Jeannot chez les bagnards - 4
Jeannot: précieux cadeau
Les mois passent. Un jour, un mignon petit bébé fait son apparition.
– Puisque c'est un garçon, on l'appellera Jeannot! disent les heureux parents. C'est toi, Seigneur, qui nous l'as donné. Nous voudrions qu'il vive pour toi. Nous te le confions comme Anne, dans le temple, t'avait présenté son petit Samuel.
Au bout d'un mois, le bébé est déjà robuste. A plat ventre, il relève la tête et promène partout ses yeux ronds. Qu'il est privilégié, cet enfant, d'avoir un père et une mère qui l'éduqueront en comptant sur Dieu!
Ce matin, Jeannot pleure dans son berceau. La petite voix déjà bien timbrée réclame à cris perçants le premier repas de la journée. Au-dessus de la casserole, Lydie secoue une boîte de lait en poudre pour faire tomber la fine poussière blanche retenue dans les plis du papier.
– C'est ton dernier biberon, mon pauvre petit Jeannot! dit-elle à son bébé comme s'il pouvait partager ce souci; après... je n'ai plus rien à te donner. Pourquoi cette maman ne court-elle pas à la laiterie pour acheter de quoi préparer un biberon? La laiterie? mais il n'y en a pas ici puisqu'il n'y a pas de vaches! Et les bufflonnes domestiquées, n'en trouve-t-on pas dans cette région? Oui, mais elles sont si maigres qu'elles ne donnent pas de lait. Aussi n'y a-t-il qu'une ressource: un seul bateau accoste une fois par mois. Parmi les marchandises qu'il apporte, il y a régulièrement une caisse de boîtes de lait, commandée par les missionnaires exprès pour leur enfant. Hier soir on est arrivé au fond de la dernière boîte. Ce n'était pas bien grave puisque le bateau aborde aujourd'hui. Oui... seulement Jean s'en revient du port les mains vides: il n'y avait pas de caisse de lait dans la cale du navire! Que faire?
– Mon bébé, tu ne peux boire que du lait, et je n'en ai point... Ah! s'il y avait dans la forêt une maman noire qui nourrisse son petit, je te porterais vers elle, mais il n'y en a aucune dans les environs!
Comme un petit glouton, Jeannot avale son biberon sans se douter que c'est le dernier; il fixe des yeux noirs tout ronds sur sa maman si préoccupée. Alors les parents se mettent à genoux: "Seigneur Jésus, toi qui as dit dans la Bible: Ne vous inquiétez de rien, mais en toutes choses faites connaître vos besoins à Dieu, envoie-nous du lait pour notre bébé!" Confiants, les missionnaires peuvent reprendre leur travail après avoir contemplé leur petit trésor qui s'est endormi paisiblement.
– Tiens! dit soudain Jean, on entend des pas...
– Qui peut bien venir chez nous à cette heure? Maintenant les pas font place à quelques coups vigoureux qui ébranlent la porte et risquent de réveiller le bébé... On ouvre.
– Oh! c'est vous, entrez! s'exclame Lydie en voyant sur le seuil le "garçon de famille", jeune bagnard attribué aux missionnaires pour les aider dans les travaux du centre d'accueil.
– Oui! j'arrive du port. Tenez, Madame! Au milieu des petits paquets et des lettres, ils ont encore trouvé ce colis!
– Ah! et d'où vient-il? Voyons... île de Ré, tout près de la côte française. Mais... est-ce bien pour nous? Nous ne connaissons personne là-bas. Ouvrons vite. dit cette jeune maman qui, tout à coup, reste figée d'émotion en découvrant...treize boîtes de lait condensé.
– Regarde, il y a une lettre! s'exclame Jean. Elle est datée d'il y a un mois! "Chère Madame, hier soir j'ai assisté à une causerie missionnaire. On y a aussi parlé de votre travail au bagne avec votre mari, de la naissance du bébé, etc. Tout de suite une pensée m'est venue: Je devrais envoyer un colis à cette dame, même si je ne la connais pas. Mais je ne savais pas ce qui pouvait vous être utile. Alors j'ai repoussé cette idée. Pourtant, comme je ne réussissais pas à trouver le sommeil, au milieu de la nuit je me suis levée. Soudain j'ai pensé à ma petite provision de lait condensé. Aussitôt j'ai préparé cet envoi, et enfin j'ai pu m'endormir. J'espère que ce lait sera utile à votre cher petit."
Des semaines à l'avance, à plusieurs milliers de kilomètres, le Seigneur avait donc employé l'une de ses servantes pour sauver la vie du bébé. Il n'y eut pas une boîte de trop, et il n'en manqua pas une jusqu'à l'arrivée du prochain bateau.
Texte: Samuel Grandjean