4 - Jérémie le prophète (4/6)
Philippe Favre
L'époque de Sédécias, le faible - Chapitres 21 à 29
En parcourant le chapitre 21 et les suivants, on constate que la situation du pays mûrit. La confusion dénoncée au temps de Josias progresse. La désobéissance du peuple, le bouillonnement de désirs destructeurs des rois, les préjugés de la caste des princes font penser que le jour du jugement est proche. Dans ce temps de crise, une nouvelle catégorie de personnes se présente: les sacrificateurs et les faux prophètes. Jusqu'ici dans l'ombre, ils sont vus maintenant sous le jour le plus cru: leur acrobatie religieuse a su se mélanger à la politique pour proposer une démarche spirituelle au rabais.
Mais l'heure avance sur l'horloge du temps et le malheur est sur le point d'arriver: «Le lion s'élance de son taillis, le destructeur des nations est en marche, il a quitté son lieu, pour ravager ton pays» (Jérémie 4.7). Jojakim, mort de façon mystérieuse loin de son peuple (cf 2 Chroniques 36.6), est remplacé par son fils Jojakin, âgé de 18 ans, probablement associé à son père dès l'âge de 8 ans (cf 2 Rois 24.8). Personnage falot, copiant son père, il ne règne que cent jours car Nebucadnetsar assiège la ville de Jérusalem pour la deuxième fois en 597 av. J.-C. Les Babyloniens déportèrent ce jeune roi et sa famille, ses serviteurs, les dirigeants du pays et tous les ouvriers qualifiés (cf 2 Rois 24.8-16; 2 Chroniques 36.9-10). Ezéchiel est déporté avec eux (cf Ezéchiel 1.2). Tout porte à croire que la formation de ce serviteur de Dieu avait commencé avec Jérémie. Enseigné par le prophète, il put exercer son ministère parmi les Juifs exilés lorsque Dieu l'appela sur les bords du Kébar.
Notons ici que la transmission de la foi est une tâche vitale. Nous en avons plusieurs exemples dans la Bible: Moïse et Josué, David et Salomon, Elie et Elisée, Paul et Timothée. Voyons de plus près ce dernier exemple. Lors de son deuxième voyage, l'apôtre Paul prend Timothée avec lui (cf Actes 16.3). Ils collaborent heureusement pendant dix ans, prêchent l'Evangile, implantent des Eglises, souvent avec d'autres compagnons d'œuvre comme Luc, Aristarque, etc. Forts différents l'un de l'autre, ils étaient unis par le lien de l'Esprit qui dépassait leurs particularités. La transmission de la foi demande une confiance totale, une relation de cœur étroite, une sensibilité aux choses de Dieu et avant tout, un objectif spirituel commun. Dans ces conditions, Paul pouvait exhorter Timothée à souffrir avec lui pour l'Evangile comme un bon soldat de Jésus-Christ, car les deux voulaient plaire à leur Chef, les deux comprenaient que les affaires superflues gênaient le combat et les deux désiraient intensément annoncer le royaume de Dieu. Timothée découvre en Paul un homme sûr, loyal, sans fraude et sans calcul. Aussi n'a-t-il pas honte de lui lorsqu'il est enchaîné (cf 2 Timothée 1.16). Relevons ici que la solitude, l'abandon des autres, l'incompréhension de tous n'ont pas fait de l'apôtre Paul un homme désincarné. Au contraire, il lance cet appel: «Viens au plus tôt vers moi» (2 Timothée 4.9), il ajoute même : «Prends Marc... car il m'est utile pour le ministère» (2 Timothée 4.11).
La transmission de la foi s'opère, et Timothée ayant suivi de près un homme habité par Christ, et sachant de qui il a reçu un enseignement sérieux (cf 2 Timothée 3.14) peut confier le message plus loin à des hommes fidèles. L'estime, le respect, l'amitié honorent la doctrine, adoucissent ce qui est technique et donnent toute sa valeur à une foi vécue à travers les persécutions et les souffrances.
Revenons à l'Histoire: Nebucadnetsar désigne Sédécias, oncle de Jojakin, pour régner de 598 à 587 av. J.-C. (cf 2 Rois 24.17; 1 Chroniques 3.15). Le livre des Chroniques nous indique que Sédécias refusa de s'humilier et que l'idolâtrie déshonorait le Temple (cf 2 Chroniques 36.12-14). Ezéchiel confirmera cet état plus tard. Mieux disposé et moins cruel que Jojakim, Sédécias au caractère faible, influençable, rusé et instable nous rappelle Hérode Antipas prenant plaisir à écouter Jean-Baptiste (cf Marc 6.20) avant de le décapiter. Jérémie fut trahi par ce roi au lieu d'être soutenu (cf Jérémie 38.5). Finalement la révolte de Sédécias contre Nebucadnetsar décide ce dernier à détruire Jérusalem.
