Légitime défense
Question:
Je voudrais savoir s'il existe une base biblique à la légitime défense? (tuer pour préserver sa vie et celle d'autrui). Est-elle conforme à la volonté de Dieu et notamment à l'enseignement de Jésus? ("Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre", Mat. 5.39). Je ne sais pas si je laisserais faire si quelqu'un est entrain d'assassiner un membre de ma famille...
Réponse:
Votre question est importante... et la réponse très difficile à donner. Voici quelques éléments:
I. La Bible donne plusieurs enseignements:
1) Les Dix commandements donnent l'ordre "tu ne tueras pas" (Ex 20.13), mais une traduction exacte serait plutôt "tu n'assassineras pas" ou "tu ne commettras pas de meurtre" (ainsi traduit par la Nouvelle Bible Segond), ce qui est différent. Il s'agit non pas de condamner tout acte conduisant à la mort d'une personne, mais tout acte malveillant, avec l'intention de nuire, ce qui est différent.
2) Le Sermon sur la Montagne invite clairement à la non-violence. Jésus demande ainsi de ne pas résister au méchant (Mt 5.39) et d'aimer ses ennemis (Mt 5.44). Pierre nous demande de suivre son exemple (1 P 2.21-23).
3) L'apôtre Paul a rappelé en Romains 13.1-7 que le magistrat "porte l'épée" (pouvoir judicaire de mettre à mort), ce qui a été compris comme la possibilité de défendre la justice ou même un état lorsque cet état est menacé.
4) Le pardon est la norme et non la vengeance, afin d'être vainqueur du mal par le bien (Rm 12.19-21).
5) Jésus (Jn 18.22-23) et Paul (Ac 16.35-40) ne se sont pas laissé faire sans rien dire, mais ils ont opposé une certaine forme de résistance, en soulignant les erreurs et les injustices de leurs persécuteurs. Il ne s'agit donc pas de rester muet devant l'injustice.
6) Les exigences du Sermon sur la montagne sont telles que nous sommes en situation d'échec (il suffit de lire Mt 5.48). Il ne s'agit pas de renoncer, mais de chercher à toujours mieux vivre ce que demande Jésus... avec son aide dans chaque situation.
II. Les chrétiens ont répondu de plusieurs manières à cette question dans l'Histoire. Je cite 2 exemples, il y en a beaucoup d'autres.
"Nous croyons que Dieu veut la paix, dans laquelle il créa le monde, et qui est pleinement révélée en Jésus-Christ. C'est lui notre paix et celle du monde entier. Conduits par le Saint-Esprit, nous suivons le Christ sur le chemin de la paix, nous exerçons la justice, apportons la réconciliation et pratiquons la non-résistance, même en temps de trouble et de guerre." (Confession de foi dans une perspective mennonite, examinée et adoptée à la réunion des anciens et prédicateurs de l'Association des Eglises Evangéliques Mennonite de France,
le 1er mai 2001 au Bienenberg), consultée sur:
http://www.bienenberg.ch/biblioanab/Biblioanab/Confession_de_foi_2001.html)
"Nous rejetons l'opinion selon laquelle le massacre aveugle de civils serait une forme légitime de guerre. " (Les 3 déclarations peuvent être consultées sur le site de "La Revue Réformée":
http://larevuereformee.net/articlerr/n197)
III. Conclusions pratiques:
1) L'amour est la marque distinctive de l'enfant de Dieu (Jn 13.34-35... pour ne citer que cette référence).
2) Toute réaction de vengeance ou toute tentative de défendre ses propres intérêts, même sous couvert de légitime défense est clairement interdite. Je ne cherche jamais à attaquer, ni à utiliser le prétexte d'une agression contre moi pour entrer dans l'engrenage de la violence, mais je ne cherche qu'à me protéger ou protéger d'autres personnes.
3) L'attitude des Mennonites face à la violence est remarquable et exemplaire. Il est aussi possible d'avoir une autre compréhension de l'Ecriture qui donne la possibilité d'intervenir par les armes pour défendre un pays ou dans le cas où sa propre vie est menacée.
4) Si la Bible commande de ne pas résister au méchant, elle commande aussi à un mari de prendre soin de son épouse et de sa famille. Serait-il juste de ne pas prendre leur défense si ces derniers étaient menacés de mort? L'amour pour les hommes, la nécessité de valoriser la justice peut conduire à résister à une action violente pour ne pas laisser libre cours à l'injustice. C'est ce qui se passe dans le cadre d'un Etat. Dans le cas individuel, cela ne se vit que dans des situations extrêmes de grand danger pour soi-même ou pour autrui. La non-violence, le fait de répondre au mal par le bien, en priant pour ses ennemis, en refusant toute escalade de la violence, reste la norme.
5) Jésus a enseigné à ne pas chercher à se venger de manière personnelle. Ensuite, la réaction face au mal dépend de chaque situation. A titre personnel, je pense que si mes proches ou moi-même courrions un grave danger, je n'hésiterai pas à utiliser la force. Maintenant si ce n'est pas le cas, chaque situation doit pouvoir être examinée pour elle-même pour donner une réponse appropriée qui favorise à la fois la manifestation de l'amour de Dieu et la proclamation de sa justice. Il faut aussi se souvenir que le rôle de l'individu n'est pas de se substituer à Dieu pour rendre la justice à sa place.
Une longue réponse qui, j'espère, pourra un peu vous éclairer à propos de cette question très délicate. La longueur de cette réponse m'a paru nécessaire pour bien faire ressortir les différents points de vue et donner des raisons solides à un comportement approprié.
Olivier Charvin