Jeannot chez les bagnards - 1
– Je l'ai... je l'ai! crie un joyeux petit garçon. Sur le chemin qui conduit à la forêt vierge, il court à droite, à gauche, fasciné par le vol capricieux d'un grand papillon bleu. Il voudrait l'attraper. Mais à chaque tentative, le bel insecte réussit heureusement à lui échapper. Cet enfant, c'est Jeannot, rayon de soleil pour ses jeunes parents. La jolie frimousse, les yeux malicieux et pétillants, l'intrépidité du petit bonhomme, quelle source de joie dans ce monde pénitentiaire! Quoi? Ses parents seraient-ils en prison? Non, heureusement pas. Mais alors... où sommes-nous? Sous ce soleil accablant, pourquoi tant de misère? Pour le savoir, reculons un peu dans le temps... Quelques années plus tôt, que s'est-il passé, un matin de juin, au palais de justice d'une petite ville de France?
Quelle affreuse punition!
Dans la salle du tribunal, chacun retient son souffle. Rompant un lourd silence, le juge en robe noire va prononcer la condamnation:
– Sept ans de travaux forcés au bagne!
Tous les regard sont braqués sur un seul homme qui baisse la tête: Georges. Mais les yeux, brillants de satisfaction ou humides de pitié, ne peuvent pas lire ce qui se passe au fond du coeur de ce malfaiteur.
– Qu'est-ce que je risque, au point où j'en suis? avait pensé Georges. Avec tout ce que j'ai connu comme misère, et récolté comme coups depuis mon enfance, je ne pourrai quand même pas souffrir plus, ni haïr davantage! Eh bien! qu'ils décident de la punition et qu'ils la prononcent, leur sentence... ça me laisse froid!
Mais être condamné au bagne? Non! Georges ne s'attendait tout de même pas à cela. Lié, il va donc être embarqué. Il partira pour la Guyane, ce lointain pays d'Amérique du Sud. Il devra vivre là, sáus un soleil de plomb, au milieu de criminels, de brigands et de malfaiteurs comme lui...
Les terribles paroles du juge résonnent dans la tête de Georges comme des clous qu'on planterait dans son coeur. Tandis que deux robustes agents de police s'approchent pour l'enchaîner, il est là, sombre et immobile. Est- ce au ventre ou au coeur qu'il a mal? Il n'en sait rien, mais il tremble malgré lui. La salive refuse de passer par sa gorge brûlante... un peu comme le jour où sa mère est morte en le serrant dans ses bras, et en disant: "Mon pauvre petit garqon..."
Avant le jugement, pendant des mois Georges est resté en cellule. Mais maintenant les choses se précipitent. Le 10 juillet, avec tout un contingent d'autres condamnés, il est embarqué dans un bateau-prison, le Lamartinière. Enfermés dans la cale du navire pendant les vingt-et-un jours de traversée, les futurs bagnards ne verront rien des vagues écumantes ni du soleil qui se couche tout rouge sur l'Océan. Trois semaines de navigation, ce sera long! Mais les condamnés arriveront toujours assez tôt pour connaître l'horreur du bagne...
Texte: Samuel Grandjean