Les cinq «SOLI» des Réformateurs
5. SOLI DEO GLORIA
Frank Horton
Repris de la revue PROMESSES, voici le cinquième et dernier article consacré à la formule des cinq “soli“: «Sola Fide». Les 120 pasteurs, théologiens et éducateurs réunis à Cambridge en avril 1996 réaffirmèrent la conviction des Réformateurs en déclarant que «la justification est par la grâce seule au travers de la foi seule [c'est nous qui soulignons] grâce au Christ seul», et d'ajouter que «la justification ne repose sur aucun mérite qui nous soit propre, ni sur la base d'une infusion de la justice de Christ en nous par voie sacramentelle»
Dérapage
La Déclaration de Cambridge se consacre ensuite à la cinquième et dernière formule: «Soli Deo Gloria», et constate avec inquiétude la quasi-disparition, dans nos milieux évangéliques, d'une adoration centrée sur Dieu. Voici un extrait de ce qu'elle dit:
«Partout où, dans l'Eglise, l'autorité biblique a été perdue, le Christ a été déplacé, l'Evangile a été biaisé ou la foi pervertie, cela a toujours été pour une seule raison : nos intérêts ont remplacé ceux de Dieu et nous appliquons nos méthodes à l'accomplissement de son oeuvre. Que Dieu ne soit plus au centre de la vie de l'Eglise aujourd'hui est un fait répandu et lamentable. C'est cette perte qui nous permet de transformer l'adoration en divertissement, la prédication de l'Evangile en marketing, la foi en une technique, l'éthique en appréciation agréable de nous-mêmes, et la fidélité en une quête du succès. En conséquence Dieu, le Christ et la Bible ont perdu une grande partie de leur valeur à nos yeux et ne pèsent plus beaucoup pour nous».
A ce sujet, le théologien Alfred Tozer écrivait il y a plus de quarante ans: «L'Eglise a abandonné la notion élevée de Dieu qu'elle avait autrefois, pour lui substituer un concept ignoble, indigne d'hommes capables de réflexion et d'adoration. Et elle a fait cela, non pas de propos délibéré, mais peu à peu, sans s'en rendre compte; et son inconscience rend sa situation d'autant plus tragique. Cette façon de concevoir Dieu, presque universelle parmi les chrétiens, est la source d'une centaine de moindres maux partout au milieu de nous. Une philosophie nouvelle de la vie chrétienne est la conséquence de cette faille fondamentale dans notre pensée religieuse».
J. M. Boice pose la question: «La situation s'est-elle améliorée au cours de ces dernières décennies? Il semble bien que non. Au contraire, notre obsession grandissante pour les banalités insignifiantes de la télévision, notre addiction aux divertissements égocentriques et la mondanité de notre culture n'ont fait qu'aggraver la situation. Et le plus triste dans tout cela est le fait que la plupart des chrétiens ne se rendent même pas compte de ce qui se passe».
Question insidieuse
Que Dieu cherche sa propre gloire est une affirmation parfois mal comprise et qui mérite, par conséquent, une explication réfléchie. Car la question a été posée: «Cette recherche n'est-elle pas égoïste?» Les a priori derrière cette question frôlent le sacrilège, en ce qu'ils rabaissent Dieu au niveau de l'humanité pécheresse, égocentrique. Non! Dieu désire la louange car il est digne d'être loué; il demande à être exalté à cause de sa grandeur et de sa bonté; bref, il veut être reconnu, apprécié, pour ce qu'il est. Cela nous conduit à nous pencher sur la notion biblique de la Gloire de Dieu, pour mieux la cerner.
La Gloire de Dieu dans l'Ecriture
La gloire de Dieu, c'est le rayonnement qui se dégage de sa personne, l'éclat insoutenable de toutes ses perfections. La Bible compare cette gloire à un feu dévorant qui éblouit, aveugle, et inspire la crainte, le respect, l'adoration; l'homme ne peut la voir tout entière et vivre. Pourtant, ceux qui ont une rencontre avec le Seigneur en perçoivent quelque chose: Israël et Moïse devant le tabernacle, Salomon lors de la dédicace du temple, Esaïe au moment de sa vocation, Ezéchiel dans sa vision, etc. La gloire divine est révélée dans la création et particulièrement dans l'homme formé à l'image du Seigneur; elle se manifeste au moyen des jugements; elle éclate surtout dans la rédemption offerte au monde entier. Cette gloire inaccessible du Dieu d'Israël s'est approchée de nous : en Christ nous avons pu la contempler et l'aimer sans être consumés par elle. Jésus l'a montrée par ses miracles, par sa sainteté parfaite, lors de sa transfiguration, de sa résurrection et de son ascension. Bientôt le Seigneur de gloire reviendra dans tout l'éclat de sa majesté pour juger et pour régner.
