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Le profil du Messie dans la Loi, les Psaumes, et les Prophètes

(Interview de Jacques Guggenheim par Farid Djilani-Sergy)

Seconde partie

Farid Djilani-Sergy: Je rappelle le thème de notre discussion : le profil de Jésus dans la Loi. les Psaumes et les Prophètes. Nous avons déjà énuméré un certain nombre de textes qui nous parlent du Messie. Je constate qu'ils sont relativement nombreux, quelques-uns sont même d'une grande précision, n'est-ce pas ?

Jacques Guggenheim: Oui, par exemple quand il est question de l'entrée de Jésus à Jérusalem. Le prophète Zacharie donne un détail dont on verra l'accomplissement: "Et toi Jérusalem, ton roi vient à toi, il est juste et victorieux, il est humble, monté sur un ânon, le petit d'une ânesse." Ce n'est pas la monture d'un roi. On aurait pu imaginer un cheval de grand prix, ou bien des porteurs comme pour Salomon. Il est significatif, au titre de signe prophétique, que Jésus ait demandé la monture des pauvres et des humbles.

- Que veut-il nous apprendre par là

- C'est à l'occasion de son entrée dans la capitale que le peuple juif voulut faire de Jésus son roi. Mais Jésus savait très bien que ce n'était pas de cette royauté dont il était investi, et qu'en acceptant d'être roi selon l'enthousiasme momentané de la foule, il ne serait plus libre ensuite d'agir comme il aurait voulu le faire. Dans le livre biblique de Daniel, au chapitre 7, la venue du messie est aussi prédite, et de façon surprenante puisqu'il est indiqué qu'il viendra sur les nuées des cieux avec puissance, gloire et majesté.

- Le paradoxe là encore c'est que "le Messie de Daniel" se présente dans sa vision comme un "fils d'homme".

- Jésus s'appelle aussi dans les évangiles Fils de l'homme. C'est dire qu'il a pleinement revêtu notre nature humaine. Il a accepté les limitations d'un corps humain  Il a eu faim, Il a eu soif, Il a eu sommeil, Il a connu la tristesse, Il a pleuré. Et il a même eu, en face de ce qui devait s'accomplir à la croix, un moment d'arrêt. "Père, s'il est possible que cette coupe s'éloigne de moi". Il parlait de la coupe amère de la crucifixion. Mais sa prière n'en est pas restée là puisqu'il la poursuivit en disant  "mais que ta volonté soit faite et non la mienne."

- A ce stade de notre entretien, permettez-moi de soulever une question un peu pernicieuse  vous nous donnez un certain nombre de détails qui montrent, à la manière de preuves, que certaines prophéties bibliques concernant le Messie se sont accomplies en la personne de Jésus, jusque dans le détail.

- Oui

- Ne pourrait-on pas se demander si les écrits du Nouveau Testament - les évangiles - n'ont pas été "retravaillés", s'ils ne sont pas le fruit d'une Eglise qui voulait discerner en Jésus le Messie, et qui pour ce faire se serait servie des prophéties pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas, pour les appliquer à ce qu'elles ne visaient pas?

- Cette idée n'est pas nouvelle, vous savez, mais je pense qu'elle n'est pas sérieuse. Si on reprend les textes du Nouveau Testament en cause, on s'aperçoit qu'ils ont tous leur référence vétéro-testamentaire, même si quelques libertés ont été prises dans la traduction qu'en donnent les évangélistes ou les apôtres. Cela est sans doute dû au passage du grec à l'hébreu et à l'utilisation de la traduction grecque de la Bible - la Septante. Ils ont sans doute eu l'idée de montrer que Jésus était bien le Messie. Cela fait partie du témoignage évangélique, je ne vois pas en quoi ce souci apologétique, pourrait-on dire, mettrait en cause la crédibilité des écrits et des faits qui y sont rapportés.

Cette correspondance détaillée entre des prophéties de la première Alliance et leurs accomplissements rapportés dans les évangiles est particulièrement visible au moment de la crucifixion de Jésus. Au Psaume 22, David s'exclama: "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné?" A la croix son descendant reprend à son compte ce cri du cœur. Il est aussi écrit que ses mains et ses pieds furent blessés, que ses vêtements ont été partagés, et sa tunique tirée au sort. En rapportant tous ces détails les évangélistes nous renvoient fidèlement à des textes du Tanach.

