Réflexions d'un juif sur la civilisation chrétienne
Un texte tiré du "Berger d'Israël"
Ces dernières années plusieurs journalistes sont venus poser des questions au rédacteur du "Berger d'Israël". Voici une compilation des questions et réponses, regroupées par thème.
Question - Malgré ses nombreuses fautes, la civilisation chrétienne n'a-t-elle pas quand même propagé l'Evangile?
Réponse - Lorsque je parle à mes amis juifs, je leur dis qu'il faut faire une nette différence entre l'Eglise - Corps de Christ - ä travers les siècles, et la civilisation dans laquelle nous avons vécu et vivons encore. Cette civilisation s'est manifestée parfois par des chefs-d'œuvre d'architecture, de musique et de littérature. Mais comment oublier que dans les camps de concentrations les nazis faisaient jouer du Mozart ou du Beethoven pendant qu'ils pendaient, avec des cordes de piano, des adolescents juifs coupables d'avoir dérobé du pain aux bourreaux qui les affamaient.
Question - Cela ne remet pas en cause la spiritualité de leur musique?
Réponse - Que veut dire la "spiritualité" de Mozart, de Beethoven, de Chopin ou de Wagner? J'apprécie souvent leur musique, mais dans quelle mesure furent-ils témoins de Jésus-Christ? La vie privée de certains d'entre eux fut marquée par l'occultisme, aussi par le péché sous différentes formes. Jean-Sébastien Bach a été, il me semble, l'une des merveilleuses exceptions, sa vie et sa musique nous semblent conformes à l'Evangile. Voyez-vous, la "civilisation chrétienne" et "l'Eglise" digne du même nom se reconnaissent aux fruits qu'elles portent (Matthieu 7:13-21). Rappelons-nous l'enseignement du Messie concernant les deux semences, de nature totalement différentes, qui se trouvent pousser dans le même champ.
Question - Mais c'est d'autant plus difficile à comprendre qu'une Eglise qui devient florissante a presque automatiquement de l'ascendant sur son entourage. Les chrétiens de cette Eglise vont propager une certaine mentalité dans le monde, là où ils ont des responsabilités. Donc en multipliant les Eglises, vous diffusez une certaine manière de vivre qui doit être en rapport avec le message des Evangiles.
- Soyons prudents. L'Histoire nous enseigne que souvent l'Eglise a davantage progressé dans les temps de persécution. Lorsque Constantin s'est "converti" à la foi chrétienne, ça n'a pas été une victoire pour le Corps de Christ, mais un piège... Le pouvoir, l'argent, finissent souvent par corrompre les disciples de Jésus-Christ (Apo. 3:14-21). Je pense que le danger de l'Eglise, lorsqu'elle est en progrès, c'est de se laisser gagner par l'idée qu'elle va pouvoir influencer, puis même gouverner, le pays dans lequel elle se trouve et faire mieux que son Maître. Or le Messie affirme clairement: "S'ils n'ont pas accepté le message de votre Maître, ne croyez pas qu'ils accepteront le vôtre..." (Jean 15:18-21). Prenons garde aux concessions, aux aménagements, qui ajustent le message de l'Evangile au goût du jour. Certes, au XXIe siècle, la vie des hommes a beaucoup évolué et il serait faux de ne pas en tenir compte, mais les bases de la "loi de Christ" restent inchangées (Rom. 13:8-10; 1 Jean 2:17)
Réponse
Le pouvoir et l'argent doivent être abordés avec beaucoup de prudence et les chrétiens feraient bien de se souvenir que l'on ne peut servir deux maîtres à la fois: Dieu, et Mammon qui est la personnification de la richesse et du pouvoir humain (Matthieu 6:24). Le but de l'Evangile n'est pas de changer la société, mais d'annoncer aux hommes et aux femmes qui nous entourent qu'ils sont perdus dans leurs égarements, et qu'ils peuvent revenir à Dieu qui les accueillera pour les sauver. Un chemin, une porte, ont été ouverts par le Créateur; ce sont la vie, les paroles, et les oeuvres accomplies par le Fils de Dieu. Il fut, pour nous sauver, cloué sur une croix romaine à Jérusalem... puis il a vaincu la mort en sortant du tombeau le troisième jour. Et nous attendons son Retour glorieux. Et tout cela selon le plan que Dieu avait décidé à l'avance.
