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Jeannot en Afrique - La dernière embuscade

Histoire vraie

— Ourida !... Ourida ! viens vite !
Le toubib est là, avec un tas de bonnes choses à manger !
Souvent on a entendu ce cri joyeux, depuis la première rencontre de Jeannot avec les deux enfants affamés. Le petit frère va déjà beaucoup mieux maintenant. Ourida a repris des forces. Jeannot est devenu l’ami de toute la famille. Mais ce n’est plus pour très longtemps...

Derniere embuscade - Jeannot en Afrique

Un soir il écrit à ses parents:
«Demain, c’est Noël, journée que je passerai au service militaire, cette année encore. Mais je suis pressé de vous annoncer une nouvelle sensationnelle: je serai libéré le 1er janvier ! Quelle joie de vous revoir dans un peu plus d’une semaine ! Je ne peux plus attendre !» Les derniers jours sont interminables. Un beau matin, enfin, le contingent de «libérés» quitte définitivement les baraquements perchés sur le piton rocheux. Beaucoup plus bas, au premier village, une colonne de camions attend déjà. Alors résonnent les ordres si longtemps désirés:
— Vingt hommes par camion, assis sur les sacs ! Départ dans dix minutes !
Maintenant il s’agit de gagner le bord de la mer pour l'embarquement. La route est cahoteuse. Les véhicules soulèvent des nuages de poussière.
— Tout confort, nos camions militaires, hein les gars !
— Pas d’importance ! Bientôt on sera libérés, c’est tout ce qui compte !
— N’empêche que ceux qui sont en tête, dans le véhicule blindé, n’avalent pas toute cette poussière, les veinards !
La route se faufile entre les collines arides et broussailleuses.
De loin, il est facile de deviner la descente d’une colonne motorisée. Ce ne sont pas les camions qu’on repère en premier dans ce paysage de grisaille, mais le nuage blanc que le convoi traîne derrière lui tout au long du parcours.
Plus bas, en décrivant une forte courbe, la route se serre un peu, pour réussir à passer entre les deux talus qui la bordent. Sur ces remparts de terre rouge où poussent des buissons épineux, tout paraît normal, à présent. Pourtant quelque chose y bougeait, tout à l’heure...

Maintenant le premier véhicule militaire débouche dans le virage. Dans les camions, les hommes somnolent, assis sur leur sac, bercés par les secousses et le ronronnement du moteur Heureusement que les chauffeurs sont à leur affaire, eux ! Oui, mais... Soudain un claquement sec suivi d’un violent coup de freins tire chacun de ses rêves. Tout le convoi stoppe !
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Sûrement un pneu qui a éclaté ! Mais un crépitement de mitraillette rappelle brutalement que la guerre n’est pas terminée !
— La colonne est attaquée !
— Vite, les armes !
— Ils ont sûrement visé le premier camion pour nous bloquer tous ! Vite, vite !
— Attention en sortant ! Mettons-nous en position de défense !
Déjà les balles meurtrières se croisent, déchirant l’air en sifflant. Une fois encore Jeannot s’apprête à panser les blessés qu’il faudra transporter près d’un camion. Au bout de vingt minutes, le calme revient enfin. On va pouvoir se regrouper
— Quelle fumée, là-bas ! crie un soldat.
— C’est l’auto blindée qui brûle !
— Regardez ! elle est couchée contre le talus !
— Le chauffeur a sûrement été touché... il aura perdu le contrôle du volant !
— Et les copains n’ont peut-être pas tous eu le temps de sortir !
— Attendez !
— Non ! Jeannot ! C’est trop dangereux ! Jeannot...
Avant que ses camarades aient pu le retenir, l’intrépide sergent s’est élancé vers le véhicule en flammes. Déjà, il disparaît dans la fumée.
Que va-t-il faire ? Sauter dans la voiture pour en retirer un camarade ? impossible, le véhicule blindé est trop bien fermé !
— Vite une pelle ! crie Jeannot.
Un camarade se précipite avec l’outil demandé. A coups de pelletées de terre jetées par une ouverture à l’arrière, Jeannot tente d’arrêter l’incendie. Mais déjà des munitions explosent à l’intérieur.
Vite Jeannot se plaque contre le flanc de la voiture dont le blindage d’un centimètre d’épaisseur le protège comme un bouclier. Dans la fumée et la pétarade, il s’acharne. Enfin l’incendie est à peu près maîtrisé. Mais Jeannot, épuisé, doit constater que ses efforts n’ont servi à rien...
Trop tard... trop tard !
C’est tout ce qu’il réussit à dire en retrouvant les autres soldats restés en position de défense tout autour du convoi. Il n’en peut plus. L’odeur âcre de la fumée le serre à la gorge. Sa tunique a failli prendre feu. Mais qu’est-ce que cela ?
... Cinq soldats ont péri, atteints par les balles avant d’être prisonniers des flammes. Cinq camarades... sur le chemin du retour à la maison...

Trois jours plus tard, Jeannot est en France. Après une nuit de train, il arrive au domicile paternel.
Quelle émotion, après tous ces événements !
Au bout d’une semaine, un petit envoi recommandé lui parvient par la poste. A côté de l’adresse, une étiquette oblique intrigue Jeannot: affaire militaire.
— Que me veulent-ils encore ? se demande notre ami en ouvrant le paquet. Tiens ! une boîte... du papier de soie autour d’un objet dur... qu’est-ce que ça peut bien être ? Bientôt Jeannot découvre plusieurs décorations, dont une médaille de bronze décernée par la Croix-Rouge au valeureux infirmier du piton rocheux.
Jeannot ne cherche pas les honneurs. Il pense plutôt avec reconnaissance à son Dieu qui a dit: «Puisqu’il m’aime, je le délivrerai, je le protégerai, puisqu’il connaît mon nom. Il m’invoquera, et je lui répondrai; je serai avec lui dans la détresse, je le délivrerai.»
Jeannot sait qu’une page se tourne définitivement pour lui, et que sa vie, si souvent épargnée, doit être mise entièrement à la disposition de Dieu pour être vraiment utile dans ce monde.

Texte: Samuel Grandjean
Illustrations: Hélène Grandjean & Ariste Mosimann

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