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La Réforme au canton de Vaud - par John H. Alexander

Lausanne, automne 1536:

"La sainte Ecriture n'enseigne aucun autre moyen d'être justifié que par la mort de Jésus-Christ offert une fois pour toutes, de sorte que ceux qui parlent de quelque autre moyen d'obtenir la rémission des péchés renversent complètement la vérité que Christ a révélée."

Fin septembre 1536. Une série d'affiches de ce type sont apposées sur les façades de plusieurs églises du canton de Vaud, et surtout sur les colonnes de la cathédrale de Lausanne. Ce sont les dix thèses évangéliques proposées par Guillaume Farel pour le débat public projeté. Des tribunes ont été disposées à l'intérieur du prestigieux édifice pour accueillir la multitude d'auditeurs qui seront ainsi parmi les draperies et les dorures dont l'édifice est orné. En ce dimanche matin 1er octobre, une foule compacte s'est assemblée dès 7 heures pour l'événement que personne ne veut manquer: une Disputation publique entre réformateurs et défenseurs du clergé romain, ordonnée par les baillis de Berne. Mais comment en est-on arrivé là?

Pierre Viret, le réformateur vaudois

Depuis des années les écrits de Luther se sont répandus dans le canton de Vaud. La population est avide de connaître cet Evangile annoncé ici et là par des prédicants, un Evangile fort différent de celui des prêtres. Aucun obstacle n'a eu raison de la fougue de Guillaume Farel: véritable apôtre, il a gagné aux idées nouvelles des milliers de Vaudois, d'abord dans la région d'Aigle puis dans la vallée de la Broye jusqu'à Morat, avant de se tourner vers Grandson, Sainte-Croix, Yverdon et Orbe. Dans cette dernière localité, un jeune homme a été profondément saisi par la grâce de Dieu. Il se nomme Pierre Viret. Une première empreinte de l'Evangile avait été déposée en son esprit par son instituteur Marc Romain, empreinte qui s'approfondit lorsque son père l'envoya étudier à Paris, au Collège de Montagu, ce collège que fréquentèrent entre autres Erasme, Ignace de Loyola et Jean Calvin. Viret y rencontra Antoine Saulnier, gagné à la cause de la Réforme.

Mais les idées nouvelles étaient contestées. Saulnier fut arrêté parce qu'il avait reçu une lettre de Farel; et Pierre Viret, ne se sentant plus en sécurité, regagna sa ville natale.

En 1530, Farel vient d'arriver à Orbe. En dépit de l'opposition et des coups reçus, il prêche le salut en Jésus-Christ. Pierre Viret, alors âgé de 19 ans, n'échappe pas à l'attention de Farel qui a remarqué sa vive intelligence et son amour pour le Seigneur. A son départ d'Orbe, le réformateur demande au jeune homme de prendre soin de ceux qui viennent de se convertir. Viret, humble et craintif, hésite. Mais Farel ne se laisse pas arrêter par ses objections. Le 6 mai 1531, Viret prêche son premier sermon dans sa ville natale. Il saura s'imposer et convaincre, plus par la douceur que par des éclats. Il amène son père et sa mère au salut. Puis il rejoint Farel à Payerne, où les deux réformateurs prêchent ensemble dans les rues et dans les tavernes parce que l'accès aux édifices religieux leur est refusé.

L'opposition va grandissant. Des émeutes éclatent. Un jour Viret reçoit un coup d'épée dans le dos. Cependant, à peine guéri de sa blessure, il rejoint Farel à Genève. Là il sera victime d'un empoisonnement, dont il gardera toute sa vie des séquelles. Il demeurera délicat... ce qui ne l'empêchera pas de prêcher à Lausanne dès mars 1536.

Pierre Viret à Lausanne

En cet hiver-là l'Evangile a été annoncé par les disciples de Farel à Cossonay, Montagny, Yvonand et Sainte-Croix. Puis les troupes bernoises ont occupé Yverdon où elles ont imposé la Réforme par la force. Viret, qui passe dans la région avec son ami Fabry, est reconnu par certains officiers qui l'engagent alors à suivre l'armée bernoise: "Yverdon pris, nous irons à Lausanne: venez avec nous et prêchez-y l'Evangile, malgré l'évêque..."