L'agneau donné par Dieu

- Vous voulez donc insister sur cette idée qui vous paraît centrale, à savoir que Dieu est le Dieu de l'histoire. De la petite histoire aussi puisque, jusque dans les détails des événements concernant Jésus, nous voyons qu'il a la maîtrise de la situation. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

- Il faut maintenant aborder ce que certains considèrent comme le coeur du Tanach, de l'Ancien Testament, c'est-à-dire le chapitre 53 du livre d'Esaïe qui fait partie d'un ensemble de textes que l'on appelle "les chants du Serviteur". (Esaïe 42:1-9; 49:1-13; 50:4-11 et 52:13; 53:12) Il y est question du "Serviteur de l'Eternel" qui nous est ainsi décrit:

"Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage, nous l'avons dédaigné, nous n'avons fait de lui aucun cas. Cependant ce sont nos souffrances qu'il a portées, c'est de nos douleurs qu'il s'est chargé, et nous l'avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié alors qu'il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités. Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris… Semblable à l'agneau qu'on mène à la boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent; il n'a pas ouvert la bouche."

- Voilà une très belle vision, tragique aussi. Comment l'appliquer à un simple homme dans la mesure où il serait censé porter nos douleurs et nos péchés, s'en charger et nous en guérir ? Vous avez certainement un visage à mettre derrière ce serviteur souffrant qui nous est ici décrit par le prophète Esaïe?

- Jean- Baptiste, ce prophète qui est à la charnière entre la première et la nouvelle alliance, proclama en voyant Jésus:"voici l'agneau donné par Dieu qui ôte le péché du monde". C'est bien l'agneau d'Esaïe. Cet animal était connu du peuple d'Israël pour faire partie du culte sacrificiel à rendre à Dieu. Quand le peuple juif a quitté l'Egypte pour être un peuple libre, et se diriger vers la terre promise, il a fallu qu'il prenne un agneau sans défaut et qu'il le mette à mort, qu'il mange sa chair et qu'il asperge le sang de l'animal sur le montant des portes. A cette condition il serait épargné quand l'ange de la mort viendrait à sévir. La culpabilité d'Israël était égale à celle des Egyptiens ou de tout autre peuple païen. C'est pourquoi les Israélites ont dû offrir un sacrifice pour être préservés du châtiment de Dieu.

- Cette image de l'agneau avait donc déjà une valeur symbolique?

- Oui, bien sûr, on le retrouve au moment de la Pâque célébrée comme je vous le disais au départ de l'Egypte. Elle était renouvelée chaque année. D'une manière générale, la Loi demandait d'offrir en sacrifice de nombreux animaux, des boucs, des béliers, des taureaux… et des agneaux.

- Pourquoi Jésus serait-il spécialement "l'agneau de Dieu"? Je pense à la fameuse communauté de Qumran, près de la Mer morte, dont les manuscrits découverts en 1947 ont fait beaucoup parler d'eux. Il y est question d'un "Maître de justice" qui se présente aussi comme un prophète souffrant. Pourquoi n'a-t-il pas été pris pour l'agneau de Dieu, voir son Messie?

- Parce que jamais, à ma connaissance, les écrits esséniens ne désignaient le maître de justice sous cette "identité". Cependant, les Esséniens qui composaient cette communauté retirée dans le désert de Juda, sur les bords de la Mer morte, nous ont rendu un grand service en enterrant, entre autres, le manuscrit du livre intégral Esaïe ! Ils nous ont ainsi permis de vérifier la rectitude de la transmission des textes bibliques, puisqu'il y a douze ou treize siècles de différences entre le manuscrit d'Esaïe conservé par les Massorètes et celui qui a été découvert à Qumram. Mais le point sur lequel j'aimerais insister et qui a précisément rapport à votre question, c'est celui-ci: Les Esséniens, pour ce qu'on en sait, formaient une secte juive séparée du judaïsme. Ils étaient plus étroits encore que ne l'étaient les pharisiens. Le "Maître de justice" considérait que seuls les élus de sa communauté étaient "fils de la lumière". Les autres ne sont regardés que comme des misérables, destinés à être écrasés. Jésus est allé à l'encontre d'un tel enseignement puisqu'il parlait d'un Dieu qui sauve des hommes et des femmes de toutes conditions. Les Esséniens ne pouvaient certainement pas accepter le message de Jean-Baptiste et encore moins celui de Jésus.