A ce sujet il faut lire: Psaume 2; Actes 4:23-27; Luc 24:25-27 et 44-48.
Question - Autrement dit, il ne s'agit pas tant de convertir la culture ou de vouloir instaurer un système politique qui soit "chrétien", mais de s'adresser à des personnes pour leur faire prendre conscience qu'elles sont perdues et qu'elles ont à être sauvées...
Réponse - C'est le message fondamental et immuable de l'Evangile. Il suffit d'observer l'histoire de la civilisation dite chrétienne dans les pays catholiques, protestants, et aussi dans les pays à forte densité évangélique : on a voulu évangéliser la culture, évangéliser la politique, le gouvernement, l'enseignement, l'armée. Il a été possible de donner un semblant de morale chrétienne à plusieurs Nations sans pour autant que leurs habitants soient "nés de nouveau", transformés par Dieu. (Au sujet de la "nouvelle naissance", il est important de lire ces textes: Jean 1:9-13; 3:1-10; Jérémie 4:1-3; 9:25). L'histoire de ces vingt siècles, et l'actualité contemporaine, sont chargées de violence, de haine, de guerre, de débauche, particulièrement dans les pays prétendus chrétiens. La pollution des coeurs et de la nature augmentent...
Question - Etes-vous d'accord sur cette phrase: "On ne peut pas sauver la culture"?
Réponse - Oui! Dieu veut sauver des hommes et des femmes! Ne croyez pas, cependant, que je sois "anti-culture"; j'étais peintre, et je fais encore de la peinture. J'aime la musique, l'architecture, l'écriture, mais je reste vigilant. Les Grecs, les Egyptiens, les Asiatiques ont créé des oeuvres aussi belles, et parfois plus belles, que les oeuvres de la civilisation chrétienne. L'art et la culture ne sont pas des preuves absolues d'une vérité spirituelle.
Nous pouvons aussi remarquer que les disciples du Messie n'ont pas cherché à influencer la politique et la façon de vivre des Romains et des Grecs avec lesquels ils ont vécu. A Athènes, comme à Rome, ils ont annoncé le salut en Jésus, et en Jésus seul. Ils n'ont pas tenté d'influencer le Sénat romain, ni la politique des pays qu'ils ont traversés, sachant pourtant que certaines des lois de leur époque étaient justes et d'autres abominables, comme le sont encore aussi certaines lois des pays où nous vivons.
Question - Un juif qui reconnaît en Jésus son Messie ne se coupe-t-il pas de son peuple et de sa culture?
Réponse - Lorsque nous parlons de Jésus comme Messie à un ami Juif, sa première réaction est de dire avec force: "Nous avons tellement souffert à travers les siècles de la part de gens qui se disaient chrétiens, que ce n'est pas possible que ce Jésus soit notre Messie!" Nous subissons encore les conséquences de l'enseignement du mépris et de la haine: des paroles blessantes, des situations humiliantes, les pogroms puis les tentatives du génocide qui fit, en Europe, près de 6 millions de victimes. Et cela dans le silence le plus souvent complice de pays pourtant couverts de clochers de toutes sortes de dénomination.
Alors, ce qu'il faut affirmer, c'est que ceux qui ont persécuté les Juifs, ou toute autre race, n'étaient pas des chrétiens dignes de ce nom; de toute évidence, ils n'obéissaient pas à la loi de l'amour que le Messie enseignait à ses disciples! C'est un premier obstacle à surmonter.
Ensuite, il est alors possible de souligner que le Messie a ses racines dans la Loi et les Prophètes: Jésus est né d'une mère juive, il fut circoncis, devint Bar-Mitzvah, et il se rendit régulièrement, le Shabbat et les fêtes, dans les synagogues et à Jérusalem (Luc 4:16-21).- Un Juif qui vient à lui n'abandonne donc pas la religion de ses pères, il n'abandonne pas son peuple il revient tout simplement à la source!
Question - J'ai lu dans votre journal "Le Berger d'Israël" que les Juifs messianiques qui se rencontrent gardent certaines coutumes de la tradition.
Réponse - Oui, bien que les coutumes de la Tradition se soient souvent éloignées des textes de la Tora (Le Pentateuque). Nous cherchons le sens profond de ces coutumes, dans la Bible. Bien d'autres devraient aussi le faire! Par exemple, pendant la fête de Pâques, d'où viennent ces cloches, ces lapins et ces œufs?