Mais Viret préfère l'épée de l'Esprit à celle des soldats bernois. Il devance donc la troupe et obtient de prêcher à l'église du Couvent de Saint-François, malgré l'opposition des chanoines. Lorsque le dominicain Monbouson proclame à la cathédrale les mensonges du dogme papal, Viret l'engage à défendre publiquement ses thèses:
– Ah! dit-il, je le ferais volontiers à Avignon, à Paris ou à Dôle; mais à Lausanne, il n'y a personne qui puisse en juger.
– Vous ne devriez prêcher qu'à Dôle, Paris ou Avignon, lui répond Viret; mais puisque vous avez menti à Lausanne, c'est à Lausanne que réparation est due!
La bourgeoisie, quant à elle, veut ménager les uns et les autres:
– Moins on prêche, mieux cela vaut, disent les adeptes de Rome.
– Plus on prêche, mieux cela va, rétorquent les amis de l'Evangile.
Conciliantes, les autorités de la ville décident alors que les réformés prêcheront au temple de Marie-Madeleine, mais sans en ôter les autels et les images "qui ne font de mal à personne", alors que les frères de saint Dominique continueront de célébrer l'office romain comme à l'accoutumée.

Mais les jeunes convertis ne l'entendent pas ainsi. L'Ecriture ne dit-elle pas: "Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face?" Les images sont donc nuisibles au peuple: "Hélas, que de pauvres créatures appelées à devenir enfants de Dieu ont été par ces images faites enfants du diable." Aussi pénètrent-ils dans le temple de Marie-Madeleine puis dans l'église de Saint-François pour en arracher statues et images et les brûler. Les vieux Lausannois crient au sacrilège et envoient des députés à Berne pour s'en plaindre. Démarche vaine, d'autant plus qu'entre-temps les baillis de Berne se sont ralliés aux thèses de Viret; ils ont renoncé à imposer à Lausanne la Réforme par les armes et ordonnent une Disputation où chanoines et réformés développeront publiquement leurs thèses, comme ils l'ont fait à Zurich, Berne et Genève.

Cependant les chanoines de Lausanne ont alerté le Conseil de Fribourg; ils se sont même adressés au pape et à l'empereur alors en Italie. Le 3 juillet 1536, Charles Quint répond de Savigliano, interdisant cette Dispute et ordonnant de s'en remettre au prochain Concile, seul autorisé à trancher les problèmes de foi. La lettre est transmise au Conseil de Lausanne par les ambassadeurs de Savoie. Impressionnées, les autorités décrètent qu'aucune innovation ne sera faite jusqu'aux décisions du Concile, et de plus elles envoient une délégation à Berne pour refuser la Disputation prévue. Mais rien n'y fait. Charles Quint et le pape étant en Italie, Berne sera plus puissante qu'eux: la Disputation est fixée au 1er octobre.

Octobre 1536, la Dispute de Lausanne

Pour défendre les thèses catholiques, 174 prêtres ont pris place dans la cathédrale. A leur tête le dominicain Monbouson et le capitaine de jeunesse de Loïs, représentant Lausanne; le doyen Michod et l'instituteur Mimard de Vevey, le vicaire Drogy de Morges, et surtout un médecin français nommé Blancherose. En face d'eux, une poignée de réformés: Farel, Saulnier et Viret. Venu de Genève, Farel est accompagné d'un jeune homme pâle de visage que personne ne connaît, mais qui va cependant jouer un rôle décisif dans la Dispute; c'est Jean Calvin.

En ce dimanche matin 1er octobre, la cathédrale est comble. Farel ouvre les feux en conviant ce vaste auditoire à obéir à l'Ecriture sainte et à elle seule. Mais la Disputation ne peut pas commencer, car la délégation de Berne est en retard (!) et n'arrivera à Lausanne que l'après-midi de ce jour. Ce n'est donc que le lundi 2 octobre, également à 7 heures du matin, que la première thèse est abordée. Devant un public compact, Farel déclare que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres. Le vice-bailli de la ville rétorque que seule "l'Eglise universelle" est habilitée à interpréter les Ecritures. Le réformateur s'insurge et recourt à la Parole de Christ: "Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux." Puis il fait appel aux Epîtres de Paul pour mettre en relief le rôle décisif du Saint-Esprit dans la compréhension des textes sacrés.

