Un sacrifice vivant pour un monde qui meurt
Lorsqu'on rentre en Europe après quelques années d'absence, on est frappé par l'ampleur croissante de deux phénomènes.
Tout le monde parle avec une familiarité étonnante de problèmes de société graves dont la nature même révèle des changements culturels profonds. On peut se réjouir de cet accès généralisé à l'information et de la possibilité que chacun a, en principe, de décider de son comportement. Seulement, ne nous y laissons pas prendre. Une telle liberté, surtout dans le domaine éthique, est moins inspirée par une approche chrétienne des problème que par une morale hédoniste et utilitaire
Chacun est libre maintenant de faire ce dont il a envie dans la recherche de sa réalisation personnelle en évitant au mieux les risques. A cet égard, il semble asse symptomatique que la seule prévention massivement prônée contre le SIDA soit l'emploi de préservatifs.
L'offensive accrue de systèmes philosophico-religieux est un second phénomène, plus ancien, mais dont il faut remarquer l'intensification. Il est de plus en plus commun de voir des Européens devenir adeptes de croyances importées cela en dépit d'une culture originellement façonnée par la foi et les concepts chrétiens. En observant ces transformation sociales, nous devons être bien convaincus que nous n'assistons pas à une régression passagère des valeurs chrétienne mais plutôt à une nouvelle étape de l'instauration d'une culture néo-païenne. On ne peut nier l'effet démoralisant d'un tel constat et le défi qu'il lance à l'Eglise de Jésus-Christ!
Il importe donc de nous souvenir qu'en toute époque, le Seigneur nous recommande de cultiver une grande fermeté et une saine espérance spirituelle. En effet, le mandat qu'il a confié à l'Eglise de le faire connaître en vivant sous son autorité et en le proclamant à toutes les ethnies de la terre demeure intact. En Romains 12:1-5, l'apôtre Paul fait ressortir que cet appel du Seigneur renvoie invariablement à la question de notre relation à Dieu, au monde et à l'Eglise.
«Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. Par la grâce qui m'a été donnée, je dis à chacun de vous de n'avoir pas de lui-même une trop haute opinion, mais de revêtir des sentiments modestes, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun. Car, comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n'ont pas la même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres.»
Notre relation à Dieu:
UN SACRIFICE VIVANT
- Les compassions de Dieu.
Comment Paul ose-t-il lancer un appel dont l'exigence, «offrir son corps comme un sacrifice vivant», n'a d'égal en aucune autre religion du monde? Qu'est-ce qui pouvait l'assurer que certains hommes et femmes accepteraient une pareille vocation? La réponse tient en tout ce qui précède ce 12e chapitre et qu'il résume en ces mots: «Les compassions de Dieu». Parce que Dieu a intimement connu le désarroi absolu de l'homme pécheur, sans Dieu personnel, réduit à lui-même, il s'est approché de lui en Christ, homme authentique, pour l'aimer et lui offrir son pardon: «Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous» (Romains 5:8). L'histoire de notre relation à Dieu est celle d'un lien que l'homme a pris la liberté de bafouer et de détruire mais que Dieu a décidé de recréer en payant le prix de cette restauration. La compassion de Dieu prend une dimension accablante lorsque l'homme découvre que, plus qu'un sentiment d'une extraordinaire profondeur, la Parole a été faite chair (Jean 1:14), pour vivre parmi nous, nous représenter et se substituer à nous au moment où Dieu a jugé le péché de l'homme en Christ. Elle signifie pour nous que Dieu a fait plus qu'apaiser provisoirement notre âme tourmentée par la culpabilité et l'obsession de la mort. Il nous a réconciliés avec lui pour l'éternité car le mal fondamental ne résidait pas dans notre expérience subjective de la souffrance mais dans notre séparation éternelle d'avec Dieu à cause du péché.
- Un sacrifice vivant, pourquoi?
Lorsqu'on vient juste de reconnaître Jésus-Christ, qu'on lui a cédé sa vie, l'offrande ardente de cette vie à Dieu semble un mouvement normal du cœur. L'amour répond souvent spontanément à l'amour vrai. Pourquoi donc cet appel à offrir notre vie en sacrifice? Parce que 1a réponse que nous donnons à Dieu doit elle aussi être plus qu'un sentiment. En Christ, nous recevons non seulement l'espérance de la vie éternelle mais des dispositions radicalement différentes envers la vie présente. La solide exhortation de Paul veut nous ancrer dans une nouvelle réalité. En fait, il a été difficile de nous décider à livrer notre vie au Seigneur lorsque nous avons commencé à comprendre ce que lui obéir signifiait. Et il peut être parfois plus difficile encore de renouveler consciemment le don de notre vie lorsque d'importants changements bouleversent notre quotidien, lorsque notre santé est déficiente, que nous sentons nos forces diminuer, que nous luttons avec une frustration profonde ou que notre sécurité personnelle est menacée. Tout cela nous porte au contraire à revendiquer de pouvoir vivre pour nous-mêmes et à oublier la notion et la nécessité de l'offrande de notre vie en sacrifice à Dieu. Rappeler cette exigence absolue prend alors tout son sens.
- Un sacrifice vivant, pour qui?
Mais qu'est-ce qui se joue encore autour de cet appel radical ? D'abord la crédibilité du christianisme. Si Dieu, alors que je m'opposais à son autorité, a pu faire de moi son serviteur, il faut qu'il soit véritablement puissant. Si je ne vivais que par référence à moi-même et qu'on me voie désormais soumis au Seigneur, la transformation même de ma vie révèle avec force que Christ est réellement le Sauveur promis par Dieu. Ainsi l'offrande de ma vie au Seigneur lui permet de se manifester au monde en vie et langage humains comme témoignage de sa souveraineté et de sa bonté.
A partir de là, on voit très bien que Dieu lie l'offrande de ma vie au salut de l'homme pécheur. Pour qu'à son tour il puisse croire, il doit pouvoir s'étonner des transformations et des guérisons profonde opérées dans ma vie. C'est pourquoi le témoignage oral et écrit, dont l'importance reste irremplaçable, n'aura d'impact que porté par une vie où le Seigneur demeure en ami aimé et obéi.
La formation des croyants ne demandera pas moins que cette démonstration de vie offerte avec persévérance. Chercher avec un frère ce que la soumission de sa vie au Seigneur implique exige une écoute attentive du Seigneur lui-même et une disponibilité personnelle entière. Là encore, une vie offerte au Seigneur fournit seule le support nécessaire à tout enseignement chrétien fort.
- Un sacrifice vivant, comment?
Personne n'est immunisé contre la tentation de refuser sa vie à un tel sacrifice, pas plus un missionnaire qu'un autre chrétien. Souvent, la tentation est proportionnée à l'engagement spirituel pris. Pour certains missionnaires, la tentation de récupérer leur vie viendra de la solitude dans laquelle ils ont vécu et travaillé longtemps. Pour d'autres, ce seront des difficultés de santé ou un sérieux échec de leur vie ou de leur ministère. D'autres se laisseront de plus en plus porter par leurs succès personnels et ne s'apercevront pas qu'ils sont devenus autorité pour eux-mêmes. Ces circonstances diverses ajoutées aux pressions multiples du ministère éprouvent sévèrement notre relation intime avec le Seigneur et peuvent entraîner un mouvement de repli sur soi. Il n'est pas rare de rencontrer des missionnaires non seulement fatigués mais desséchés, dont la vie spirituelle se réduit à participer aux réunions fraternelles mais sans plus lire la Bible ni pouvoir prier. N'avez-vous jamais ressenti vous-mêmes cette démoralisante impression de vous trouver dans l'impossibilité de continuer à vivre une consécration intense et fidèle au Seigneur?
N'avez-vous jamais été gagnés par le désir d'échapper à vos responsabilités spirituelles et d'oublier définitivement certains textes de l'Ecriture (cf Ezéchiel 3:18)?
Comment alors retrouver une conscience spirituelle éveillée et cette disposition essentielle du cœur à s'offrir au Seigneur? Toutes les informations chiffrées que je collecterai sur les besoins du monde et de la mission, en dépit de leur utilité évidente, ne pourront y parvenir. Rien ni personne ne pourra jamais me contraindre d'offrir ma vie en sacrifice vivant au Seigneur car il est parfaitement possible de résister à tous les arguments et aux pressions morales.
Faut-il alors conclure que notre situation est totalement désespérée lorsque nous avons perdu notre amour pour le Seigneur? Jamais! Mais je n'offrirai à nouveau ma vie en sacrifice vivant que si je m'en laisse encore persuader par l'Ecriture dont le Saint-Esprit me révèle à la fois le sens spirituel et les implications morales et pratiques. «Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie» (Jean 20:21). C'est à cette condition que l'offrande première puis renouvelée de ma vie au Seigneur devient un culte raisonnable.