- L'agneau de Dieu a donc été sacrifié à la croix. Nous l'avons entendu crier: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Avez-vous relevé un autre détail du chapitre 53 d'Esaïe que l'on trouverait réalisé au moment de la crucifixion du "serviteur souffrant"?

- Le prophète témoigne encore en ces termes: "Il a été enlevé par l'angoisse et le châtiment, parmi ceux de sa génération, qui a cru qu'il était retranché de la terre des vivants et frappé pour le péché de mon peuple?" Et au verset 9 il précise: "On a mis son sépulcre parmi les méchants et son tombeau avec le riche".(on peut aussi traduire ainsi le début du verset "Le lieu où il est mort est le lieu où meurent les méchants.") Jésus n'est pas mort sur un champ de bataille, mais sur la croix. C'est là que mourraient les esclaves, et surtout les criminels. Le prophète avait vu juste. Par ailleurs, Jésus a effectivement eu un tombeau de riche. L'évangéliste Matthieu nous rapporte qu'un disciple plutôt discret mais homme considéré en Israël - un pharisien -, Joseph d'Arimathée, est venu réclamer le corps du Messie. Il avait des relations avec Pilate qui lui a donné l'autorisation de prendre le corps. Avec d'autres il l'a descendu de la croix juste avant le Sabbat. Joseph d'Arimathée a proposé qu'on le mette dans le tombeau qu'il venait de se faire construire. Ce tombeau n'avait jamais servi. Or, précisa l'évangéliste: Joseph d'Arimathée était un homme riche.

Le Retour du Messie

- Avons-nous d'autres éléments qui nous permettent de dire que Jésus correspond bien au profil du Messie décrit dans les textes de la première Alliance ?

- Lorsque Dieu donne a peuple d'Israël l'ordre de manger l'agneau de la Pâque, il ordonne qu'aucun de ses os ne soit brisé. Il en a été de même avec Jésus. Jean nous explique cela dans son évangile. Pour ne pas laisser les corps crucifiés pendant le sabbat de la Pâque, les habitants de la Judée demandèrent à Pilate qu'on les enlève. Pour ce faire ils devaient être morts. On sait que l'agonie sur la croix pouvait durer jusqu'à 36 heures. Elle était atroce et très longue. Si on voulait qu'un crucifié meure dans la minute qui suit, les Romains avaient l'habitude de lui briser les tibias avec un coup d'épée. Parmi les trois crucifiés, deux subirent ce sort, mais Jésus étant déjà mort il y échappa. Un des soldats vint cependant lui percer le côté avec une lance. Il en sortit de l'eau et du sang. Jean conclut ainsi : (Jean 19:36) "Cela est arrivé, pour que l'Ecriture soit accomplie : aucun de ses os ne sera brisé". (cf. Exode 12:46 et Psaumr 34:21) Et ailleurs, l'Ecriture dit encore:"Ils regarderont à celui qu'ils ont percé".(Zacharie 12:10)

- On découvre ici, comme ailleurs dans le Nouveau Testament, le souci manifeste de citer les Ecritures. Les écrivains de la nouvelle Alliance nous disent noir sur blanc qu'ils n'inventent rien. Jean est peut-être le plus explicite des quatre évangélistes: "Celui qui l'a vu (le Messie Crucifié) en a rendu témoignage, et son témoignage est vrai; et lui, il sait qu'il dit vrai, afin que vous croyiez, vous aussi" Jean 19:35). Comment comprenez-vous que Dieu ait eu soin d'accomplir tous ces détails? Voulait-il ainsi faciliter le témoignage de ses disciples?

- Ce qui s'est passé à la croix est bouleversant. Au fond de nous, nous savons bien que nous nous sommes tous révoltés contre Dieu, nous avons agi de telle manière que sa colère est légitime. Eu égard à sa justice, à sa sainteté, nous méritons tous de périr. En avons-nous conscience ? Mais avons-nous aussi conscience de son amour? La justice s'accomplit sur le dos de son propres Fils; sa mort nous vaut la vie, c'est là tout le sens de la venue du Messie sur terre. Et ce qui me bouleverse, c'est que Dieu n'ait pas lavé mon péché avec de l'eau, par des ablutions, ou par quelque autre moyen rituel, mais par l'œuvre que le Messie a accomplie en ma faveur. Cela me fait prendre conscience d'une part de la gravité du péché, et d'autre part de la sainteté de Dieu associée à son immense amour. Le châtiment que je méritais, c'est le Messie Jésus qui l'a subi à ma place.

