins pour le proche avenir: par un manteau déchiré en douze parts, il avait annoncé le schisme des dix tribus, se détachant non seulement de la maison de Juda, mais du temple de l'Eternel et du culte qui lui était dédié (1 R 11:30-31). Cette prophétie entra en voie de réalisation le jour-même de l'avènement de Roboam, le fils de Salomon.

Comment Roboam manqua de force

Si le roi Salomon eut jusqu'à 700 princesses et 300 "épouses de second ordre" dans son harem (1 R 1:3), il a probablement engendré de nombreux enfants.

Toutefois aucun d'eux n'est mentionné dans les annales bibliques de son règne, ce qui n'avait pas été le cas pour la maison de David. Salomon était-il tellement absorbé par les fastes de sa cour immorale qu'il ne songeait pas à l'avenir? Ou bien éprouvait-il une certaine hésitation à désigner son successeur, comme il le laissa entendre dans le livre de l'Ecclésiaste: "J'ai haï tout le travail que j'ai fait sous le soleil, et dont je laisse la jouissance à l'homme qui me succédera. Et je ne sais s'il sera sage ou insensé. Cependant il sera maître de tout mon travail et de tout le fruit de ma sagesse sous le soleil. C'est encore là une vanité" (Ec 2:18-19).

Toujours est-il qu'après le règne de Roboam, l'un de ses descendants analysera cette situation en ces termes: "Roboam était jeune et craintif, et il manqua de force..." (2 Ch 13:7).

Il eût fallu au contraire un caractère fort et un monarque avisé pour réagir sainement devant la désintégration morale et la sédition qui minaient Israël depuis que Salomon avait abandonné son Dieu (1 R 11:14-40). Déjà, plusieurs coups d'Etat avaient été étouffés, et tandis que Roboam se berçait d'illusions, la révolte sourdait de toutes les couches de la société.

Aussi, dès qu'il monta sur le trône, dut-il affronter une délégation conduite par Jéroboam, l'ennemi invétéré de son père: "Ton père a rendu notre joug dur; maintenant allège cette rude servitude et le joug pesant que nous a imposé ton père. Et nous te servirons" (1 R 12:4).

Peut-être l'exorbitant train de vie et l'opulence déplacée de la cour de Salomon avaient-ils excédé le peuple, déjà fatigué par les "corvées" (cf. 1R 9:21-23) inhérentes à tant de constructions audacieuses ou, sur le plan commercial, à ses conquêtes sur les marchés internationaux (cf. 1 R 9:10-28). Toujours est-il que la démarche de Jéroboam reflète le malaise grandissant d'une population lassée de tant d'excès: "Allège cette dure servitude... ce joug pesant". Une démarche à laquelle les contemporains de Salomon ne sont pas insensibles puisqu'ils donnent au jeune roi ce conseil: "Si aujourd'hui tu rends service à ce peuple, si tu cèdes, et si tu leur réponds par des paroles bienveillantes, ils seront pour toujours tes serviteurs" (1 R 12:7).

Mais Roboam "manque de force" avant tout en refusant d'écouter les sages propos des vieillards qui avaient été les témoins des prodigieuses réalisations comme des regrettables incartades de son père, comme il a "manqué de force" en suivant l'avis "des jeunes gens qui avaient grandi avec lui" (1 R 12:6-10). Les conflits de génération ne datent pas de notre époque!

Les aînés, auxquels la vie a appris de dures leçons, croient bien faire en avertissant et guidant leurs enfants en fonction de ce qu'ils ont vécu. Mais le conseil des "vieillards" exaspère bien souvent ces adolescents qui, aujourd'hui, ont grandi sans mûrir, s'élançant vers tant de libertés excessives, que même les "soixante-huitards" ne les comprennent déjà plus!

Et l'on ne peut ni ne doit leur en vouloir: Que serions-nous devenus, nous les aînés, si dès notre enfance nous avions vécu une ambiance de licence absolue comme celle d'aujourd'hui?

Mais pour Roboam comme pour tant de jeunes qui de nos jours se proclament rois de toutes les libertés, les conseils des aînés eussent été salutaires.

