Histroie vraie de Sebti 8
On déménage
– Regarde, Aouacha, il y en a tout plein! s'exclame Sebti, émerveillé. On dirait des étoiles... des milliers d'étoiles jaunes tombées dans l'herbe!
C'est le temps des jonquilles. Depuis longtemps, les boutons attendaient patiemment sur leur tige. Rien ne semblait bouger. Pourtant on pourrait croire que toutes les jonquilles s'étaient donné le mot. Il n'y a pas eu de bruit, mais soudain, tout a éclaté, transformant en jardin doré le vaste champ qui s'étale au pied de la forêt. Le vent se lève-t-il? Alors toutes ces fleurs jaunes frissonnent et, d'un commun accord, s'inclinent à son passage.
– Venez! On va faire des bouquets! crie Sebti, enthousiaste.
– Pour les vendre au bord de la route! ajoute son camarade, encore plus excité. Sebti propose même un concours:
– On verra lequel des deux vend le plus de bouquets. D'accord?
– D'accord, on y va!
Mais Sebti prend très vite l'avantage, car Aouacha et Zin, le petit frère, travaillent dans la même "entreprise"! Ils cueillent pendant qu'il vend. Sebti sait très bien agiter ses bouquets à l'approche des touristes.
– Qui veut des jonquilles? Des belles, et pour pas cher: un franc le gros bouquet !
Les poches se remplissent...
– On a gagné le concours! crie Sebti tout heureux, en fin d'après-midi. Et regardez, dans le champ, ça n'a même pas diminué! Dommage... demain, c'est lundi. Il y aura moins d'acheteurs!
Tout irait bien, à Gérardmer, si le printemps durait toute l'année. Hélas! La mère de famille a très mal supporté l'hiver. En Algérie, il faisait chaud. Tout se passait dehors, devant les maisons. Mais ici, les rigueurs du climat obligent les gens à se calfeutrer dans leurs murs. Pour cette femme, même si elle s'occupe des petits, l'épreuve de la solitude s'ajoute à celle du froid.
– Vous savez le français! dit-elle souvent aux siens, mais moi... A l'école vous retrouvez vos copains, toi, tu travailles en forêt avec d'autres bûcherons, mais moi, je n'ai personne! Pas une seule famille algérienne dans le coin, ce n'est pas drôle, surtout avec ce froid!
Un jour arrivent des cousins. Ils font un voyage pour voir leur famille en même temps que les Vosges.
– Rapprochez-vous de nous! disent-ils, persuasifs. A Lyon, c'est formidable. Il fait plus chaud qu'ici. Il y a du travail, et vous n'y êtes pas seuls! Qu'est-ce que vous attendez? Alors... c'est décidé?
– D'accord! On déménage!
Hélas! si les parents de Sebti savent ce qu'ils vont quitter, ils ignorent tout de ce qu'ils trouveront, là-bas.
Un beau matin, voilà nos Algériens dans le train, avec tous leurs bagages. Il en faut, car la famille compte cinq beaux enfants, à présent. Adieu, les Vosges...
Bonjour, Lyon! Ils débarquent bientôt chez les cousins, avec tout leur barda.
– Venez, entrez, soyez les bienvenus! Attendez... entassez vos affaires dans le petit couloir. On verra plus tard ou les caser. Vous voyez: on a préparé le couscous pour fêter votre arrivée.
– Allons, installez-vous! Ah! comme les Algériens savent accueillir avec chaleur! Que ne feraient-ils pas pour ceux de leur famille?
Seulement... il y a un tout petit problème! S'installer, c'est facile, quand il y a de la place. Mais comment faire dans une très modeste maison qui abrite déjà une famille de sept ou huit personnes?
On s'arrange, on se serre, on se marche un peu sur les pieds. Et pour dormir, on se débrouille: pourvu qu'on trouve un petit coin de plancher encore inoccupé!
– Quel changement! constate Sebti, après les grandes chambres qu'on avait, dans les Vosges!
– Tais-toi! lui dit sa mère. C'est pour quelques jours, le temps de trouver du travail et un logement. Tu verras, tout va s'arranger!
Trouver du travail... encore un autre problème. En ce moment, c'est la guerre d'Algérie. Les patrons français n'ont guère envie d'engager des travailleurs algériens!
– On ne peut pourtant pas retourner dans les Vosges! soupire le père de famille. Il faut encore chercher...
Où Sebti et les siens habiteront-ils, quand nous les retrouverons? Je garde le secret jusqu'au prochain épisode. Mais il nous réserve une surprise!
Texte: Samuel Grandjean
