Pavel 1 - Le départ
– Encore une bien piètre récolte! soupire Tikhomirov en retrouvant sa femme dans la modeste ferme. Décidément, nous ne pouvons plus vivre ici! Comme tant d'autres, il nous faut partir, partir vers d'autres terres pour tout recommencer.
Cela se passe en Russie, l'année 1897, à Sosnovka, l'un des villages les plus pauvres de toute la contrée. Avec quelques autres paysans du district, Tikhomirov vient de vivre trois mois en Sibérie, à la recherche de terres à cultiver. Dans la région de Tomsk, ils ont trouvé.
– Vendons nos biens, et quittons ce coin de misère! a dit Tikhomirov. ça ira sûrement mieux, là-bas!
Avec sa femme, ils doivent se résigner. Ils vendent tout ce qu'ils peuvent, donnent le reste aux voisins, et préparent les bagages. Que prendre, que laisser? Pour toute une famille, que mettre dans seulement trois ou quatre grosses valises?
Leurs deux enfants sont moins préoccupés. On part en voyage. Ils ne pensent pas plus loin. Pavel a huit ans. Sa sœur Choura est un peu plus grande. Ah, les pauvres enfants! S'ils savaient ce qui les attend...
Bientôt, la famille se retrouve dans un long train d'émigrants. Ils sont nombreux à partir vers la lointaine Sibérie. Y trouveront-ils de quoi vivre? Tous l'espèrent...
Le convoi n'avance que très lentement. Et quand, essoufflé, il s'arrête dans une gare comme celles de Samara, de Tcheliabinsk ou d'Omsk, on ne sait jamais quand il en repartira. Alors, sautant hors des wagons, les voyageurs se précipitent dans les étroits locaux qui servent de salle d'attente. Il faut se dépêcher, si l'on souhaite une place pour s'étendre sur le plancher quelques heures ou quelques jours, on verra bien...
– J'ai froid! dit parfois le petit Pavel.
– J'ai cherché de l'eau bouillante pour faire un peu de thé, répond souvent la maman, mais les réservoirs étaient déjà tous vides!
– Et les repas chauds, au buffet de la gare, sont trop chers pour nous! doit ajouter le père. Comme beaucoup d'autres on va se contenter de harengs séchés et d'eau non bouillie...
Péniblement, pendant des semaines et des semaines, le long voyage se poursuit. Hélas, un jour, Tikhomirov a de forts maux de ventre. Bientôt il est pris de vomissements qui l'affaiblissent beaucoup. Par moments, des crampes douloureuses paralysent presque ses membres... Serait-il victime du choléra? Cela ne fait plus l'ombre d'un doute! Et cette grave épidémie a déjà fait des ravages parmi les voyageurs, surtout les adultes!
On arrive à Tomsk, en Sibérie occidentale. Pour les Tikhomirov le voyage doit s'arrêter là. Il faut d'urgence évacuer le malade. On le porte à l'hôpital: dans un baraquement réservé aux contagieux. Et sa femme? et les enfants? Ils s'abritent tant bien que mal dans un vieux cabanon qu'une palissade de bois protège un peu de la neige.
Trois jours plus tard, à son tour la mère tombe malade. On doit l'emmener.
– Reste avec nous! supplient, en larmes, Pavel et Choura.
Pauvre femme! Si elle doit s'en aller, que deviendront ses deux enfants? Sur un brancard, elle est transportée à l'hôpital. Bouleversés, Pavel et sa sœur Choura l'accompagnent jusqu'au baraquement des contagieux. Déjà la porte se referme, les laissant seuls, dehors. Ils attendent un moment. La nuit vient. Le froid aussi! Désemparés, Choura et Pavel retournent au cabanon. Mais... où sont les bagages? Disparus. On les leur a volés! Plus de vêtements de rechange, plus de nourriture, plus d'argent! Ils passent la nuit serrés l'un contre l'autre, à l'abri de la palissade. Oh, que les heures sont longues!
Le lendemain matin, ils courent jusqu'au baraquement des contagieux.
– Inutile de revenir! entendent-ils. Nous venons d'enterrer votre père. Et votre mère le rejoindra bientôt! Quel choc! Les voici orphelins et démunis de tout! Oh, comme nous devrions être plus reconnaissants, nous qui avons une famille, de l'affection et tout ce qu'il nous faut. Savons-nous remercier Dieu pour tout cela?
Loin de chez eux, sans parents, sans maison, sans argent, sans bagages, que vont devenir Pavel et sa grande sœur Choura?
Texte: Samuel Grandjean