Dans cette 4e étude, nous nous arrêterons sur cette époque extraordinaire en considérant les chapitres 21 à 29 et c'est dans la 5e étude que nous examinerons les chapitres 30 à 39 toujours sous le même titre. Comme nous l'avons déjà vu, les prophéties de Jérémie ne sont pas classées dans l'ordre chronologique. Il est probable même qu'il a répété à Sédécias celles qu'il a dites à Jojakim, ce qui explique ce va-et-vient entre les deux noms. Néanmoins, il y a un fil conducteur, une pensée sûre: Dieu châtie le peuple par degrés successifs jusqu'à la destruction finale.
1. Je combattrai contre vous (chap. 21 à 23)
La démarche de Sédécias trahit son inconscience: «Consulte pour nous l'Eternel; car Nebucadnetsar, roi de Babylone, nous fait la guerre; peut-être l'Eternel fera-t-il en notre faveur un de ses miracles, afin qu'il s'éloigne de nous» (21.2). Il se souvient du miracle accompli sous Ezéchias, lors de l'invasion assyrienne où tous les hommes périrent en une seule nuit sous les coups de l'ange de l'Eternel (cf 2 Rois 19.35), et il espère naïvement que cela va se reproduire. La réponse de Dieu ne tarde pas: «Je combattrai contre vous, la main étendue et le bras fort... Je livrerai Sédécias... Nebucadnetsar les frappera du tranchant de l'épée» (21.5-7). Le jugement est sévère, mais l'Eternel offre encore la possibilité de se rendre aux Chaldéens pour avoir la vie sauve (v. 9). La demande insolite de Sédécias prouve son propre vide après avoir tenu Dieu à distance. La condamnation définitive de la maison royale est prononcée (cf 21.11 à 22.30), et la venue du Messie, appelé le germe juste (cf 23.5), est annoncée dans des circonstances extrêmes.
Dénonciation des faux prophètes (23.9-40)
Leur activité néfaste enlise le peuple dans l'impureté, la médiocrité et la misère. Ils ont la particularité de rejeter la Parole de Dieu pour substituer la leur en chloroformant la conscience de leurs auditeurs. Ils sont corrompus au point d'illusionner le peuple par l'art consommé du double langage. Sept charges sont énumérées contre eux dans les versets 21 à 36:
«Je n'ai point envoyé ces prophètes, et ils ont couru» (v. 21). Ces hommes méconnaissent Dieu et par conséquent n'ont pas de vocation. Consumés par la soif de paraître, ils s'imposent. L'Ecriture sainte prédit l'apparition de faux prophètes avant le retour de Jésus-Christ (cf Matthieu 24.11 et 24). Les doctrines répandues, sous couvert d'une recherche de Dieu, doivent être sérieusement testées par la Parole de Dieu (cf Actes 17.11).
«lls prophétisent en mon nom le mensonge» (v. 25). Si le diable n'arrive pas à pervertir complètement les hommes par l'idolâtrie, il s'efforce de donner une image inexacte de Dieu. A ces fins, les faux prophètes prennent le droit de parler en son nom et, pour compenser des problèmes non réglés, font parler la Bible dans le sens qui plaît (cf 2 Timothée 4.3).
«lls pensent faire oublier mon nom à mon peuple par les songes que chacun d'eux raconte à son prochain» (v. 27). Ici, le nom de l'Eternel est carrément mis de côté. On élabore des théories aux conceptions du monde moderne; on gomme ce qui est bien au profit de ce qui est mal. Ce système confusionniste embue tout discernement et fait glisser imperceptiblement dans l'autonomie spirituelle.
«J'en veux aux prophètes qui se dérobent mes paroles l'un à l'autre» (v. 30). Ces gens empruntent le langage biblique pour n'offrir qu'un succédané de l'Evangile où la miséricorde divine est diluée au point que plus personne n'est condamné: le pardon est accordé sans réserve et sans différence à tous, sauvés ou perdus.
«J'en veux aux prophètes qui prennent leur propre parole et la donnent pour ma Parole» (v. 31). Ici, on reconnaît un dangereux syncrétisme. Quelle aubaine pour l'égoïsme papal des faux prophètes qui bafouent la grandeur de Dieu et justifient le péché. On en arrive en quelque sorte à une «morale à la carte», sans point fixe.