Et ce qui est vrai pour la vie professionnelle l'est aussi pour la vie religieuse et spirituelle. Que nos vieux cantiques exaspèrent une génération envoûtée par le rythme, c'est compréhensible. Il n'empêche que, sinon la musique, le message de ces vieux cantiques répondrait précisément aux aspirations de beaucoup de jeunes souvent blasés, parce qu'ils ignorent leur véritable indigence spirituelle tout en étant avides de changement! Que dans tous les domaines, des méthodes périmées doivent impérativement être remplacées par d'autres plus adaptées, soit! Mais si les formes de vie ou les moyens d'éducation passent nécessairement par de radicales transformations, les principes bibliques, eux, ne datent jamais. Ne prouvent-ils pas leur éternelle jouvence par leur capacité à répondre aux besoins de chaque génération?

Roboam a manqué de force en délaissant les conseils des aînés et en se prêtant à celui de ses camarades de collège. Quel ministre contemporain ou quel patron ne se ferait pas lyncher, s'il haranguait ses concitoyens accablés d'impôts ou ses ouvriers revendiquant un salaire plus décent, en tenant les propos de Roboam: "Mon petit doigt est plus gros que les reins de mon père. Maintenant mon père vous a chargés d'un joug pesant, et moi je vous le rendrai plus pesant; mon père vous a châtiés avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des scorpions" ? (1 R 12:10-11).

L'immaturité de Roboam dénote le plus élémentaire manque de psychologie, un travers qui va encore faire déborder la coupe des mécontents quand, à la première tentative de scission, Roboam leur déléguera son ministre des finances, le préposé aux impôts. Le percepteur n'est-il pas bien souvent l'homme le plus exécré des contribuables, parce qu'ils ont toujours l'impression d'être exploités au delà du supportable pour le seul profit des nantis?

Est-ce étonnant alors qu'Adoram ait été lapidé, et que Jéroboam, l'instigateur du coup d'Etat, ait profité de l'indignation populaire pour s'écrier: "A tes tentes, Israël! Maintenant, pourvois à ta maison, David!" (1 R 12:16; 2 Ch 10:16)

Néanmoins, derrière cet événement, aussi dramatique qu'humainement imprévisible, il y avait le décret souverain prononcé auparavant par le prophète: "Ainsi le roi n'écouta point le peuple; car cela fut dirigé par Dieu, en vue de l'accomplissement de la parole que l'Eternel avait dite par Achija de Silo à Jéroboam, fils de Nebath" (2 Ch 10:15).

Comment Roboam perdit sa puissance

L'héritage qui pesait sur les épaules de Roboam représentait un potentiel de puissance militaire et de ressources financières tout à fait exceptionnel. Mais plus lourde encore était "la vaine manière de vivre héritée de ses pères" (1 Pi 1:18) qui allait directement à l'encontre des principes divins prescrits à Israël. Son être tout entier était vecteur de l'immoralité et de l'idolâtrie dont son père avait fait preuve. Aussi les quatre étapes de la chute morale de Roboam indiquées par le texte sacré ne devraient pas nous surprendre:

  • il s'allie par mariage à la maison d'Absalom, le fils rebelle de David; (2 Ch 11:18;21)
  • il abandonne la loi de son Dieu, en imitant les abominations des peuples d'alentour; (2 Ch 12:1,5)
  • il livre à Schischak, roi d'Egypte (1 R 14:21-24), les formidables trésors du temple de Jérusalem, qu'il aurait dû défendre; (2 Ch 12:9)
  • il fait le mal, sans appliquer son coeur à rechercher l'Eternel (2 Ch 12:14).

Ainsi, à l'absence de tout réalisme et d'élémentaire sagesse qui l'ont caractérisé au début de son règne, Roboam ajoute la faiblesse morale inhérente à toute vie en rupture avec Dieu. Heureusement qu'en certaines occasions il manifestera quelques élans pour retrouver ce qu'il a perdu, et dont se fera l'écho un timide accent majeur dans la triste symphonie en mineur, que les livres des Chroniques consacrent au fils de Salomon: "Comme Roboam s'était humilié, l'Eternel détourna de lui sa colère et ne le détruisit pas entièrement. Et il y avait encore de bonnes choses en Juda" (2 Ch 12:12).

Comment Roboam retrouva une certaine piété

Mais quand s'humilia-t-il? A deux reprises, la parole de l'Eternel lui fut adressés par l'intermédiaire de Schemaeja le prophète. Et à deux reprises, Roboam l'écouta.

