L'héritage du christianisme face au XXIe siècle
Francis A. Schaeffer
Editions La Maison de la Bible, 2000, ISBN 2-8260-3369-7
"J'ai écrit ce livre avec l'espoir que la lumière puisse éclairer les caractéristiques essentielles de notre temps et que des solutions puissent être trouvées pour résoudre les innombrables problèmes auxquels nous sommes confrontés."
Francis A. Schaeffer
Avec simplicité, Francis A. Schaeffer nous propose ici une analyse passionnante des sources de la pensée occidentale et des raisons de son déclin.
Il parcourt le monde des arts, de la philosophie, et de la science depuis l'époque gréco-romaine jusqu'à l'humanisme moderne et fait ressortir ce qui a façonné notre culture et notre vision du monde. Un excellent ouvrage pour comprendre comment vivre et s'épanouir dans notre société.
Francis A. Schaeffer (1912-1984) est l'un des penseurs chrétiens les plus influents du 20ème siècle. Professeur, théologien, mais aussi conseiller spirituel de milliers de personnes de toute race et de toute culture, il a exposé sa pensée dans plus de 23 ouvrages.
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Préface: Un témoignage prophétique
Pierre Berthoud
Francis Schaeffer est décédé dans la paix du Seigneur à Rochester (Etats-Unis), le 15 mai 1984, des suites d'un cancer contre lequel il a lutté pendant sept ans.
Issu des milieux presbytériens évangéliques américains, il a eu un rayonnement qui a largement dépassé l'horizon du monde anglo-saxon, comme en témoigne la traduction de ses ouvrages en plusieurs langues. Nombreux sont ceux que son enseignement a touchés. Son approche de la foi chrétienne appelle à un retournement total, car elle s'adresse à l'homme tout entier. Aucune rupture n'est admise entre le spirituel, l'intellectuel et le psychologique. Si la vérité de Dieu interpelle et transforme tout l'être, elle éclaire aussi l'ensemble de la réalité créée ainsi que la cité des hommes. En fait, la pensée de F. Schaeffer se situe dans la mouvance réformée dont la philosophie a ce caractère englobant. Cependant, de par la souplesse de son approche, son audience s'est étendue à des milieux ecclésiastiques très variés. Il avait la confiance des «évangéliques» qui voyaient en lui un homme reconnaissant l'autorité et l'inerrance des Ecritures, et qui adhérait à la doctrine des apôtres. La force de ses convictions, son ouverture et sa culture suscitaient, en outre, le respect de ses «adversaires». C'était un homme habité par le sens de la vérité et de l'amour qui se donne sans compter. Il cherchait à convaincre et persuader tout en reconnaissant la dignité et le caractère unique de son interlocuteur.
Francis Schaeffer est né à Germantown (Pennsylvanie), en 1912, et a grandi dans un milieu familial ouvrier très modeste; rien ne le prédisposait à une vie d'étude et, encore moins, à une vocation pastorale. Au lycée, il s'intéressa à la philosophie grecque. C'est alors qu'il décida de lire la Bible, par souci d'honnêteté intellectuelle.
Lorsqu'il referma ce livre, il était devenu disciple du Christ. Il avait découvert dans la sagesse divine des réponses aux questions fondamentales de la vie, réponses qu'il n'avait trouvées nulle part ailleurs.
Ayant entrepris des études d'ingénieur, il prit la décision de préparer une licence de lettres à l'Université de Hampdon Sydney (Virginie). La philosophie et la psychologie furent ses matières de prédilection. C'est à cette époque qu'il rencontra Edith Seville, qu'il épousa par la suite. Fille de missionnaires en Chine, elle allait jouer un rôle essentiel dans le ministère qu'elle a partagé avec son mari. Ayant une vocation pastorale, F. Schaeffer entreprit ensuite des études de théologie dans les Facultés de Westminster et de Faith (Philadelphie). Il fut, en particulier, marqué par l'enseignement de J. Gresham Machen, par sa culture et par son approche de la foi chrétienne qui contrastait avec celle des milieux conservateurs qu'il avait fréquentés.
De 1938 à 1947, il fut pasteur en Pennsylvanie et dans le Missouri. Pendant l'été 1947, détaché par son Eglise, il voyagea dans toute l'Europe. Il y fut frappé par l'influence prépondérante de la théologie barthienne et par la faiblesse des Eglises évangéliques. Ce fut un tournant décisif. De 1948 à 1953, installés en Suisse, les Schaeffer circulèrent en Europe. Ils donnèrent de nombreuses conférences et furent particulièrement attentifs à l'instruction des enfants. Après un séjour de dix-sept mois en Amérique où ils rencontrèrent des difficultés, ils revinrent à Champéry (en Suisse), mais cette fois-ci sans le soutien de leur Eglise. Ayant dû quitter le Valais, canton catholique, ils fondèrent L'Abri, à Huémoz, dans un des plus beaux sites des Alpes vaudoises.