«J'en veux à ceux qui prophétisent des songes faux, qui les racontent, et qui égarent mon peuple» (v. 32). Le travail de sape des faux prophètes, au profit d'influences démoniaques, creuse un vide, épaissit l'angoisse et asservit les âmes.
«Vous tordez les paroles du Dieu vivant» (v. 36). Dans ce dernier passage nous trouvons sept fois le terme «menace de l'Eternel». Organisateurs de chaos, les faux prophètes jettent le discrédit sur Dieu et ironisent sur les prophéties authentiques.
Dans la foulée, il est bon de rappeler ce qu'est le vrai prophète: c'est quelqu'un qui se tient devant Dieu et déclare sa Parole avec autorité en un temps de crise; littéralement, «il est la bouche de Dieu». La note de jugement n'exclut pas celle de la grâce et de l'appel à la repentance. La prédiction de l'avenir n'est qu'une partie de la tâche du vrai prophète car il veut avant tout communiquer un message reçu dans la sainte présence de Dieu. C'est pourquoi le texte de Jérémie 23.29 brille comme un diamant dans ce chapitre. Il glorifie la puissance de la Parole de Dieu et ses effets bénéfiques. Reconnue comme telle, elle agit, et si les faux prophètes l'étouffent, Jérémie la met hautement en valeur en annonçant la vérité qui affranchit.
Dans l'Ecriture, la Parole est comparée à une épée (cf Ephésiens 6.17), à un miroir (cf Jacques 1.23), à une semence (cf Luc 8.11), à de l'eau (cf Ephésiens 5.26), à une lampe (cf Psaume 119.105), à une nourriture (cf 1 Pierre 2.2). Ici, elle est à la fois un feu et un marteau.
Commençons par le feu: présent dans l'histoire d'Israël (cf Genèse 15.17), ce signe n'a rien à voir avec les philosophies de la nature ou avec les religions qui divinisent le feu. Il est un symbole de la présence de Dieu car c'est souvent pendant un dialogue que l'Eternel se manifeste en forme de feu (cf Exode 3.2; 19.18). Lors de la traversée du désert d'Egypte en Canaan, le feu représente la sainteté divine sous son double aspect attirant et redoutable. Déjà en Horeb, Moïse captivé par le spectacle du buisson ardent, tente de s'approcher et reçoit l'ordre de se déchausser car le lieu est saint (cf Exode 3.5). Plus tard, au Sinaï, la montagne fume et tremble parce que l'Eternel y est descendu au milieu du feu; elle n'est pourtant pas détruite, et pendant que le peuple effrayé reçoit aussi l'ordre de s'éloigner, Moïse est appelé à monter près de Dieu qui lui révèle sa majesté et sa sainteté. Plus tard, peu avant sa mort, Moïse rappellera au peuple que c'est du feu que Dieu a parlé (cf Deutéronome 4.12; 5.4; 5.22 et 24) et a donné les tables de la loi afin d'enseigner qu'il n'y a pas lieu de le représenter avec des images. Si ce feu était terrifiant, le peuple demeurait vivant grâce à l'intercession de Moïse (cf Deutéronome 4.3; 5.5).
Comme on le voit, le feu symbolise la puissance du Dieu vivant et son intransigeance au péché. S'il consume son adversaire, il transforme celui qu'il choisit. La Parole de Dieu est incisive et efficace comme son auteur (cf Hébreux 4.12). Elle a le pouvoir de brûler la paille et le chaume, de consumer des scories, de purifier et de fondre l'or, de durcir l'argile, de dégager de la chaleur. Il s'agit bien entendu de toute la Parole dans ses différentes parties: historique, poétique, didactique, prophétique et juridique. Dieu a voulu les divers genres mentionnés pour parler tantôt d'une manière, tantôt d'une autre (cf Job 33.14). Alors elle sera aussi un marteau qui brise le roc. Je fais remarquer la conjonction et qui relie l'image du feu à celle du marteau, la Parole est l'un et l'autre ! Si le roc est insensible au feu, il faut l'outil de fer pour le fendre, le casser, l'émietter. La Parole de Dieu a cette double vertu. Elle a aussi les moyens de toucher, sensibiliser et diriger.
Les chapitres 24 à 26 forment un ensemble que nous ne développerons pas. La parabole des deux paniers de figues révèle le regard de compassion de Dieu sur les captifs de Babylone dont une partie reviendra au temps de Cyrus (chap. 24). Ensuite Jérémie prophétise devant tout le peuple l'asservissement des nations pour une durée de 70 ans à la suite de laquelle Dieu sévira contre l'oppresseur (chap. 25). Et enfin le prophète échappe à la mort grâce à la protection d'Achikam, fils de Schaphan (chap. 26).
