Démission de la raison
Francis A. Schaeffer
Chapitre 3 - Les origines de la science moderne
La science est très impliquée dans cette évolution des idées dont les promoteurs, il ne faut pas l'oublier, vivaient en chrétienté, c'est-à-dire dans un monde tout pénétré de la mentalité chrétienne. Un homme comme J. Robert Oppenheimer (1904–1967), qui n'était pas chrétien, l'a bien compris; d'autres aussi. Le christianisme a effectivement joué un rôle décisif dans la naissance de la science moderne, ne serait-ce qu'en suscitant un courant de pensée favorable à l'exploration de l'univers.
Pour Jean-Paul Sartre (1905 – 1980), la question philosophique fondamentale est celle de l'être. Quelle que soit la perspective de l'homme, il finit par buter contre le réel avec les problèmes que pose son existence. Le christianisme affirme le caractère objectif de la réalité. A la différence de la pensée orientale, la tradition judéo-chrétienne attribue à Dieu la création d'un univers qui lui est extérieur. Ce terme n'a à être entendu ni dans son sens spatial, ni comme exprimant que l'univers serait une extension de l'essence divine ou un rêve. Le terme "extérieur" signifie plutôt que l'univers est une réalité objective à prendre en considération et à explorer. Le christianisme est convaincu du caractère objectif de la réalité, des rapports de cause à effet qui s'y développent et de sa solide consistance. C'est un fondement sur lequel on peut construire. En bref, l'objet lui-même, l'histoire, le principe de causalité sont tout à fait réels.
C'est ainsi qu'un grand nombre de savants ayant vécu aux débuts de la science moderne partagent l'opinion de Francis Bacon (1561–1626) qui écrit, dans son ouvrage Novum Organum Scientiarum: "La Chute a dépouillé l'homme à la fois de son état d'innocence et de son pouvoir sur la nature, mais il peut néanmoins réparer cette double perte ici-bas, d'une part grâce à la religion et à la foi, et d'autre part grâce aux arts et aux sciences."
La science en tant que telle et l'art sont considérés comme des activités religieuses, au meilleur sens du terme. Remarquons également que Francis Bacon ne considère pas la science comme "autonome", puisqu'elle est, par rapport à la Chute, dépendante de la révélation de l'Ecriture. Dans ce cadre, la science (et l'art) peut cependant se développer librement, et possède une valeur intrinsèque aussi bien pour Dieu que pour les hommes.
Ces savants croient – avec F. Bacon, il convient de nommer Copernic (1475–1543), Galilée (1564–1642), Kepler (1571–1630), Faraday (1791–1867) et Maxwell (1831–1879) –, avec les chrétiens, en un Dieu raisonnable, Créateur d'un univers rationnel dont l'homme peut, par son intelligence, découvrir la structure et les limites.
Leurs importantes contributions, que nous tenons pour acquises, ont abouti à la naissance de la science moderne, et il est permis de se demander si les savants qui, à notre époque, délaissent ces certitudes et ces motivations, auraient été capables de la promouvoir. En effet, il fallait soustraire "la nature" à l'influence byzantine et revenir à une pensée biblique, car c'est cette pensée qui est à l'origine de la science moderne.
La science a, d'abord, été une science naturelle, en raison de son intérêt pour les choses de la nature, mais il ne s'agissait pas de naturalisme; sans renoncer au principe de causalité (le rapport de cause à effet), la science n'incluait pas Dieu et l'homme dans le système. Les savants de l'époque ont la conviction, d'une part, que la connaissance est donnée par Dieu dans la Bible – connaissance de Dieu et connaissance touchant l'univers et l'histoire – et, d'autre part, que Dieu et l'homme ne sont pas partie intégrante du système, mais qu'ils ont la capacité d'agir sur le mécanisme de cause à effet. Ce mécanisme existe, mais dans un système ouvert. Dieu peut y intervenir et les hommes n'en sont pas prisonniers. En conséquence, il n'y a aucune "autonomie" au "niveau inférieur".
Ainsi se développe une science qui, tout en s'intéressant au monde naturel, ignore encore le naturalisme.
Kant et Rousseau
Après la Renaissance et la Réforme, la phase critique suivante apparaît avec Kant (1724–1804) et Rousseau (1712–1778), même si beaucoup d'autres, dans l'intervalle, peuvent retenir l'attention. A l'époque de Kant et de Rousseau, le concept d'"autonomie", né de l'oeuvre de Thomas d'Aquin, a pris de l'ampleur, mais la problématique a changé, ce qui est symptomatique de l'évolution de la situation. Après que la grâce ait été jusque-là opposée à la nature, au XVIIIe siècle l'idée de grâce disparaît, et le terme ne correspond plus à rien. Le rationalisme est désormais solidement établi sur ses positions et l'idée de révélation est absente en tous domaines. On ne s'exprime plus en termes de "nature et grâce" mais de "nature et liberté":
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nature
Ce changement est considérable et constitue un signe évident de sécularisation. La nature a totalement éliminé la grâce qui a laissé la place, au "niveau supérieur", au mot "Iiberté".
Le système de Kant échoue lorsque celui-ci essaye de trouver une voie, quelle qu'elle soit, qui permette d'établir une relation entre le monde phénoménal de la nature et le monde nouménal des universaux. La ligne entre les deux "niveaux" (supérieur et inférieur) ne cesse de s'épaissir.
(Note: nouméal, du grec nouméon, "ce qui est pensé" (et non réel)).
La nature a si bien conquis son autonomie que le déterminisme, jusqu'alors quasiment limité au domaine de la physique, c'est-à-dire à ce qui, dans l'univers, est soumis à la loi de cause à effet, s'insinue peu à peu, d'une manière ou d'une autre, dans le domaine de la personne.
Ce déterminisme, présent au "niveau inférieur", ne constitue en rien un obstacle au développement d'un intense désir de liberté chez l'homme, liberté qui, elle aussi, ne peut être qu'"autonome". Dès lors l'"autonomie" prévaut aux "deux niveaux" sur le diagramme. La liberté individuelle préconisée est devenue absolue et ne consiste pas seulement à écarter le besoin de rédemption.
Rousseau et ses successeurs mènent très loin, dans les arts et la littérature, le combat pour la sauvegarde de cette liberté, allant jusqu'à rejeter la civilisation, considérée comme une entrave à la liberté. C'est ainsi qu'est né l'idéal de la vie de bohème. Ces auteurs supportent mal de voir l'homme ravalé au rang d'objet, au "niveau inférieur". La science naturaliste devient intolérable à leurs yeux. C'est l'ennemi. La liberté est en grand danger. Et ces hommes, qui ne sont pas encore des modernes, puisqu'ils refusent de n'être que des objets, se mettent à haïr la science: ils ont soif de liberté, même si ce terme ne signifie rien. Désormais la liberté "autonome" ("niveau supérieur") et les choses "autonomes" ("niveau inférieur") sont face à face.
Mais qu'est-ce qu'une liberté "autonome"? C'est une liberté où l'individu est le centre de l'univers, une liberté sans aucune restriction. Aussi, dès que l'homme commence à ressentir l'emprise des choses, Rousseau et d'autres avec lui s'insurgent contre la science comme si elle était coupable de menacer leur liberté. La liberté à laquelle ils aspirent est "autonome" puisque rien ne la restreint; mais elle se voit exclue du monde rationnel qui est le nôtre. Elle doit se contenter d'espérer et de désirer que l'homme jouisse, un jour, d'une totale liberté; en attendant, il faut se contenter d'une libre expression individuelle.
Pour bien apprécier cette nouvelle étape dans la formation de l'homme moderne, souvenons-nous qu'en Occident, depuis l'époque des Grecs, les écoles philosophiques ont en commun trois grands principes.
Tout d'abord, ces écoles sont rationalistes, c'est-à-dire que l'homme se prend lui-même comme l'origine absolue de tout, rassemble des informations sur des éléments particuliers et en dégage des principes universels. Tel est le vrai sens du mot "rationaliste"; celui que j'utilise dans ce livre.
En second lieu, ces écoles croient au rationnel; à ne pas confondre avec le rationalisme. Elles considèrent que l'homme peut valablement s'appuyer sur sa raison et elles pensent en termes d'antithèse; par exemple, si une chose est vraie, son contraire ne l'est pas; dans le domaine de la morale, le bien est l'opposé du mal. Il en a toujours été ainsi et la théorie de Heidegger (1889–1976), selon laquelle les Grecs présocratiques, avant Aristote, auraient pensé autrement n'a aucun fondement historique. En vérité, il est impossible de raisonner d'une autre manière. L'unique moyen pour écarter une pensée rationnelle ou formulée en termes d'antithèse consiste à s'exprimer de la même façon. Si quelqu'un affirme qu'il est incorrect de penser en termes d'antithèse, il utilise le concept d'antithèse pour le nier. Dieu nous a créés ainsi, et il est impossible de penser selon une autre démarche. La logique classique établit que A est A et pas "non A". Discerner ce qu'implique cette méthodologie et quelles conséquences entraîne son rejet est important, si l'on veut comprendre la pensée contemporaine.
Enfin, en troisième lieu, les écoles philosophiques classiques ont toujours espéré parvenir à unifier le champ des connaissances. Ainsi, à l'époque de Kant, on s'est accroché désespérément à l'idée qu'en alliant le rationnel au rationalisme, on trouverait une réponse englobant tous les éléments de la pensée et de la vie. A quelques exceptions près, cette aspiration caractérise toute la philosophie jusqu'à Kant inclus.
Le modernisme scientifique
Rappelons, tout d'abord, que les savants des temps anciens, s'ils croyaient au principe de causalité, ne pensaient pas cependant qu'il s'exerce à l'intérieur d'un système clos. En cela réside la différence entre la science naturelle et la science enracinée dans une philosophie naturaliste, ou entre ce que j'appellerai la science moderne et le modernisme scientifique. L'idée de "système clos" ne représente pas un échec de la science en tant que telle, mais correspond à la nouvelle philosophie qui prévaut actuellement parmi les savants, selon laquelle l'univers soumis aux investigations de la physique comprend aussi tous les domaines de la vie. Les philosophes des époques anciennes n'auraient pas admis cela. Même si Léonard de Vinci a pressenti cette évolution de la science puisque, comme nous l'avons vu, ayant compris qu'à partir des mathématiques on en est réduit aux particules quantifiables, il s'est acharné à découvrir un universel.
A notre époque, le "niveau inférieur" ayant complètement absorbé le "niveau supérieur", le savant moderniste affirme l'existence d'une unité totale entre les deux "niveaux" par suppression du "niveau supérieur". Il n'y a plus ni Dieu, ni liberté : tout est inclus dans le système. Ainsi ce qui distingue essentiellement la science moderne, ce n'est pas l'abandon du principe de causalité, mais l'idée que ce principe de causalité s'exerce à l'intérieur d'un système clos. Cette modification n'est pas le résultat d'une découverte scientifique, mais correspond à l'adoption pure et simple des présupposés de la vision matérialiste ou naturaliste du monde.
Remarquons que les savants qui ont engagé la science sur cette nouvelle voie – ceux de notre temps – continuent à insister sur l'unité du champ des connaissances, restant ainsi fidèles à l'idéal classique. Mais quel est leur objectif? Le naturalisme qu'ils ont adopté incorpore au système non seulement la physique, mais aussi la psychologie et les sciences sociales, car le seul moyen de parvenir à cette unité réside dans la suppression de toute liberté. C'est le triomphe du déterminisme, un océan sans rivages. Rechercher l'unité sur la base du principe de causalité dans un système clos aboutit à nier l'existence de la liberté. En fait, l'amour n'existe plus, et la vie est dépourvue du sens auquel tout être humain aspire. En d'autres termes, la ligne de séparation des deux "niveaux" a été placée au-dessus de tout, et il ne reste plus rien de l'ancien "niveau supérieur".
Dieu, amour, morale, liberté, raison d'être, homme
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nature – physique, sciences sociales et psychologie – déterminisme
La nature devenue "autonome" a englouti, à la fois, la grâce et la liberté. Un "niveau inférieur" autonome absorbe toujours le "niveau supérieur". Telle est la leçon que l'histoire des cinq derniers siècles nous apprend: lorsqu'on établit un dualisme en conférant une autonomie aux éléments situés au "niveau inférieur", le résultat est immanquable : ce qui est "autonome" élimine ce qui ne l'est pas.
La nouvelle morale
Cette conception a influencé la morale. Les écrivains pornographiques du XXe siècle se réclament du Marquis de Sade (1740–l814). On lui accorde aujourd'hui un rôle très important et on ne le considère pas simplement comme un auteur obscène. Il y a une cinquantaine d'années, en Angleterre, la possession de ses ouvrages était un délit. Aujourd'hui, le Marquis de Sade est à l'honneur aussi bien au théâtre qu'en philosophie et en littérature. Tous les écrivains nihilistes ("black writers") et les "auteurs en révolte" se réclament de Sade, non seulement parce qu'il est un auteur obscène ou parce qu'il se sert de la sexualité pour propager ses idées philosophiques, mais surtout parce qu'il est fondamentalement déterministe. Il a compris ce qui arriverait si l'homme était inclus dans le système clos, et il en a tiré la juste conséquence. Si tout, dans la vie, est déterminé – si tout se ramène à cela – la morale n'a aucune importance; elle n'est qu'un instrument de manipulation sociale. Le mot "morale" n'est plus qu'une connotation sémantique d'une réalité inverse, l'absence de morale.
Mais Sade va plus loin. L'homme est plus fort que la femme; la nature l'a voulu ainsi. C'est pourquoi l'homme aurait le droit de traiter la femme comme il lui plaît. Prendre une prostituée et la battre pour son plaisir – ce qui fut la cause de l'emprisonnement de Sade sous la Monarchie et sous la République – est un acte normal. Telle est l'origine du mot "sadisme". Ce mot, ne l'oublions pas, exprime un concept philosophique : le sadisme consiste non pas simplement à faire souffrir pour le plaisir, mais à estimer que cela est juste, puisque la nature l'a décrété ainsi.
Des hommes comme Sir Francis Crick (19]6) et même Freud (1856–1939), traitant du déterminisme psychologique, ne font que répéter ce que Sade a déjà dit: nous sommes partie intégrante du système clos. Mais, s'il en est ainsi, la théorie de Sade est incontournable. C'est exactement ce que nous observons dans notre civilisation où à force de répéter, pendant assez longtemps, que les hommes ne sont que des "machines", cela finit par se vérifier dans leurs actes. On l'observe dans la civilisation contemporaine avec le théâtre de la violence, les agressions dans la rue, la mort de l'homme dans l'art et dans la vie. Tout cela et beaucoup d'autres faits du même ordre sont les conséquences normales de l'évolution de l'histoire des idées que nous venons de retracer.
D'où vient le mal? Du moment où la nature a été rendue "autonome", on amorce le mouvement qui a eu pour effet d'engloutir Dieu, la grâce, la liberté et jusqu'à l'homme lui-même. S'attacher désespérément au concept de liberté, en employant ce mot à la manière de Rousseau et de ses successeurs, n'empêche pas la liberté de se transformer finalement en asservissement.
Hegel
Hegel (1770–1831) marque après Kant une nouvelle et importante étape. Jusqu'à lui, la recherche philosophique a consisté à tenter d'inclure dans un cercle tout ce qui a trait à la pensée et à la vie. Tour à tour, chacun a présenté un système que le suivant a contesté en proposant autre chose et ainsi de suite. Comment s'étonner, dans ces conditions, que l'étude de la philosophie procure si peu de plaisir!
A l'époque de Kant, le rationalisme, philosophie fondée sur la raison seule, est dans l'impasse. Soumis à des présuppositions rationalistes, les deux "niveaux" se trouvent alors dans une tension telle que la rupture est imminente. Kant et Hegel sont les précurseurs directs de l'homme moderne.
Quelle est la pensée de Hegel? Il constate, d'une part, que les hommes se sont efforcés, pendant des millénaires, de comprendre leur situation en fondant leur recherche sur l'antithèse, sans y aboutir, et d'autre part, que les philosophes humanistes, sans y parvenir non plus, ont essayé de maintenir le triptyque du rationalisme, de la rationalité et du champ unifié de la connaissance. Hegel propose donc une autre méthode, dont l'effet à long terme – si étrange que cela paraisse – est que les chrétiens d'aujourd'hui ne comprennent plus leurs enfants. Hegel n'a pas, comme ses prédécesseurs, proposé une réponse philosophique parmi d'autres; il a bouleversé les règles du jeu en deux domaines: l'épistémologie (étude de la connaissance, de ses limites et de sa validité) et la méthodologie, ou méthode utilisée dans l'étude des questions relatives à la vérité et à la connaissance.
Hegel propose, en effet, de ne plus penser en termes d'antithèse, mais de le faire en termes de confrontation: thèse – antithèse, le résultat étant toujours la synthèse. Cette démarche a pour effet de tout relativiser; ce faisant, Hegel a changé le monde. Les aînés ne comprennent plus les jeunes, parce que ceux-ci n'ont plus la même structure, de pensée que leurs parents. Il ne s'agit pas seulement de solutions autres trouvées aux problèmes, mais d'un changement de méthodologie. Le rationalisme n'a pas voulu ce changement. Il est le résultat du désespoir suscité par les échecs répétés de la pensée rationaliste pendant des siècles. Un choix était inéluctable; il a consisté à s'accrocher au rationalisme au prix de la démission de la raison.
Il est vrai qu'Hegel est habituellement considéré comme un idéaliste, et qu'il a, en effet, espéré arriver à une synthèse, s'accordant d'une façon ou d'une autre, avec la raison. Pour ce faire, il a même usé d'un langage religieux qui ne lui a pas servi cependant, à trouver la solution. En fait, il est à l'origine des caractéristiques de l'homme moderne pour qui la vérité absolue n'existe plus; elle a fait place à la synthèse (thèse + antithèse) tout empreinte de relativisme.
Se révolter contre Dieu consiste pour l'homme à se placer au centre de l'univers et à se vouloir "autonome". Il préfèrera toujours son rationalisme et sa révolte, son aspiration à l'"autonomie" totale ou partielle en certains domaines, même si cela lui coûte toute rationalité.
Kierkegaard et la ligne du désespoir
Après Hegel, Kierkegaard (1813 – 1855) est un véritable moderne parce que sa réflexion le pousse à admettre ce que Léonard de Vinci et tous les autres philosophes ont refusé de faire; il abandonne l'espoir d'un champ unifié des connaissances.
Il y a d'abord eu
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nature
puis
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nature
Il y a maintenant
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raison
Sur le diagramme suivant, l'ordre de présentation des disciplines est chronologique, allant de la philosophie pré-kantienne jusqu'à notre époque.
La pensée nouvelle se diffuse sur trois plans différents. Tout d'abord, géographiquement: après l'Allemagne, elle atteint la Hollande, la Suisse et l'Angleterre, tandis que l'Amérique reste plus longtemps fidèle au mode de penser classique.
Ensuite, dans les classes sociales: les intellectuels sont les premiers touchés, puis, par les médias, les ouvriers. La classe moyenne, la bourgeoisie est restée, quant à elle, hors d'atteinte de ces idées, et l'est parfois encore de nos jours. La classe moyenne est, de bien des façons, un des fruits de la Réforme et on doit se féliciter de ce qu'elle constitue un facteur de stabilité. Mais malheureusement, bien des membres de ce dernier groupe ne comprennent pas quelle est la nature du fondement de cette stabilité et sont incapables d'expliquer pourquoi ils sont attachés à la méthodologie classique. Ils agissent uniquement par habitude et par fidélité à une tradition dont ils ignorent l'origine et la valeur. Ils pensent encore de façon correcte – le vrai est vrai, le bien est bien –, mais ils ne savent pas pourquoi il en est ainsi. Comment pourraient-ils donc comprendre leurs enfants, dont la manière de penser diffère de la leur parce qu'elle est celle du XXe siècle: la vérité et le bien sont relatifs ?
La grande majorité de la population a accepté le nouveau mode de penser proposé par les mass media sans chercher à l'analyser. Elle a été agressée par le cinéma, la télévision, les livres, les revues et la presse qui, sans faire preuve du moindre esprit critique, ont adopté les conceptions nouvelles. Entre les intellectuels et les ouvriers, la classe moyenne forme un groupe à part auquel, et c'est là une difficulté, appartiennent la plupart des membres de nos Eglises. Cela explique pourquoi bien des chrétiens ne comprennent plus les jeunes; ceux-ci sont formés à la nouvelle école: non seulement ils ont des opinions différentes, mais ils raisonnent autrement que leurs parents. L'écart est tel que l'affirmation "le christianisme est la vérité" n'a pas le même sens pour les parents et pour leurs enfants.
Enfin, comme l'illustre le diagramme ci-dessus, la nouvelle manière de penser a envahi peu à peu les diverses disciplines: après la philosophie, les arts, la musique et les différents domaines de la culture générale; la théologie est la dernière atteinte. Dans le domaine de la peinture, par exemple, après les grands impressionnistes comme Van Gogh (1853–1890), Gauguin (1848–1903) et Cézanne (1839–1906), il y a les post-impressionnistes qui nous introduisent dans le monde moderne. En musique, c'est Debussy (1862–1918) qui le fait tandis qu'en littérature, on peut penser à T.S. Eliot. En théologie, c'est Karl Barth (1886-1968).
NOTE
Dans le livre Dieu, illusion ou réalité? j'ai parlé en détail des diverses disciplines (philosophie, art, musique, culture générale et théologie) telles qu'elle se présentent dès lors qu'elles ont passé sous la "ligne du désespoir".
Sur le diagramme, j'ai marqué une ligne que j'appelle la "ligne du désespoir". Cela ne signifie pas qu'en dessous d'elle tous pleurent, même si certains le font, comme Francis Bacon ou Giacometti, qui est mort désespéré.
Pourquoi ce désespoir? Parce que l'espoir de trouver une réponse unifiée aux problèmes de la connaissance et de la vie doit être abandonné. Le moderne tient trop à son rationalisme et à son "autonomie" – d'homme révolté contre Dieu – pour ne pas tout leur sacrifier. À la différence des personnes cultivées des époques précédentes qui n'ont jamais désespéré de trouver le secret du champ unifié de la connaissance, l'individu du XXIe siècle vit dans le désespoir car, pour lui, l'aspiration des hommes de tous les temps est irréalisable.