Dieu soit béni !

- Il y a encore un dernier point qu'il est important de prendre en considération, c'est le retour de ce Messie. En est-il question dans l'ancien Testament?

- Oui, mais il faut réfléchir. Il y a un Messie qui souffre, qui est humilié et qui finit par mourir. Il vient dans sa capitale monté sur le petit d'une ânesse. Et il y a un Messie qui vient triompher des méchants, établir un règne de justice et de paix dont le trône se situe dans une Jérusalem nouvelle que nous décrit d'ailleurs le dernier livre de la Bible, le livre de l'Apocalypse écrit par l'apôtre Jean. Ce Messie glorieux, et son retour, apparaissent, entre autres, dans le livre de Daniel que nous avons précédemment cité. (Daniel 7:13-14; Esaïe 35:10; Apocalypse 21:1-8)

- Mais s'agit-il d'un seul et même Messie?

- Oui, certains rabbins ont cru qu'il y en avait deux, l'un viendrait pour souffrir, le "fils de Joseph", et l'autre pour triompher, le "fils de David". Mais en fait il s'agit du même, seulement il vient une première fois sur terre dépouillé de sa gloire pour accomplir ce que son nom veut dire, à savoir sauver des hommes et des femmes perdus. Et d'autres textes nous disent qu'il reviendra avec puissance, gloire et majesté, pour établir un règne éternel. Il sera pleinement "Emmanuel", Dieu parmi nous puisque, si j'en crois l'Apocalypse, il n'y aura plus de Temple dans la nouvelle Jérusalem; Dieu lui-même sera présent au milieu des hommes. Il ne sera donc plus nécessaire d'avoir un Temple. Celui-ci n'était que l'ombre d'une réalité à venir.

- Ce retour du Messie, doit-il inquiéter ceux qui de leur vivant ne s'en sont pas soucié?

- Il reviendra, nous disent aussi bien le Tanach, l'Ancien Testament, pour accomplir un jugement. Jésus est celui qui est venu sauver les hommes, non pour les perdre et les condamner, nous sommes d'accord là-dessus. Il le dit lui-même, selon des propos rapportés par l'Evangile de Jean au chapitre douze. Mais il précise que celui qui refuse de croire en lui, qu'il sache bien que la parole qui aurait pu le sauver le condamnera. Jésus est le "Chilo" que nous avons découvert au cours de cet entretien : il est le prince de la paix ou le dominateur, selon notre attitude à son égard. Si je le refuse en tant que prince de paix, alors il sera celui qui exercera le jugement.

- Dans ce cas, c'est comme si nous nous condamnions nous-mêmes à ne pas vouloir être sauvés, c'est bien cela?

- Dieu a prévenu le peuple d'Israël, un choix lui a été proposé. Il est invité, comme tout homme, à choisir la vie, le chemin, la bénédiction de Dieu. C'est Jésus le Messie qui incarne ce bon choix, lui qui a dit: "Je suis le chemin, la vérité et la vie". C'est toujours ce choix, mystérieux mais bien réel, qui aujourd'hui nous est proposé.

- Compte tenu de l'accomplissement dans le détail des prophéties au sujet du Messie, on peut penser que ce qui est annoncé au sujet de son retour, et du jugement qui l'accompagnera se réalisera avec la même précision.

- Tout à fait. Cela donne à réfléchir. la dernière vision prophétique que nous laisse la Parole de Dieu, c'est, nous l'avons mentionné, celle de l'Apocalypse où il est question d'une nouvelle Jérusalem. La description qui en est faite est grandiose et paisible. Quelques siècles avant Jean, le prophète Ezéchiel l'avait pour sa part décrite en des termes que ses contemporains pouvaient comprendre, mais ce qu'il nous faut retenir d'essentiel, c'est qu'enfin Dieu sera présent parmi les hommes. A tel point que le prophète appellera cette ville: "L'Eternel est ici présent". (Ezéchiel 47 et 48; Apocalypse 21 et 22) En attendant qu'il le soit en Esprit dans nos vies respectives. Demain il sera peut-être trop tard!

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