A tour de rôle, le vicaire Drogy, le capitaine de Loïs, et surtout le médecin Blancherose s'efforcent de défendre les prérogatives de Rome. Mais les thèses proposées par Farel sont irréfutables, et lorsque le jeudi 5 octobre le maître d'école Mimard se réfère aux Pères de l'Eglise, le jeune Jean Calvin, que sa modestie a retenu jusqu'alors, relève le défi. Il connaît par coeur de nombreuses citations des Pères de l'Eglise et s'en sert pour démontrer la fragilité de tant d'arguments à la lumière de l'Ecriture sainte. Son intervention, très remarquée, lui fournit l'occasion d'un puissant exposé de la doctrine évangélique de la Cène. Alors que tout l'auditoire est subjugué, obligé de reconnaître la puissance et la sagesse qui se dégagent des paroles de ce jeune docteur inconnu, un religieux de l'ordre des Cordeliers, le franciscain Jean Tandy, se lève, et après avoir confessé Christ comme Sauveur, dépose ses habits de moine. Une conversion qui impressionne tout Lausanne.

Pierre Viret peut alors en toute liberté défendre les dernières thèses proposées à la Dispute. Drogy, le vicaire de Morges, en est réduit à excuser l'ignorance des prêtres et à implorer pitié pour eux. Il appartient au réformé Marcourt de lui répondre: "Sans doute doit-on avoir pitié de ces pauvres prêtres; mais il faut avoir encore plus pitié du pauvre peuple. On ne confierait pas un troupeau de brebis à un berger aveugle et muet; pourquoi donne-t-on aux Eglises des conducteurs aveugles et incapables d'exposer la Parole de Dieu?"

L'exhortation de clôture

La semaine s'achève. Les dix thèses ont été débattues et ont convaincu. L'après-midi du dimanche 8 octobre, Farel remonte en chaire pour le discours de clôture. Après un vibrant appel à la foule des Lausannois pour les engager à se tourner vers Jésus-Christ seul Sauveur, il s'adresse aux prêtres: "Conduisez vos brebis au Pasteur qui a donné sa vie pour elles. L'Eglise de Jésus ne reçoit rien de tous vos fatras... Au lieu de chanter en latin devant le peuple, annoncez- Iui le seul Evangile. Quand quelques-uns sont venus comme des brigands pour nous tuer, nous n'avons pas demandé vengeance, mais grâce et pardon pour eux. Et maintenant, nous demandons qu'on vous reçoive avec joie et douceur, comme des brebis errantes qui reviennent au bercail."
Enfin le réformateur exhorte les délégués venus de Berne: "Messeigneurs, puisque Dieu vous a conduits dans la conquête de ce pays... faites que Dieu soit partout honoré dans les terres qu'il vous a commises. Que le sang humain ne soit pas répandu, que l'homme qui est fait à l'image de Dieu ne tue pas celui qui est fait aussi à la même image... et que tous ceux qui ont à souffrir pour la foi en Jésus soient fortifiés et persévèrent jusqu'à la fin..."

Le canton de Vaud se tourne vers l'Evangile

La Dispute de Lausanne eut un retentissement considérable. Suivant l'exemple du moine Tandy, nombreux furent ceux qui se rallièrent à l'Evangile en se repentant publiquement. Ferdinand de Loïs, capitaine de la jeunesse à Lausanne, embrassa la foi réformée et s'employa plus tard à soutenir le protestantisme en France. Jean Drogy, vicaire de Morges, suivit son exemple et devint pasteur à Bevaix. Les deux délégués envoyés par la paroisse de Villette avaient été tant impressionnés par les exposés de Farel qu'ils invitèrent Viret à prêcher à Cully. De retour à Vevey le doyen Michod et le régent Mimard soutinrent les thèses qu'ils avaient précédemment attaquées. Aussi les Veveysans demandèrent eux-mêmes un pasteur, et dans le district de Lavaux tout proche un moine converti s'offrit pour prêcher l'Evangile alors que les images et les statues étaient reléguées dans une grotte.

Quant à Farel, il faisait tout son possible pour répondre aux nombreuses demandes, en envoyant des hommes capables de prêcher l'Ecriture sainte à Coppet, Nyon, Rolle, Aubonne, Payerne, Yvonand, Yverdon, Cossonay, Cully, Gex près Genève, et même à Thonon puisque le Chablais s'ouvrait aussi à la grâce de Dieu. Autant de localités qui, en ces quelques mois décisifs, s'étaient détournées des images et du clergé romain pour adopter la foi réformée. Mais la Dispute de Lausanne eut aussi un effet immédiat sur les autorités de la ville. Déjà le 10 octobre, soit seulement deux jours après l'événement, le Conseil ordonnait de "détruire pour jamais les maisons de débauche qui étaient dans la ville". Une fois de plus la saine doctrine engendrait des fruits qui glorifiaient Dieu.

Pour impressionner la foule lors de la Dispute, les chanoines avaient sorti du lieu où elle se trouvait la statue de la Sainte Vierge baptisée Notre-Dame de Lausanne. Comme on abolissait partout le culte des images, les réformés pénétrèrent dans la cathédrale et la brisèrent aux cris de "A bas la grande Diane des Lausannois", référence à la grande Diane des Ephésiens évoquée en Actes 19.
Quant à l'or et l'argent arrachés aux édifices religieux, on l'utilisa pour fonder des hôpitaux, des collèges et octroyer des bourses aux pauvres. Les prêtres s'en plaignirent aux autorités de Berne, mais en vain. Ces mêmes autorités décrétèrent le 24 décembre que,"dans toutes les nouvelles terres récemment conquises – en l'occurrence tout le canton de Vaud – les ministres devaient annoncer purement la Parole de Dieu et qu'on ne célébrerait désormais que deux sacrements, le baptême et la Cène". En même temps le gouvernement offrait aux prêtres et aux religieux désireux de rester dans le pays une pension honnête. Mais les chanoines de Lausanne préférèrent traverser le lac et s'établir à Evian, un geste que les soeurs de Sainte-Claire à Vevey imitèrent à leur tour.

Quant à Pierre Viret, il dut momentanément se contenter d'une position d'arrière-plan. Les autorités bernoises avaient commis une erreur de jugement en imposant comme pasteur de la cathédrale de Lausanne un certain Caroli, brillant discoureur plus opportuniste que spirituel, qui, après avoir pris parti pour les réformateurs, se tourna à nouveau vers le catholicisme. Cette nomination se fit donc au détriment de Pierre Viret que Farel avait désigné pour cette charge. Ce n'est que plus tard que le réformateur vaudois fut demandé à Lausanne. De santé fragile, il dut cependant s'expatrier au bout de quelques années pour rejoindre le Midi de la France et d'autres contrées au climat plus doux. Il y passa les douze dernières années de sa vie.
A Nîmes les foules se tournèrent vers l'Evangile suite à sa prédication. Ainsi, à Noël 1561, Viret présida deux cultes successifs, chacun avec 7000 participants; cette ville de 9000 habitants avait donc accueilli ce jour-là des foules accourues d'ailleurs pour entendre le réformateur vaudois. En outre il exerça un ministère fructueux à Lyon puis dans le Béarn aux abords des Pyrénées. Ainsi le voulait l'humour de Dieu: un missionnaire vaudois en France! La Suisse avait reçu d'elle ses meilleurs fils, comme Guillaume Farel, Pierre-Robert Olivétan, Robert Estienne, Antoine Saulnier, Jean Calvin et Théodore de Bèze, pour ne citer que les principaux. Et maintenant elle lui donnait Pierre Viret: ce n'était que justice rendue, et il en est de même aujourd'hui quand des disciples helvétiques appelés par le Seigneur réalisent leur vocation en France!

L'année 1536 fut donc mémorable. C'était pour Genève, Lausanne et tout le canton de Vaud l'heure où Dieu réveilla les consciences et remua les foules; la Parole divine retrouvait son éclat si longtemps terni. Sola Scriptura, Sola Fide, Sola Gratia. Oh ! que l'Esprit de Dieu se meuve à nouveau sur ces contrées visitées par la Réforme il y a 460 ans, et que l'Eglise militante de Jésus-Christ redevienne dynamique en prêchant l'Ecriture seule, la foi seule, la grâce seule.
Le rappel du passé n'a aucun sens en dehors de ces normes fixées par le Seigneur lui-même, des normes qui demeurent pour nos temps de la fin le seul critère pour un réveil du peuple de Dieu.

J. H. A.

 


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