Notre relation au monde:
UNE INTELLIGENCE RENOUVELÉE
Connaître la volonté de Dieu
En Romains 12:2, Paul fait remarquer que l'offrande de notre vie se démontre par une pensée renouvelée et un comportement nouveau. L'offrande de notre vie au Seigneur entraîne effectivement une rupture d'avec les valeurs et les idées ayant cours dans le monde. Mais ce programme est beaucoup plus vaste et complexe qu'il n'y paraît souvent. Ainsi, nous devons apprendre, jour après jour, dans des circonstances difficiles ou simples, que pour nous «tout est de lui, par lui, et pour lui» (Romains 11:36). Il ressort de cette affirmation que tous les aspects de notre vie dans le monde présent procèdent du Seigneur. Choix et exercice de ma profession, expression de mes dons, vie familiale, loisirs et repos, en tout je suis appelé à vivre ce don entier de ma vie au Seigneur en obéissant à ce que l'Ecriture enseigne en chacun de ces domaines. C'est en cela que se prouve le renouvellement de mon intelligence avec cette conséquence que du même coup m'apparaît la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait.
- Attention, particularismes culturels!
Seulement, l'enthousiasme que nous procure la connaissance de la volonté de Dieu ne doit pas nous masquer les limites mêmes de notre intelligence renouvelée. Aucun chrétien n'est autorisé à croire qu'il a été totalement libéré de son mode de pensée pécheur et qu'il est devenu tout à fait hermétique aux influences du monde ambiant le jour de sa conversion. De plus, notre intelligence fonctionne souvent à notre insu selon nos standards culturels particuliers.
Jusqu'à quel point, par exemple, dois-je admettre qu'un frère qui s'est converti grâce au témoignage de missionnaires, à qui l'on a confié des responsabilités précises dans une Ecole biblique, qui est normalement rémunéré, reçoive pour des entretiens de cure d'âme des membres de l'Eglise dont il est ancien? Son travail accuse des retards importants et des collègues se plaignent de sa négligence. Résultat: l'équipe missionnaire s'impatiente et s'irrite tandis que ce frère a le sentiment d'avoir assumé ses responsabilités au plus près de sa conscience. Comment réussir à s'entendre en pareil cas? Pourquoi, alors que nous sommes réellement frères en Christ, aboutissons-nous à de tels désaccords ? N'avons-nous pas tous été renouvelés dans notre intelligence pour comprendre ce qui est juste et adapté à chaque situation? En fait, avec une conscience qui a tendance à nous convaincre de la parfaite légitimité de nos choix, nous avons chacun privilégié ce qui, selon nous, est un bon trait de notre culture: lui la priorité à l'individu, nous celle au travail. Si nous voulons trouver une solution honnête à ce conflit, nous allons tous devoir reconnaître que notre intelligence spirituelle renouvelée est en réalité rétrécie par nos concepts culturels respectifs. Voilà qui explique que, parfois, des frères également consacrés rencontrent pas mal de difficultés à collaborer.
- Un «nouveau» renouvellement de notre intelligence spirituelle
Nous sommes ainsi contraints de revoir notre système de valeurs que nous croyions universel. Cela nécessitera que nous renouvelions le don de notre vie au Seigneur, car nous sommes généralement irrités et difficilement prêts à reconnaître les limites de notre intelligence spirituelle. Ensuite, nous devrons aussi exercer notre discernement sur les valeurs de la culture qui nous accueille. Ce renouvellement de notre intelligence, que nous avions peut-être imprudemment cru achevé, nous découvrons qu'il est, par nécessité, un processus continuellement en marche, qu'il nous impose même un nouveau mode de pensée et de vie, qu'i1 nous contraint à une révision incessante de notre système de valeurs culturelles.
C'est probablement à ce niveau qu'apparaissent nos déficiences les plus graves sur champ missionnaire. Sous la pression d'un ministère chargé, et par suite d'un relâchement spirituel, l'Ecriture peut perdre beaucoup de sa pertinence pour nous. Et lorsque notre réflexion et notre conscience ne sont plus affûtées par un contact régulier avec l'Ecriture, il devient difficile, voire impossible, de discerner ce qui est juste ou de le soutenir morale-ment. Si l'on est soi-même victime d'un tel évanouissement spirituel, on pourrait se retrouver un jour au nombre de ceux qui, au nom du respect dû à la culture, tolèrent le mensonge, l'immoralité et les vols dans l'Eglise!
