Histoire vraie de Sebti 14
Est-ce la police?
Au bord du trottoir, une 2 CV s'arrête.
– Laissons-la ici! dit le conducteur. Le bidonville est à deux pas.
– Prenons quelques sacs de vêtements ajoute sa femme qui sort à son tour. Ils sont là, dans le coffre!
Bientôt, pataugeant sous la pluie, et les bras bien chargés, les deux personnes disparaissent à l'angle de la rue...
De qui s'agit-il? Comment le savoir? Ah! il y a un moyen: le numéro de la voiture. Regardons. Tiens! c'est une plaque étrangère, qui commence par VD. Elle correspond à l'adresse suivante: Ed. Blandenier, Aubonne, Suisse. Que viennent donc faire ces deux personnes au bidonville de Gerland? Essayons de les suivre... La pauvreté du quartier ne semble pas les arrêter, pas plus que cette pluie d'hiver. Connaissent-ils quelqu'un par ici? On pourrait le croire. Regardez! ils vont vers cette baraque... frappent... une Algérienne se montre.
Elle a froid sous son châle déchiré. Quelques mots, ils entrent, avec leurs sacs en plastique... Bientôt, ils ressortent... et vont frapper plus loin. A présent, pas de doute, c'est vers le vieux wagon que le couple se dirige.
– Y a des Roumi pour vous! crie une voisine.
– Que nous veulent ces étrangers? se demande Sebti en ouvrant la porte. Il regarde, surpris, ces visiteurs inattendus. Alors mille suppositions traversent son esprit:
– Des policiers en civil? Non, ils ont l'air trop gentils. Un patron qui cherche de la main-d'œuvre? Mais alors, pourquoi ces sacs? Des fonctionnaires de la Sécurité Sociale? Une équipe médicale qui contrôle l'hygiène? Ou des journalistes pour un reportage sur le bidonville? Oh! mais on ne les laissera pas faire! Non, ce n'est pas possible: ils n'ont pas de caméras...
– Bonjour! On peut voir tes parents?
– Euh... oui... y a ma mère!
Alors, serait-ce plutôt une plainte à cause d'un nouvel exploit de la bande?
– Salam! dit poliment l'étranger.
– Salam, Salam! répond la mère de famille. Mais... vous parlez l'arabe?
– Oui, un petit peu!
– Alors entrez, entrez! La conversation s'engage, à propos du wagon, des enfants, de la santé.
Puis la mère de Sebti reçoit enfin l'explication de cette étrange visite:
– Nous venons de Suisse. C'est là que je travaille. Vous savez, Madame, j'ai vécu huit mois en Algérie, en Kabylie où j'étais missionnaire. Il a fallu rentrer pour raisons de santé. Mais nous aimons. toujours beaucoup les Algériens. C'est pourquoi nous sommes venus vous voir. Par ce froid, nous pensons que ces quelques vêtements peuvent vous rendre service, surtout pour les enfants.
– Oh! c'est gentil. Je n'ai pas grand-chose pour le petit qui dort là. Dites! vous prenez bien une tasse de café? Refuser, ce serait faire un affront à cette mère algérienne.
– Dommage, mon mari est absent. Mais revenez! Il sera content de vous voir. Avec lui, vous pourrez parler de la Kabylie. Il connaît bien, lui !
– D'accord! La prochaine fois, nous serons peut-être accompagnés de notre fille Anne-Marie. Si vous voulez, elle racontera une belle histoire de la Bible à vos enfants, avec des images...
Ce fut le premier contact.
Un matin, c'est bien la police qui se présente à la porte du wagon. Elle donne l'ordre de quitter le quartier, car le bidonville doit disparaître. Pour tous ces "mal logés", des baraquements préfabriqués ont été installés ailleurs.
Nouveau déménagement! Plusieurs familles algériennes se retrouvent à St-Priest. En campagne, tout est si différent. Les "chalets" sont très rudimentaires, mais chaque foyer a le sien. Il faut payer une location, bien sûr, mais au moins on a de l'eau, et l'électricité. Quel luxe!
Un beau jour, qui arrive? La 2 CV grise. Les amis de Suisse, quelle joie! Mais que se passe-t-il? Pourquoi cette bousculade autour de M. Blandenier?
– Qui en veut un? a-t-il demandé, en montrant quelque chose.
– Moi, moi, moi aussi! hurlent tous les enfants, la main tendue.
– Doucement, doucement! Il y en a un pour chacun, mais ne m'écrasez pas! Sebti jubile. Jamais jusqu'à présent, il n'a possédé un seul livre. C'est le premier qu'il vient de recevoir, et c'est un évangile, celui de Matthieu. Ah! qu'il est content, et comme il se promet de le lire tout entier!
Assez vite, cependant, il abandonne sa lecture, découragé par les généalogies qu'il trouve tout au début. S'il avait au moins l'idée d'aller plus loin, il serait captivé.
Ce premier contact avec la Parole de Dieu ne restera pourtant pas sans suites. Et les autres visites des amis de Suisse ne seront pas sans fruit. Que va-t-il se passer? Nous le saurons bientôt.
Texte: Samuel Grandjean