(Aujourd'hui, il existe des extensions aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suède, aux Etats-Unis...)
Une famille, cellule de base de la société, est à l'origine de l'œuvre de L'Abri. (Note: Très rapidement, l'Abri devint une communauté de familles partageant la vision des Schaeffer.)
Cette communauté insignifiante est devenue très vite un lieu d'accueil, de réflexion et d'étude. On y vient volontiers. La chaleur d'un foyer uni et les discussions libres et intenses y contribuent pour beaucoup. Toute question honnête mérite une réponse honnête. Il n'y a pas de sujets tabous. On y parle de réalité, de vérité, de Dieu, de philosophie, de culture, de sciences exactes et de sciences humaines.
F. Schaeffer est à l'aise aussi bien avec l'incroyant en recherche, ou même hostile, qu'avec le chrétien désireux d'approfondir sa foi ou d'apprendre à mieux en témoigner. C'est dans ce creuset au sein de cette interaction permanente qu'il forge et approfondit sa pensée. Ce n'est pas un homme de cabinet, mais un homme de terrain. Remarquable prédicateur, conférencier recherché, il est redoutable dans la discussion sans pour autant séparer vérité et amour. Il écrit comme il parle, sans prendre le temps de polir son discours. Il vise à cerner d'emblée le cœur d'un débat ou les idées-forces d'une philosophie car, dit-il, «un homme est ce qu'il pense». Loin d'être superficiel, il fait preuve d'un discernement et d'une intuition intellectuels étonnants, malgré les quelques imprécisions qu'on peut rencontrer dans son oeuvre. En fait, son approche est plus synchronique que diachronique. Cela signifie que l'analyse qui conduit à telle conclusion ou à telle affirmation n'est pas toujours explicite. Le lecteur est invité à faire preuve d'imagination créative afin de saisir toute la richesse, la pertinence et la portée des différents aspects de sa synthèse.
Le Christ est Seigneur de l'existence tout entière. Pour F. Schaeffer, cela implique que Sa souveraineté s'étend aux domaines des arts, de la littérature, du cinéma, de la philosophie, des sciences, et ainsi de suite. Elle éclaire ensuite les responsabilités civiques du chrétien, ses engagements politiques, économiques et sociaux; elle implique le respect de la vie, don de Dieu, et par conséquent le refus de l'avortement, de l'infanticide et de l'euthanasie. Ces thèmes ont été traités dans une vingtaine d'ouvrages qui ont été publiés pour la plupart dès 1968, auxquels il faut ajouter la réalisation de trois films.
L'ensemble des écrits de F. et E. Schaeffer forme une unité. Les ouvrages qui abordent les questions philosophiques et culturelles côtoient les écrits qui exposent des thèmes bibliques et de spiritualité. Ils ont chacun leur importance dans l'ensemble de sa réflexion.
La trilogie Démission de la raison, Dieu, illusion ou réalité?, Dieu, ni silencieux ni lointain résume l'essentiel de l'analyse du philosophe chrétien sur les différentes facettes de la culture contemporaine et de ses origines historiques. Plus encore, elle évoque comment la révélation biblique s'est incarnée dans le terreau culturel pour l'irriguer et le transfigurer et comment elle demeure encore aujourd'hui une référence capitale. (Les 2 premiers titres se trouvent sur ce site).
Dans ce livre, L'héritage du christianisme face au XXIe siècle, Francis Schaeffer reprend l'analyse historique qu'il avait esquissée dans Démission de la raison. On y trouve aussi des recoupements avec Dieu, illusion ou réalité?. Mais cet ouvrage n'est pas une simple reprise, la documentation s'est enrichie, l'analyse est plus élaborée et la fresque historique commence avec la Rome antique et consacre tout un chapitre au Moyen Age.