Entre le rejet automatique et l'adhésion molle ou naïve aux valeurs culturelles que nous rencontrons chez nous ou sur le champ missionnaire, il est possible de parvenir à un point d'équilibre, si l'on veut bien admettre qu'aucune culture du monde n'est intangible. Il s'agit de reconnaître:
– que chaque culture émane d'hommes déchus, sans espoir de salut en eux-mêmes, qui peuvent se trouver soumis à des esprits mensongers et à des puissances mauvaises; mais que ces valeurs sont aussi l'expression de la personnalité de l'homme en qui subsiste l'image de Dieu, qui est encore capable de réflexion intelligente et de bonté, qui est encore sensible à la beauté.
Chez les Haussas, par exemple, on emploie un petit violon dont on joue en même temps qu'on invoque des puissances occultes. Cette pratique particulière ne nous permet cependant pas de rejeter indistinctement tous les autres instruments de musique sous prétexte que leur emploi est rendu suspect par ce contexte culturel.
Notre relation à l'Eglise:
UNE INTÉGRATION TOUJOURS PLUS COMPLÈTE
- Le mythe du splendide solitaire
Lorsqu'on lit Romains 12:3-5, on se rend compte que chaque croyant est invité à rester modeste: «Je dis à chacun de vous de n'avoir pas de lui-même une trop haute opinion». Pourquoi? Les raisons sont spirituelles et pratiques: «Nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres».
Tant qu'il était question d'offrande de notre vie en sacrifice et de renouvellement de notre intelligence, nous pouvions concevoir la vie et le service chrétiens en strict individualiste. Nous pouvions imaginer notre vie entièrement consacrée au salut des perdus, ou à une oeuvre d'aide, sans du tout réaliser que Dieu est autant occupé à sauver des pécheurs qu'à former ses enfants à vivre ensemble.
En effet, nous comprenons plus facilement ce qu'implique l'annonce de l'Evangile que ce que nécessite l'état de membre du corps de Christ, et nous démontrons souvent un intense souci de nous affirmer comme individu au détriment des autres membres du corps. Mais, en fin de compte, ce besoin d'affirmer notre importance n'est qu'une panacée. Il faudrait encore savoir reconnaître ce que nous sommes, sans pessimisme ni illusion, et nous réjouir de ce que la grâce de Dieu nous permet d'être individuellement. A partir de là, nous pourrions encore nous réjouir du fait que les frères et sœurs qui nous entourent sont également entre les mains du Seigneur qui leur accorde des grâces particulières. Rien, alors, ne nous empêcherait de bénéficier librement de leurs dons et de leurs ministères tout en répondant à l'appel spécifique que le Seigneur nous a adressé.
- Frères, mais aussi amis!
Il se produit un vrai miracle lorsque les frères se laissent saisir par cette vision de l'Eglise: les serviteurs de Dieu cessent de se concurrencer, de vouloir rivaliser d'influence. Ils deviennent capables de vivre une communion vraie, profonde et réparatrice. La vie de la communauté est marquée par une perception claire de la complémentarité de ses membres, et l'amitié devient l'expression profonde et concrète de la vie de Christ que nous partageons avec tous les frères.
Malheureusement, moins nous sommes reconnaissants pour ce que le Seigneur nous accorde et ce qu'il est, plus nous nous cristallisons sur nous-mêmes, obsédés par le besoin de prouver notre importance parce que nous cherchons désespérément à nous rassurer sur notre valeur personnelle. Tous nous souffrons, à un moment ou à un autre, de ce besoin de prééminence parmi les frères, parce que nous sommes insuffisamment persuadés de la grâce de Dieu envers nous. Nous nourrissons tous des frustrations qui exagèrent à la fois l'inconvénient de nos faiblesses et l'importance de nos capacités et qui nous dissocient de l'ensemble du corps de Christ.
CONCLUSION
Revenons à la première exhortation de Paul: c'est au Seigneur lui-même que j'offre ma vie en sacrifice vivant et non à une oeuvre sur laquelle je devrais régner en maître. Et plus je prends au sérieux cet engagement, plus s'impose à moi la nécessité d'une transformation continue de ma compréhension des gens et des situations. Plus s'impose encore à moi l'absolue nécessité des autres membres du corps. C'est en tant que croyant individuel mais aussi en tant que membre du corps que je suis appelé à relever le défi d'une vie soumise à Dieu quelle que soit l'adversité de mon siècle. Et c'est soutenu par ses compassions que je persévère à porter, avec la totalité du corps, le nom de Christ à l'ensemble du monde.