Plusieurs d'entre nous souhaitent retrouver une culture et une identité juives. Même si je dois admette qu'il y a parfois des exagérations et des dangers. Des découvertes très utiles sont possibles cependant dans cette recherche, dont beaucoup pourront profiter.
Question - Mais au niveau des exagérations dont vous parlez, comment faites-vous le choix des coutumes de l'Ancien Testament? Car je suppose que vous ne reprenez pas tout ce qui est commandé dans l'Ancien Testament, notamment dans le Lévitique.
Réponse - Non, la grande majorité des juifs messianiques ont compris ce que Jésus incarne. Il n'est pas venu pour abolir la Loi mais pour l'accomplir, pour la mener à son but (Gal. 3:22-25). Son enseignement repose perpendiculairement sur les textes de la première Alliance.
Cependant, ne serait-ce qu'au niveau du langage, les Juifs messianiques s'efforcent de retrouver leurs racines. Dans le "Berger d'Israël", nous essayons de parler de Jésus le Messie dans un langage profondément juif. Nous évitons d'utiliser le "patois évangélique" qui ne réussit, la plupart du temps, qu'à bloquer le dialogue avec nos amis et nos parents.
Pour ce qui est du rythme des saisons et des fêtes, les Juifs messianiques veulent, par exemple au moment de Noël, se souvenir qu'il y a dans le Judaïsme une époque de l'année où l'on allume des lumières sur un chandelier. Il nous rappelle la Ménora qui se trouvait dans le Temple à Jérusalem. Dieu est venu visiter Israël son peuple, et aussi toutes les nations de la terre (Luc 2:29-32; Esaïe 63:19). A Pâque nous avons beaucoup à apprendre du repas du Sédère de la tradition juive. C'est durant un Sédère, à Jérusalem, que Jésus le Messie ouvrit le temps de la nouvelle Alliance après avoir mangé l'agneau, les pains sans levain, les herbes amères et but les coupes. C'est l'une de ces coupes qu'il donna à boire à ses disciples en leur disant: "Ceci est la coupe de la nouvelle Alliance conclue par mon sang qui va être versé pour vous... afin que les péchés de beaucoup d'hommes leur soient pardonnés". (Luc 22:20; Matt. 26:28; Jér. 31:31; Héb. 8:6-13)
Question - Pour terminer, parlez-nous maintenant des Juifs messianiques en France.
Réponse - 700'000 Français sont Juifs, 40'000 vivent en Belgique et environ 25'000 en Suisse. En France, 400'000 sont des Juifs Sépharadim (du bassin de la Méditerranée) et 300'000 sont Askenazim, donc d'Europe. Nous sommes en France, en Suisse et en Belgique, 500 à 600 Juifs messianiques, peut-être davantage. Nous sommes répartis dans différentes dénominations. Chaque semaine, je rencontre des chrétiens, membres d'Eglises diverses, me disant qu'ils ont des racines juives.
Ensemble nous désirons assumer pleinement notre place dans l'Eglise digne de ce nom, et auprès de notre peuple. Jésus le Messie, et le Sauveur des hommes, est venu premièrement pour le peuple juif. Paul nous parle aussi de l'amour que Dieu a mis dans son coeur pour ses frères et ses parents, le peuple d'Israël. (Luc 24:44-48; Rom. 9:1-5; 1 Co. 9:16; 19-23)
Question - Alors êtes-vous réellement chrétiens?
Réponse - Soyons clairs, nous sommes des chrétiens ayant des racines juives, proches ou lointaines. Mais nous préférons utiliser l'adjectif "messianique" qui vient de l'hébreu "massia'h" plutôt que "chrétien". Nous ne refusons pas l'adjectif "chrétien" à condition qu'il soit bien défini.
Nous jugeons nécessaire d'établir une différence nette entre la civilisation qui se dit chrétienne, et l'Eglise qui est un corps composé de tous eux qui ont réellement accepté le Messie Jésus comme leur Sauveur, et leur Seigneur.
Comment s'y reconnaître? Le Christ répond à cette question lorsqu'il affirme que tous ceux qui lui appartiennent devront s'aimer les uns les autres comme lui-même nous a aimés, et rayonner dans le monde la bonté, la pureté, la sagesse, la maîtrise de soi... "C'est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez".