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Jeannot chez les bagnards - 12

Un pull-over pour le vieux Louis

Plusieurs années ont passé depuis que Jean et Lydie sont arrivés en Guyane. Que de misères ils ont eu le temps de voir, que d'histoires tristes ils ont entendues! Mais que d'heures inoubliables ils ont vécues près des bagnards. Beaucoup d'entre eux sont devenus leurs amis.

Entre-temps, la famille s'est enrichie d'un petit frère: Etienne. Jeannot en est très fier. Quand le bébé avait à peine deux mois, les parents ont cru le perdre à cause d'une grave infection. Heureusement qu'il s'est bien remis après une opération pratiquée de toute urgence.

La maison est plus gaie que jamais. Etienne et Jeannot s'entendent à merveille pour réserver chaque jour une autre surprise à leurs parents. Une fois l'aîné tente de faire des pâtés de sable sur la tête du petit frère, une autre fois, les deux enfants sont sur le point de mordre dans une belle tartine au cirage, ou de rester pris dans les cactus!

Hélas! un jour, Jean tombe malade. Il devrait subir une grave opération qui ne peut être tentée en Guyane. Que faire? On hésite en pensant à tous ceux qu'il faudrait quitter. Ils ne seraient pas abandonnés puisque d'autres missionnaires sont là. On attend...

On espère une amélioration. Elle ne vient pas! Alors, finalement, il faut prendre la grande décision du retour en France. On prépare les bagages. Jeannot est tout content: il va faire un long voyage.

Dans une semaine, le bateau arrivera. Comme chaque mois, il apportera le courrier de France. Et quelques jours plus tard, il repartira, emmenant toute cette famille. Les missionnaires ne seront pas les seuls à quitter la Guyane. Avec eux partiront aussi le vieux Louis et quelques autres bagnards enfin libérés après les années de leur peine, et celles du cruel doublage (après son temps de bagne, l'homme doit encore passer en Guyane une période aussi longue que la première!.

Pendant que Lydie remplit les valises, Jean fait quelques démarches au port. Il y rencontre le vieux Louis.
– Alors, Louis! C'est bientôt le grand départ. Est-ce que vos bagages sont déjà prêts?
– Oh! pas besoin de valises... Tout est là! Je n'ai que les vêtements que je porte!
– Mais vous aurez froid pendant la traversée, Louis! N'avez-vous pas au moins un pull-over?
– Non! Je n'ai que ça!

Le soir, chez les missionnaires, on parle du vieux Louis:
– Sans vêtements chauds, ce pauvre vieillard risque de ne pas même supporter le voyage. Après tant d'années de bagne, il ne sait plus ce qu'est l'air frais de la mer, ni le mistral de sa chère France! La reverra-t-il, sa patrie? Que pouvons-nous faire pour lui?
– Nous avons bien un pull-over neuf, mais... il nous rendrait service, si l'un de nous est pris d'un accès de paludisme pendant la traversée. Il faut le garder!
– Et pourtant, le vieux Louis... Non! Donnons-lui le pull-over neuf, il en aura sûrement plus besoin que nous!

Tut... Tuuûûût! Le navire est arrivé. Ah! pour un petit Jeannot qui voit tout et qui est à l'âge des questions, être sur le quai ou dans le bateau, c'est bien différent ! Au moment de l'embarquement, il est si émerveillé par tant de choses nouvelles, qu'il s'arrête net au milieu de la passerelle, craignant que les prochains pas ne lui volent la beauté du spectacle! Un peu plus tard, on charge les marchandises. La grue tourne, les chaînes grincent, les ballots s'élèvent en se balançant, s'arrêtent un moment puis, après une chute vertigineuse, disparaissent dans les soutes. Soudain, Jeannot voit l'immense crochet s'emparer du filet qui contient les bagages de la famille.
– Allez doucement! hurle-t-il, c'est à nous, cette grosse malle!

Tuut... Tuuuuuûûûuuut! Le bateau s'éloigne. C'est le soir. Bientôt la côte de la Guyane s'efface dans l'horizon gris, et tout devient noir. Seuls les appels réguliers d'un phare font encore longtemps signe à ceux qui partent. Puis ils s'évanouissent aussi dans la nuit.

Le deuxième jour de voyage, Jean ne se sent pas très bien. Il a de la fièvre. Serait-ce une nouvelle crise de paludisme, cette maladie périodique qui éprouve tant? Oui, sûrement. Maintenant le malade est secoué de frissons. Si seulement on avait encore quelque chose à lui mettre. Bien sûr, il y a le beau pull-over neuf, mais c'est le vieux Louis qui le porte... On ne peut tout de même pas le lui reprendre! Les missionnaires ont-ils bien fait de se priver eux-mêmes pour secourir le vieux bagnard? Ils en ont la conviction malgré tout, puisque ces versets sont soulignés dans leur Bible: "Garde-toi d'avoir un oeil sans pitié pour ton frère indigent... donne-lui, et que ton coeur ne donne point à regret; car à cause de cela, l'Eternel, ton Dieu, te bénira." Le même jour, un matelot s'adresse à Lydie:
– Ah! puisque je vous vois, Madame! Je vais vite chercher ce que je dois vous remettre!

Quand le marin réapparaît, il porte un colis.
– Voilà! On avait oublié de vous donner ce paquet qui est arrivé en même temps que nous, l'autre jour. Nous l'avons gardé à bord, puisque vous repartiez avec nous, cette fois!
- Un paquet de France? Que peut-il bien contenir? On déballe... C'est un pull-over chaud que des amis ont envoyé aux missionnaires.
– C'est pour papa, puisqu'il tremble de froid! s'écrie Jeannot. J'aurais bien voulu lui prêter le mien, mais il est trop petit!

Texte: Samuel Grandjean


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