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Histoire vraie de Sebti 11

Le coup du lapin

– Zin! amène la carriole! crie Sebti, j'ai trouvé des trésors!

En général, c'est pour chercher de l'eau que les deux frères emploient la vieille remorque à deux roues. A 300 mètres de leur "maison", un robinet permet de remplir les bidons et le jerrican. Ils y vont une fois par jour. Le soir, si l'eau manque dans le wagon, c'est tout simple: on se couche sans s'être lavé!

Aujourd'hui, la remorque est mobilisée pour autre chose. Elle transportera une vieille roue de voiture, dénichée dans les broussailles, puis une tôle toute rouillée, et même, un peu plus loin, la carcasse tordue d'un fourneau.
– Allez! On embarque tout ça. Le marchand de ferraille nous en donnera bien quatre ou cinq francs!
– Avec ce qu'on a récolté l'autre jour, tu crois que ça suffira, pour qu'on puisse voir Zorro?
– Oh, oui. Sûrement!

A l'école, les copains ne parlent que de films en vogue. Sebti et Zin en ont assez d'entendre. Eux aussi voudraient voir. Mais il est inutile de demander de l'argent aux parents pour une séance de cinéma. Même Aouacha, la grande soeur, n'obtiendrait rien pour eux.
– On va se débrouiller! ont-ils donc décidé, imaginant de récupérer de la ferraille pour tenter de la vendre. Ils essaient... et ça marche!

Alors, surtout par un dimanche après-midi de pluie, qu'ils sont heureux de pouvoir sortir du bidonville pour aller passer quelques heures dans les fauteuils moelleux d'un cinéma voisin. Aventures d'Indiens ou de cow-boys, scènes de violence, bagarres, coups de pistolets, tout leur convient, pourvu qu'ils puissent raconter aux copains.

Mais on ne regarde pas un film sans en subir l'influence. On est fasciné, peut-être, par les folles aventures, les audacieux coups de force, les exploits téméraires. Mais ces choses sont trompeuses. Elles ne correspondent pas aux réalités de la vie.

Ah! comme Sebti admire ces hommes courageux qui réussissent toujours. Leurs actes de bravoure renforcent en lui le goût de l'aventure, le désir d'imiter... oh! pas pour attaquer une banque ou un diligence du Far West, bien sûr. Mais l'autre jour, alors qu'il se promenait aux alentours du bidonville, une idée est venue dans sa tête, et elle ne le lâche plus. C'est celle du kidnapping d'un petit animal...

Cet après-midi, cinq ou six garçons se retrouvent. On dirait que Sebti leur confie un secret. Ecoutons!
– On n'a pas souvent de la viande à manger, nous autres. Ce serait bien sympa de s'offrir un lapin, comme ça, juste entre nous. Vous ne trouvez pas?
– Oui, mais... ça se cuit comment?
– Oh! moi, je sais! dit Alenzo, le jeune Espagnol.
– Chouette idée! ajoute Bernard, mais, tu le prendrais où, le lapin?
– Là-bas! Vous voyez cette propriété entourée d'un mur? Dans le jardin, il y a un clapier. Je l'ai bien vu, l'autre jour, quand j'ai grimpé dans le peuplier!

On pourrait y aller, en s'organisant bien. Vous deux, vous surveillez. Toi, tu nous fais la courte échelle. Jacky, tu viens avec moi. On saute par-dessus le mur, on fonce vers le clapier, on soulève le grillage, et on prend un lapin. Ensuite, Alenzo, tu nous le fais cuire, puisque tu sais. D'accord?
– D'accord! Je prendrai une casserole à ma mère. Je vais chercher du bois...

Ils arrivent près du mur, cherchent le meilleur endroit.
– Regardez! pas besoin de passer par-dessus: il y a un trou, et c'est un mur de terre. Il suffit de gratter pour agrandir l'ouverture...

– Bon! maintenant on peut passer, chuchote bientôt Sebti. Tu viens, Jacky? On y va!

Les voilà dans la propriété. Prudemment ils longent le mur jusqu'à la hauteur du clapier. Ils soulèvent le grillage et... hop! un lapin est pris! Vite, ils...
– Au voleur! au voleur! hurle quelqu'un tout à coup!

C'est le propriétaire de la maison, il les a vus. Promptement il sort et se met à courir en vociférant contre ces malandrins. Mais il n'est plus tout jeune, et les garnements ne vont pas l'attendre! Serrant le pauvre lapin dans ses mains, Sebti se précipite vers le mur...

Pas question de repasser par le trou: le propriétaire les rattraperait à coup sûr. Ils filent droit devant eux, et s'arrêtent au pied du mur. Sans hésiter, Sebti se débarrasse du petit animal en le lançant de l'autre côté. Vite, il fait la courte échelle à son copain qui grimpe, et disparaît à son tour…

A présent, Sebti doit se débrouiller seul. Dans un effort désespéré, il s'élance contre le mur et s'y agrippe tant bien que mal. Les cris de son poursuivant se rapprochent:
– Je t'aurai, vaurien, je t'...

Mais non! Déjà, souple comme un chat, Sebti a basculé de l'autre côté!
– Filons! crie-t-il à Jacky tandis que les autres déguerpissent avec le lapin.

Essoufflés mais triomphants, les garçons se retrouvent dans la cabane qu'ils ont fabriquée. II faut être acrobate pour y grimper. Personne ne peut les déranger.
– A toi de jouer, Alenzo! Tue vite ce lapin, et fais-le cuire!

Mais le jeune Espagnol s'est un peu trop vanté. Il n'en a pas le courage. Alors Bernard prend par les oreilles le petit animal déjà plus mort que vif, et lui assène deux coups derrière la tête…C'est fini!

Les garçons se regardent, muets et stupides. A présent, Alenzo renonce. Il ne veut plus toucher à ce lapin. Saurait-il vraiment comment s'y prendre?

Et les autres? Ils n'ont même plus envie d'en manger.

Un peu penauds, les galopins quittent la cabane et vont dans la forêt, enterrer leur victime.
– Ca valait bien la peine de jouer aux durs comme dans les films! pense Sebti, secrètement.

Il ne s'est pas fait prendre, c'est vrai, mais il n'est pas très fier. Il ne peut être heureux. "Voleur! voleur!" a crié le propriétaire, "Voleur!" répète sa conscience tandis que, pensif, il rentre à la maison. Après ce triste exploit, que va-t-il encore inventer?

Texte: Samuel Grandjean


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