Jeannot chez les bagnards - 11
Un tout jeune missionnaire
– Elle est pas là, ma maman... et mon papa non plus!
C'est ainsi qu'un après-midi, notre petit ami reçoit une dame qui vient de frapper à la porte.
Il faudrait bien du temps pour raconter la triste histoire de cette femme. C'est justement pour en faire le récit qu'elle arrive chez les missionnaires. Elle a tant besoin d'un peu de réconfort.
– Alors je reviendrai une autre fois! soupire-t-elle, visiblement déçue.
– Mais non! Si tu veux, tu peux quand même rester, Madame! dit l'enfant, tout naturellement.
Et d'un air décidé, il prend la main de l'inconnue qu'il conduit dans la pièce où ses parents reçoivent généralement les visites.
– Tu vois, Madame! Tu t'assieds là et t'attends un moment, tu veux? Tu sais, elle va bientôt revenir, ma maman!
A bout de forces, et touchée par cette bonté enfantine, la pauvre femme a bien de la peine à retenir ses larmes.
... Elle pleure, la dame! pense le petit. Oh j'sais! Je vais faire comme papa et maman. Ils vont toujours prendre un p'tit carnet dans l'armoire pour le donner aux gens qui viennent...
Bientôt Jeannot revient, ouvre le "carnet" et le tend à l'inconnue en larmes.
– Tiens, Madame! Moi, je vais au jardin, derrière la maison!
Et hop! il a déjà filé! Surprise, la malheureuse se plonge dans la lecture de l'évangile qu'elle feuillette, curieuse. La première phrase qui lui tombe sous les yeux ne lui dit pas grand-chose. Mais plus loin, que c'est beau! Elle découvre des mots qui lui font tant de bien: "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos."
Quand Lydie rentre, elle trouve une visiteuse toute prête à recevoir dans son coeur le message de l'Evangile et la paix de Dieu.
Quelques jours plus tard, une cinquantaine d'hommes sont assis par rangées dans le réfectoire du foyer. Dos voûtés, épaules tombantes, ils ont l'air plus fatigués que d'habitude. Est-ce peut-être la chaleur de cette journée accablante? Quelques-uns chuchotent entre eux. D'autres ont le regard dans le vide, indifférents aux quelques décorations qui ornent les parois. A quoi pensent-ils ? Et qu'attendent-ils tous là, dans ce silence pesant?
Aujourd'hui, c'est Noël. Chacun se souvient de son enfance. C'était le bon temps: il y avait la crèche ou le sapin, les petites gâteries, mais surtout, oui surtout...l'atmosphère si chaude de la famille réunie. Ici, pas de neige, pas de sapin, pas d'enfants qui chantent, pas le moindre cadeau, pas de bonheur!
Cette année pourtant, même au bagne ce sera Noël. Pour leurs frères dans l'oubli et dans la misère, les missionnaires ont préparé une petite fête.
Au premier rang, Jeannot s'impatiente sur les genoux de Namour.
– Dis, Namour! C'est encore long jusqu'à ce que papa et maman viennent?
– Patiente encore un peu! Tout le monde est déjà là parce que personne ne sait que faire. Mais ce n'est pas encore l'heure. Tes parents finissent de tout préparer. Ecoute. On les entend marcher dans l'appartement, au-dessus de nous!
– Mais c'est long, Namour! Attends, je vais juste là! dit l'enfant, glissant comme un chat entre les genoux de son grand ami.
Quelle pensée peut bien avoir traversé la petite tête bouclée? Tiens! le bambin se hisse sur l'estrade. Etonnement général. Quelques sourires dans l'auditoire encouragent l'enfant qui regarde gentiment tous ces hommes, comme pour leur demander un peu d'attention. Puis, à la grande surprise de chacun, Jeannot se met à chanter un cantique. Comme une étoile qui brille dans une nuit noire, la voix frêle du petit bonhomme illumine les yeux tristes.
La deuxième strophe, il ne la connaît pas. Mais quand papa chante avec les bagnards, il y a toujours plusieurs strophes. Alors l'enfant reprend celle qu'il vient de chanter. Une fois... deux fois, si naturellement. Bientôt cinquante voix de bagnards accompagnent celle d'un Jeannot tout surpris qui se met à battre la mesure, pour faire comme papa. Rapidement la joie de Noël gagne tous les coeurs.
– Dépêchons-nous! se disent les missionnaires, en haut dans l'appartement. C'est formidable, ils ont commencé la fête tout seuls. Lequel d'entre eux a bien pu choisir un cantique et l'entonner pour entraîner les autres? Jamais nos hommes n'ont si bien chanté! Allons vite les rejoindre...
Imaginez la surprise de Lydie et de Jean quand ils trouvent, sur l'estrade, leur tout petit "bagnard"!
Souviens-toi de ceci: Ta main, si elle tend un évangile, ta voix, si elle chante un cantique peuvent apporter de la joie dans un coeur envahi de chagrin. Ces mains et cette voix, mets-les à la disposition de Dieu. Il saura bien comment les employer.
Texte: Samuel Grandjean