Par conséquent, rendre gloire à Dieu, ou donner gloire à Dieu, c'est le louer, lui rendre honneur, exalter et célébrer ses perfections (de là vient le terme de doxologie, formule de prière rendant gloire à Dieu). Glorifier Dieu, c'est donc lui rendre hommage, le reconnaître comme le seul souverain, et la source de tout bien. Celui qui se glorifie lui-même commet la faute grave de voler à Dieu l'honneur qui lui est dû, à lui seul.
Cependant, glorifier Dieu ne se limite pas au «sacrifice de louange, c'est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom» (Héb 13.15). Jésus n'est-il pas notre modèle quand il dit au Père: «Je t'ai glorifié sur la terre; j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donnée à faire» (Jean 17.4).
Chose merveilleuse: le but cherché par Dieu est que sa gloire soit manifestée dans une relation bipartite. D'une part, il révèle sa gloire dans d'innombrables actes de générosité gratuite; et d'autre part, ses enfants répondent en lui donnant gloire par leurs actions de grâce pour tout ce qu'ils ont vu et reçu. Et par leur vie consacrée à l'obéissance, au service et au témoignage. L'homme a été créé en vue de cette communion réciproque dans l' amour, et la rédemption en Christ la rend possible pour des êtres déchus. Si Dieu a du plaisir en révélant sa bonté à ceux qui la reçoivent, il n'en est pas moins vrai que l'homme trouve son épanouissement et son bonheur en contemplant la gloire de Dieu, en lui adressant la louange et en lui consacrant sa vie. A ce sujet le Petit Catéchisme de Westminster pose en première question: «Quel est le but principal de la vie de l'homme?» puis répond : «Le but principal de la vie de l'homme est de glorifier Dieu et de trouver en lui son bonheur éternel». Nous comprenons, alors, pourquoi la théologie de la Réforme a tellement insisté sur ce principe: Soli Deo Gloria, et pourquoi nous avons besoin aujourd'hui de le redécouvrir et de le réaffirmer.
Tout est de lui, par lui et pour lui!
Pour être capables de rendre à Dieu la gloire qui lui est due, essayons de saisir quelque chose de l'origine, de l'étendue et du but de ses oeuvres. Paul nous rappelle qu'«il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses, et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes» (1 Co 8:6; cf. Eph 4:4,6; Col 1:16)
Tout dans la création a sa source en Dieu, est soutenu par son pouvoir renouvelant, et a pour but sa gloire (Ps 19:2-4). La création de l'homme s'inscrit dans ce contexte : nous lui devons notre existence et notre bien-être de tous les jours, de même que notre raison d'être – le glorifier ! Antidote efficace contre la recherche égoïste du gain et du bonheur.
Le salut est de Dieu. C'est lui qui l'a conçu et réalisé, c'est lui qui l'amènera à la perfection. Son accomplissement est par Dieu, au travers de l'œuvre du Christ à la Croix; sa réalisation quotidienne en nous est aussi par Dieu, grâce à l'action de son Esprit; et tout cela est pour sa gloire. Les quatre soli examinés dans les articles précédents: sola scriptura – l'Ecriture seule – solus Christus – l'œuvre du Christ seul – sola gratia – la grâce seule – et sola fide – la foi seule – tout, tout, tout, vient de Dieu, est réalisé par lui, et conduit à un seul aboutissement: soli Deo gloria – à Dieu seul la gloire !
Enfin, le jugement est de Dieu. Il sera exercé par Celui à qui il a délégué l'accomplisse- ment de toutes ses oeuvres – son Fils – et retentira à sa gloire. (Ap. 14:6)
En conclusion
Laissons le mot de la fin à la Déclaration de Cambridge: «Dieu n'existe pas pour satisfaire nos ambitions humaines, nos convoitises, notre appétit de consommation, ni même nos intérêts spirituels personnels. Nous devrions de nouveau centrer notre adoration sur Dieu lui-même, plutôt que sur la satisfaction de nos besoins personnels. Dieu reste souverain dans l'adoration, et non pas nous. Nos soucis devraient concerner le royaume de Dieu et non pas notre propre sphère, notre popularité ou notre succès».
«Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la connaissance de Dieu! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles! En effet, qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller? Qui lui a donné le premier, pour qu' il ait à recevoir en retour? Tout est de lui, par lui et pour lui! A lui la gloire dans tous les siècles. Amen!» (Rom 11:33-36)
F.H.