Jeannot chez les bagnards - 8
On retrouve Georges
Le soleil a disparu. Les oiseaux sont las de chanter. Bientôt, il fera nuit. Des pas lents et lourds viennent troubler le silence du crépuscule. Ils se rapprochent. Un groupe avance sur le chemin poussiéreux. Ce sont des bagnards qui rentrent au camp, sous l'oeil vigilant de leur gardien.
Ils sont fatigués. Personne ne parle. Une journée de moins dans ce maudit bagne! Ils auront un peu de soupe avec un morceau de pain. Ensuite ils dormiront, oubliant leur misère... quelques heures, puis on les réveillera et tout recommencera!
Mais ce soir ne sera pas comme tous les autres soirs: Jean et Lydie sont arrivés. Tout à l'heure ils parleront au camp. Ce n'est pas la première fois qu'ils viennent apporter un peu de lumière dans la nuit de ces bagnards. Déjà ils écoutent l'un, encouragent l'autre, donnent une poignée de main à un troisième... Une seule poignée de main, quel bien cela peut faire quand on est loin de tout! Les demandes de secours se suivent:
– J'aimerais tant écrire aux miens, mais ils ont changé de ville et je n'ai plus de nouvelles. Voulez-vous essayer de trouver leur adresse?
– Je suis malade. Je n'en peux plus! Ne pourriez-vous pas me faire évacuer dans un autre camp?
– On est obligé de venir ce soir? demande un "dur" en éclatant de rire.
– Mon ami! lui répond Jean, vous êtes tous libres de choisir. Ceux qui le désirent peuvent nous rejoindre dans le réfectoire.
Libres! quel mot étrange pour un bagnard! Libres d'y aller ou libres de s'ennuyer avant de dormir... Plusieurs se décident et prennent place dans le réfectoire. La réunion commence. Ce n'est pas un sermon mais un "coeur à coeur". La présence des missionnaires parle déjà, à elle seule: quelqu'un aime ces misérables, assez pour être venu vers eux. Mais le prédicateur a bien plus à leur dire:
– Jésus-Christ nous aime tous, au point d'avoir donné sa vie comme prix de notre pardon. Il tend la main vers nous, comme on le ferait pour quelqu'un qui se noie. C'est pour moi, c'est pour vous aussi qu'il a été crucifié. Ecoutez ce que dit la Bible: "Ils crucifièrent avec lui deux brigands, l'un à sa droite, et l'autre à sa gauche... Il a été mis au nombre des malfaiteurs..." 1ui, le Fils de Dieu! Les voyez-vous ses mains étendues d'un côté et de l'autre, vers chacun des deux brigands? L'un s'est moqué, l'autre a cru en Jésus et s'est repenti. Moi aussi, j'ai dû me repentir un jour. Et vous, qu'allez-vous faire?
Dieu seul sait ce qui se passe derrière ces visages impénétrables, au front barré de rides. Certains, moqueurs au début, sont pensifs maintenant. Ici et là des têtes disparaissent entre deux grosses mains. Est-ce pour dormir? pour prier? pour cacher des larmes? ou pour ne pas entendre?
Les missionnaires entonnent un cantique:
Dans la nuit d'épreuve amère,
Seigneur, tiens ma main!
Conduis-moi vers la lumière,
Seigneur, tiens ma main!
Oh, Sauveur incomparable
Toujours tiens ma main!
– Ce soir, vous étiez tous libres de venir ou de rester dehors, conclut Jean. Vous êtes aussi libres d'appeler Jésus-Christ au secours ou de lui tourner le dos... Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas votre cœur!
– Monsieur, dit un bagnard qui reste le dernier dans la salle, si c'est le Seigneur qui veut tenir ma main, alors... je suis d'accord de la lui donner.
– Eh bien! ajoute le serviteur de Dieu en posant amicalement sa main sur l'épaule de cet homme, nous allons le lui dire tout de suite. Voulez-vous?
Ensemble, le bagnard et Jean se mettent à genoux...
Qu'elle est importante, cette étape, dans la vie du bagnard!
Avec conviction, le missionnaire est heureux de pouvoir conclure par ces mots:
– Votre triste passé, Dieu l'oublie en vous pardonnant! Bien sûr! cela ne vous fait pas sortir du bagne, mais la paix de Dieu et la joie de lui appartenir peuvent remplir votre coeur même ici. Pensez.! Dieu vous adopte. Il fait de vous son enfant, écrivant votre nom dans son Livre de Vie!... comment vous appelez-vous, mon ami?
– Georges! Je suis là pour sept ans. Je n'en ai pas encore fait la moitié, mais je crois qu'il va me tenir par la main!
Les mois passeront, lentement. Les années aussi! Dieu restera fidèle! Il ne lâchera pas cette main confiante. Après sept ans de bagne, Georges sera libéré. Alors, il fera le "doublage": encore sept autres années avant de pouvoir rentrer en France. Ce sera dur, très dur. Mais une main invisible et forte tiendra toujours celle de Georges. Quand la vraie libération approchera, quelqu'un de sa famille enverra l'argent pour son retour. Et Georges pourra rentrer. Alors il commencera de vivre, fondant un foyer heureux, ouvert aux enfants ainsi qu'aux pauvres gens. Georges, un bagnard devenu chrétien...
Texte: Samuel Grandjean