2. Je me souviendrai de vous (chap. 27 à 29)
Une phrase du chapitre 27 revient deux fois: «Soumettez-vous au roi de Babylone et vous vivrez» (v. 12 et 17). Elle illustre un changement important dans les voies de Dieu à l'égard d'Israël. Puisque ce dernier a rejeté la théocratie, Dieu retire sa présence et laisse les nations païennes prendre la direction des affaires du monde. Cette période appelée «le temps des nations» (cf Luc 21.24) prendra fin lors du retour de Jésus-Christ.
La mention d'un conflit avec Hanania (chap. 28) n'est pas une affaire de personne ou de caractère, mais bien de lutte pour la vérité. Tout au long du livre, Jérémie est humainement seul, accusé, attaqué, blâmé, poursuivi et constamment mis en cause.
Dans la lettre adressée aux captifs de Babylone pour les mettre en garde contre les faux prophètes (chap. 29), Jérémie recommande à chacun de poursuivre les activités normales de la vie (v. 4 à 7) et informe que Dieu a fixé une limite au temps de l'exil (v. 10). Puis il console ses compatriotes par plusieurs promesses célèbres qui ont réconforté les croyants nés de nouveau de tous les âges (cf v. 11 à 13).
Par deux fois nous lisons – à propos des faux prophètes – «Je ne les ai point envoyés» (27:15 et 29:9), ce qui nous permet d'examiner de près ce qu'est un appel conforme à la vérité selon l'Ecriture. Tout d'abord la vie chrétienne est déjà le résultat d'une réponse à un appel de Dieu, et lorsque Jésus proclame: «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos» (Matthieu 11:28), il fait non seulement une promesse, mais il sauve. Ensuite, le chrétien est appelé à la sainteté, c'est-à-dire à une marche digne, pure, non conforme à l'esprit du monde, dans l'amour et la joie, dans la ressemblance au Sauveur qui a donné la victoire sur le péché (cf. Romains 1:7; Ephésiens 4:1 et 17; 1 Jean 3:6). Enfin Christ appelle tous les chrétiens à le servir: «Vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins» (Actes 1:8).
Mais l'œuvre destructrice de Satan apparut lorsqu'on fit une division entre le clergé et les laïcs. Ces derniers perdirent le sens des responsabilités et laissèrent le témoignage dans les mains de «spécialistes» choisis pour cette tâche et regardés comme divinement désignés. Aujourd'hui, si le balancier tend à revenir au milieu, l'on distingue un autre penchant : il consiste à niveler les différences et à penser que Dieu appelle tous les chrétiens sur la même base. Ainsi on met en parallèle le physicien et le pasteur, le commerçant et l'évangéliste, le juriste et l'enseignant. S'il est fondé de considérer sa profession comme un instrument au service de Dieu, le chrétien étant le sel de la terre et la lumière du monde (cf Matthieu 5.13 et 14), il est non moins vrai que Dieu peut appeler quelqu'un à laisser son métier pour travailler à plein temps à une tâche missionnaire ou pastorale.
Les apôtres ont rencontré le Seigneur pour la première fois dans leur vie quotidienne (cf Jean 1.35-51), puis ils ont quitté leur profession pour suivre Jésus seul dans une mission spéciale (cf Matthieu 4.18-22; 9.9; Marc 3.13-19). Lorsque Paul s'est converti, il a reçu un appel précis pour porter le nom du Seigneur devant les nations, les rois et les fils d'Israël (cf Actes 9.15; 26.17 à 18). Le texte de 1 Corinthiens 9.14 traite de l'entretien de ceux qui consacrent tout leur temps à l'annonce de l'Evangile et prouve que le Seigneur appelle d'une façon particulière pour un service particulier. En conclusion, tout chrétien reçoit une sainte vocation (cf 2 Timothée 1.9) qui transparaît dans sa vie personnelle, familiale, professionnelle, communautaire, et les choix de Dieu aboutissant à l'abandon d'une carrière ne diminuent en rien ni cette vocation sainte, ni les serviteurs mis à part.
Dieu, par la bouche de Jérémie, a traité une foule de sujets positifs et négatifs touchant à tous les aspects de la vie humaine, pour que notre relation avec lui et les autres soit vraie. Il nous interpelle aujourd'hui par cette déclaration: «Maintenant réformez vos voies et vos oeuvres, écoutez la voie de l'Eternel, votre Dieu» (Jérémie 26.13).
Philippe Favre