La culture et la société occidentales sont entrées au XXe siècle dans une zone de turbulence. L'impact de la foi chrétienne sur la cité des hommes est insignifiant. L'héritage du Siècle des lumières est d'autant plus malmené qu'il a déçu. Nos contemporains sont inquiets car ils se trouvent brutalement confrontés à l'érosion de la société civile. Chaque fois qu'ils croient avoir trouvé un point d'appui, il s'avère que celui-ci n'est qu'illusoire car il est incapable de résister aux tempêtes qui emportent tout sur leur passage. Comme le dit si bien Guillebaud, «dans ces célébrations et ces performances quantifiées, dans ces complaisances pour le relativisme, dans cette fétichisation de l'individu désaffilié, une sonorité indéfinissable nous alarme comme un tocsin...» et «nous pressentons des formes nouvelles de domination, des inégalités faisant retour, un principe d'humanité qui fait naufrage». (Guillebaud, la Refondation du monde, Seuil 1999, p.10)
L'analyse de F. Schaeffer rejoint aussi celle du philosophe de Dijon Jean Brun, qui constate que nous sommes aujourd'hui devant le choix de la pourriture ou de la dictature. De tous côtés, les valeurs telles que le respect de la dignité humaine, l'universel, la raison, l'amour du prochain, la liberté, la justice et l'espérance sont menacées, pour ne pas dire bafouées. Il devient urgent de comprendre quel est notre héritage et comment les fondements mêmes de notre civilisation ont été ébranlés. Dans cette étude globalisante, F. Schaeffer nous aide à comprendre d'où nous venons, que nous sommes les héritiers à la fois de la pensée gréco-romaine et judéo- chrétienne.
Mais il pousse son analyse plus loin en démontrant que la profonde crise que l'Occident traverse est liée à l'abandon de la foi chrétienne historique. Elle est de nature spirituelle et elle est liée à une vision du monde horizontale qui n'a que faire de l'existence du Dieu infini et personnel que nous dévoile la Bible. Ce Dieu dont la Parole de vérité et de vie ne cesse de retentir et de nous inviter à vivre notre vocation d'hommes et de femmes sous le regard de notre ultime vis-à-vis.
On assiste depuis quelque temps – F. Schaeffer l'avait déjà noté dans les années 70 – à un retour du religieux, à une quête de la spiritualité qui va d'ailleurs de pair avec un désintérêt pour les choses de la cité. On peut se réjouir que nos contemporains prennent conscience de leurs besoins profonds. Mais il ne faut pas se tromper. En effet, il s'agit pour l'essentiel d'une spiritualité à la mesure de l'homme sans aucune référence à la transcendance telle qu'elle est définie selon la foi chrétienne. Cette démarche spirituelle a sa source en l'homme autonome ou dans le néopaganisme ambiant. Elle est de nature immanente. Elle est donc soit une invention humaine, soit l'expression de l'énergie de la vie ou encore l'irruption d'une force occulte.
Par contraste, l'homme réconcilié en Jésus-Christ est appelé à manifester la spiritualité dans tous les domaines de sa vie, individuelle et sociale. Le droit, la loyauté, la vérité et l'honnêteté en sont des caractéristiques essentielles. Le prophète Esaïe l'a fort bien compris, lorsqu'il dit:
Si, du milieu de toi, tu supprimes le joug de l'oppression, les gestes menaçants et les propos méchants, si tu donnes ton pain à celui qui a faim et si tu pourvois aux besoins de l'indigent, la lumière luira pour toi au milieu des ténèbres, et ton obscurité se changera pour toi en clarté de midi, et le Seigneur te guidera constamment, il te rassasiera dans les lieux arides et il te fortifiera. Tu seras comme un jardin bien arrosé, comme une source vive aux eaux intarissables. Esaïe 58:9-11
Il est urgent, aujourd'hui, de reconstruire la société civile à partir d'une vision du monde, de l'homme, du mal, du salut et des relations sociales qui se nourrit du terreau biblique, et ce sans pour autant renoncer à la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Proclamer l'Evangile permet d'«amener toute pensée captive à l'obéissance au Christ». C'est la condition pour que justice, bienveillante loyauté, sécurité et paix fleurissent dans la cité. Francis Schaeffer, grâce à cette analyse panoramique, nous fournit les moyens de comprendre l'évolution de notre civilisation et les courants qui l'ont traversée. Il nous aide à prendre du recul, à faire le bilan et à cerner les enjeux et les défis. Son plaidoyer vigoureux en faveur de la foi chrétienne historique nous rappelle que la foi en un Dieu créateur et rédempteur est le fondement indispensable à partir duquel «furent édifiées, entre autres, les notions de l'ordre et de la liberté dans les domaines social et culturel». Vingt-cinq ans après la première édition de ce livre, la perspective qu'il offre conserve toute son actualité et sa pertinence.
La postface a été rédigée par Udo Middelmann, gendre de Francis Schaeffer. Il a été son collaborateur pendant de nombreuses années à L'Abri. Il est aujourd'hui directeur de la Fondation F.A. Schaeffer, qui regroupe l'ensemble de son oeuvre. Il était bien placé pour prolonger la réflexion de l'auteur par rapport à l'évolution récente des mentalités contemporaines.
Pierre Berthoud,
doyen de la Faculté libre de théologie réformée d'Aix-en-Provence.