Histoire vraie de Sebti 1
La fête au douar
– Ils arrivent... ils arrivent! crie le bambin qui trépigne d'impatience. Une fois encore, sa frimousse aux yeux noirs apparaît à la seule fenêtre de la maisonnette. A cinq ans, Sebti se réjouit tant de voir bondir les chevaux de son oncle, et ceux des gens du bled. Depuis des heures déjà, notre petit bonhomme guette leur arrivée.
– C'est bien trop tôt, Sebti! dit sa soeur Aouacha, de deux ans son aînée. Regarde! le soleil est encore tout là-haut!
Aouacha a raison. Aux heures les plus cuisantes de la journée, on ne se promène pas. Aussi, dans le douar (petit village d'Afrique du Nord), tout est désert. Et c'est pareil en ce moment dans tous les villages algériens. Personne n'aurait l'idée de flâner dans d'étouffantes ruelles qui cherchent un passage entre les maisons de terre. On est vite accablé, sous le soleil écrasant.
Cà et là, quelques bourricots en quête d'un peu d'ombre ne pensent même plus à braire tristement. Et sous les grands palmiers, les moutons n'ont même plus envie de brouter l'herbe rare et brûlée. Accroupi, le dos contre le tronc, leur berger s'est assoupi...
– Patiente encore un peu, Sebti! Tu verras, quand le soleil tout rouge roulera derrière la colline, le douar se réveillera. Ne t'en fais pas! Personne n'a oublié que ce soir, c'est la fête. La fête, Sebti, la fête! Mais ce n'est pas encore le moment...
Aouacha ne s'est pas trompée. A présent, le ciel devient tout rouge, et les ombres s'allongent. Alors le douar sort de son sommeil. Dans les ruelles, la vie réapparaît. Déjà quelques femmes se montrent en robe de fête: voiles blancs ou de couleur, ornés de fils d'or ou d'argent. Et regardez leurs cheveux, regardez la paume de leurs mains ! D'où vient cette couleur rouille? Ah! c'est là leur secret. Avec les feuilles du henné (arbuste d'Arabie), elles savent fabriquer leur teinture de beauté.
Tiens! le tambour appelle...
– C'est le signal, Sebti! La fête peut commencer. Allons-y! Tous les gens partent vers la grande plaine. Tu viens, maman?
– Oui, je vous suis. Ne lâche pas la main de ton petit frère, Aouacha!
Chevaux et cavaliers se sont regroupés loin du douar. Maintenant, tous en ligne ils s'élancent, soulevant un nuage de poussière qui avance aussi vite qu'eux.
– Ils arrivent, ils arrivent au galop! jubile le petit Sebti.
En effet. On dirait qu'ils foncent sur la foule. Quel mouvement d'ensemble, quelle valse de couleurs!
Les cavaliers arabes brandissent leur long fusil. Ils le tiennent tout droit, pointé vers le ciel. Sebti ne sait plus où tourner les regards pour ne rien perdre du fascinant spectacle. Subitement, le feu jaillit d'une arme. C'est le signal du chef. Alors éclate une formidable pétarade qui fait oublier le bruit des sabots, le halètement des bêtes et les cris des hommes.
La foule des spectateurs hurle d'enthousiasme, tandis que cavaliers et montures disparaissent à l'écart pour reprendre leur souffle avant une nouvelle parade.
Un nuage de fumée salit un moment le beau ciel d'Algérie. Puis il s'évanouit, laissant flotter dans l'air une forte odeur de poudre.
Maintenant, au douar, les femmes pensent au repas. Dehors devant la maison, à genoux près d'un grand plateau, en voici une qui prépare un délicieux couscous. C'est la mère de Sebti.
Dans la nuit qui descend, on est assis en cercle autour du feu, avec les parents, les amis. On discute, on raconte en rôtissant le mouton. Et plus tard, après le repas, on dégustera l'infusion de menthe fraîche que les hommes siroteront en poussant, après chaque gorgée, le soupir du connaisseur... Soudain claque un coup de feu!
Visant le sol, un voisin a tiré pour le seul plaisir de voir sursauter ses amis. Un cri!
Sebti regarde sa mère. Elle met les mains sur son front. Il y a du sang. Le plomb a ricoché. Elle vient d'être atteinte!
– Maman! crie l'enfant, bouleversé. On se bouscule autour de la blessée. Au lieu de s'enfuir en pleurant, que fait Sebti? D'un bond, il se précipite vers le malheureux tireur. Il lui attrape le pied, et se met à hurler:
– C'est celui-là, c'est Iui qui a tiré! Quelqu'un apporte des chiffons pour éponger le sang.
– Elle va peut-être mourir! sanglote Aouacha. Et papa... en France depuis si ... longtemps pour... travailler! Fallait-il que la fête s'achève si stupidement?
On transporte la blessée dans la maison. Puis, avec une eau de plantes bouillies, on se met à laver la plaie. Alors on voit que, par chance, le plomb n'a pas pénétré dans la tête. La blessure a beaucoup saigné, mais elle n'est pas profonde. Soulagée, Aouacha pousse un long soupir. La mère de famille sera heureusement vite guérie.
Le temps passe... Mais Sebti est loin d'imaginer qu'il s'en va d'un bon pas vers une longue série de nouvelles aventures!
Texte: Samuel Grandjean