Tout au début de son règne, Roboam pense reconquérir par la force les quatre cinquièmes du royaume de Salomon qui viennent de lui échapper, et dans ce but décrète la mobilisation générale des soldats de Juda pour faire la guerre à leurs frères.

Cependant "l'homme de Dieu" s'interpose en exprimant le veto de la part de Dieu, prescrivant à Roboam un comportement qui allait à l'encontre de ses ambitions comme de toute stratégie militaire: "Ainsi parle l'Eternel... Ne faites pas la guerre à vos frères! Que chacun de vous retourne dans sa maison, car c'est par moi que cette chose est arrivée".

Posons-nous la question: qu'aurions-nous fait à la place de Roboam? Ne sommes-nous pas par nature des revendicateurs refusant que d'autres accaparent ce qui nous appartient de droit? Acceptons nous volontiers de renoncer à nous justifier, et ne sommes-nous pas prompts à accuser nos frères dans la foi, de méthodes déloyales ou d'intrigues lorsque nous nous sentons lésés, voire contrariés dans nos ambitions intéressées? Roboam eût pu invoquer la présence du temple de Dieu à Jérusalem pour déclarer la guerre aux dix tribus du Nord "au nom de l'Eternel"... comme nous savons si bien camoufler nos attitudes belliqueuses sous des versets bibliques...

Eh bien, non! Il ne l'a pas fait. Le texte sacré précise que les Judéens "obéirent aux paroles de l'Eternel et s'en retournèrent, renonçant à marcher contre Jéroboam" (2 Ch 11:4). S'il est un verbe que nous n'aimons pas, c'est bien celui de renoncer. Tout renoncement coûte. Mais le renoncement est un arbre qui ne produit que des fruits succulents, car le Seigneur réserve le centuple au disciple qui accepte de renoncer à lui-même (Mc 10:29- 30). Or Roboam a en quelque sorte goûté à ce centuple pendant la période où il bâtissait ses villes fortes et accueillait dans les murs de Jérusalem de nombreux Lévites. Ces sujets de Jéroboam avaient refusé de rendre un culte aux idoles parce qu'ils voulaient poursuivre leur service pour le vrai Dieu dans la ville sainte (2 Ch 11:5-14).

Quelques années s'écoulèrent avant que les circonstances fournissent à Schemaeja le prophète une nouvelle occasion d'admonester Juda. Le pharaon Schischak était aux portes de Jérusalem et le message du prophète fut sévère: "Ainsi parle l'Eternel: Vous m'avez abandonné; je vous abandonne aussi, et je vous livre entre les mains de Schischak" (2 Ch 12:5).

Sous l'imminence d'une menace militaire très sérieuse doublée d'un verdict divin absolu, le roi et ses chefs "s'humilièrent et dirent: l'Eternel est juste!"

Il n'en fallut pas davantage pour que des lèvres de Schemaeja retentisse un nouveau message de la part de Dieu: "Ils se sont humiliés; je ne les détruirai pas; je ne tarderai pas à les secourir..." (2 Ch 12:6-7).

Qu'en est-il de nous chrétiens, dont les privilèges dépassent de beaucoup ceux de Roboam et de ses ministres, puisque nous vivons non pas sous la loi de Moïse, mais sous la grâce manifestée en Jésus-Christ? Nous avons - j'ai - tant de peine à m'humilier et à reconnaître que "l'Eternel est juste! Dans les familles, les oeuvres ou les églises chrétiennes, il est des situations qui ne cessent de se détériorer ou ne se règlent jamais, parce que nous sommes trop fiers pour reconnaître nos torts. Ah, si un courant d'humiliation, de repentir et de pardon envers nos frères dans la foi s'emparait de nos communautés respectives, on ne parlerait plus de querelles de clochers ni de budgets déficitaires. Et pourtant, l'homme - et le chrétien d'autant plus - n'est jamais aussi grand que lorsqu'il est à genoux, et le Seigneur n'attend que cela pour conjurer les menaces, intervenir dans des situations humainement sans issue... et renflouer les caisses désespérément vides des œuvres chrétiennes, par des dons inattendus ou avec une gestion à la fois rigoureuse et saine!

Nos circonstances sont-elles vraiment si différentes de celles que vécut Roboam il y a près de 3000 ans?

 


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