Cicatrices du passé... souffrances d'aujourd'hui
Souffrance, quand tu nous tiens...
“Elle disait: mon coeur est déjà trop lourd de secrets, trop lourd de peines. Elle disait que vivre était cruel. C'était l'hiver dans son coeur” comme le chante Francis Cabrel. Chacun a ses rendez-vous avec la douleur...
Pourquoi ?
“Lorsque je voyais des amis de mon fils, explique Suzanne, des jeunes qui passaient dans la rue, pleins de force, de vie, de gaité, il y avait toujours ce pourquoi, pourquoi chez nous...” Pourquoi chez eux était-ce différent? Pourquoi avaient-ils perdu un fils?
Ce pourquoi, Malika, hospitalisée un mois par an pendant toute son adolescence, se le demandait aussi: “Pourquoi la maladie? Et surtout pourquoi ma maladie ? Je ne comprenais pas. J'étais croyante et je m'attendais à ce que tout aille bien. J'en voulais à Dieu. Je l'accusais”. Elle n'est pas la seule à s'élever contre la souffrance. Albert Camus, de son côté, écrit: “Je refuserai jusqu'à la mort d'aimer cette création où des enfants sont torturés" (La peste). Et il ajoute: “Ce n'est pas la souffrance de l'enfant qui est révoltante en elle-même, mais le fait que cette souffrance ne soit pas justifiée... La souffrance use l'espoir et la foi" (L'homme révolté).
Perplexes, troublés, beaucoup s'écrient alors: “Je ne peux pas croire en Dieu quand je vois tout ce qui se passe” ... guerres, tremblements de terre, cancers, viols, famines... 40'000 enfants qui meurent chaque jour dans le monde faute de nourriture ou de soins!
Quelle explication peut-on donner ?
À cette question, les Français répondent: (Sondage C. S. A. publié par L'Actualité Religieuse dans le Monde, 15 Mai 1994)
- La société est cause de trop d'injustice (58%).
- L'homme est un loup pour l'homme (23%).
Il semblerait là qu'on ne peut pas croire en l'homme quand on voit tout ce qui se passe. Selon Albert Einstein, “le vrai problème se trouve dans le coeur et dans les pensées des hommes... non dans la puissance explosive de la bombe atomique, mais... dans celle du coeur humain en faveur du mal”. Tantôt victime, tantôt acteur de son propre malheur, l'homme récolte souvent ce qu'il sème ou ce que les autres sèment. Il reste bien sûr, les catastrophes naturelles, les maladies, les malformations... dont il n'est pas en général responsable.
À qui la faute alors ?
Nous sommes prompts à la mettre sur le dos de Dieu; après tout, il aurait pu intervenir, empêcher le malheur ! Cependant, quand il nous protège, nous épargne un accident, nous voyons rarement son intervention; alors nous proclamons haut et fort que nous avons eu de la chance et nous oublions rapidement l'incident. Selon la Bible, le problème de la souffrance est aussi vieux que le monde. En tout cas, il date du premier homme, créé à l'image de Dieu, qualifié de “très bon”.
Il était bien dans sa peau, il parlait avec Dieu, la douleur et la mort n'existaient pas jusqu'au moment où il a voulu n'en faire qu'à sa tête. Mener sa vie indépendamment de Dieu, c'était son choix. L'Humanité tout entière en porte encore les conséquences: le mal est présent à chaque génération, et tout être humain y apporte sa contribution. “Il n'y a pas d'homme juste..." (Romains, ch. 3, v. 10) Aucun n'agit comme il faut, pas même un seul (Psaume 14, v. 3). ”Voilà la cause des causes, le pourquoi général de la souffrance. Néanmoins, certains points d'interrogation demeurent: "Pourquoi cet accident, cette maladie m'arrivent-t-ils? Pourquoi moi ?"
C'est ce “pourquoi chez nous” exprimé précédemment par Suzanne. "Mais, poursuit-elle, j'ai fait confiance à Dieu, ce Dieu d'amour, qui connaît toute notre vie, qui sait de quoi elle sera faite. Mon Dieu, je ne comprends pas pourquoi, mais je sais une chose: Toi, tu sais pourquoi!”
Dieu a ses raisons que la raison ne connaît pas toujours. “Dieu n'est pas venu pour supprimer la souffrance, affirme Paul Claudel, il n'est pas venu pour l'expliquer. Il est venu pour la remplir de sa présence.” “Je me souviens de cette présence de Dieu dans ces moments de douleur très intense, confirme Reynald après le décès de son petit garçon. Je savais que le Dieu qui a créé le monde était avec nous, comme un Père qui compatit à nos souffrances.”
Ecrasés par l'affliction, nous avons souvent le sentiment de vivre seuls notre galère. Où est Dieu ? Nous le supposons indifférent et, comme Job, nous disons alors: “L'âme des blessés jette des cris... Et Dieu ne fait pas attention à un tel scandale... L'homme naît pour souffrir comme l'étincelle pour voler" (Job, ch. 24, v. 12 et ch. 5, v. 7 ). Au bout du rouleau, les mains vides et le coeur brisé, Job a tout perdu, ses biens, ses enfants, sa santé, sa réputation, ses amis. “Voilà pourquoi je parle à tort et à travers, reconnaît-il, ce sont des mots en l'air d'un homme sans espoir " (Job, ch. 6, v. 3. C'est le bouillonnement du sentiment humain terrifié par ce qui lui arrive Dans ces cas là, on a d'abord besoin d'être écouté même si on noircit le tableau, même si on s'en prend à tout le monde. Au milieu des tempêtes de la vie, les “pourquoi” jaillissent, mais la première nécessité est bien de se sentir compris, entouré, aidé. A ce propos, la fin du témoignage de Malika est significative: “J'accusais Dieu, mais en même temps, j'avais besoin de lui, de son amour. Je souffrais du regard des autres, et il n'y avait que Dieu qui m'acceptait comme j'étais”.
Dieu est avec nous dans nos déserts
“Il est un abri au jour de la détresse. Il prend soin de ceux qui se réfugient auprès de lui " (Nahum, ch. 1, v. 7). “Dieu chuchote lorsque nous sommes heureux, remarque C. S. Lewis, il parle à notre conscience, et il crie quand nous souffrons.” Ainsi Job, dans sa misère, pouvait confier à Dieu: “Je ne savais de toi que ce qu'on m'avait dit, mais maintenant, c'est de mes yeux que je t'ai vu" (Job, ch. 42, v. 5).
Selon nos choix, l'épreuve nous rapproche où nous éloigne de Dieu. Mais dans tous les cas, elle nous change. Nous en sortons différents:
- Certains deviennent plus sensibles, plus ouverts comme Malika qui a appris à accepter les autres tels qu'ils sont. “Ma musique est née dans la souffrance” déclarait également Franz Schubert.
- Pour d'autres, le fossé se creuse encore plus entre eux et Dieu, entre eux et les autres. Ils se replient sur eux-mêmes. Ils ressassent leurs griefs et cela peut durer des années.
“Le passé, écrit Sartre, c'est un luxe de propriétaire.” Accompagné d'amertume, c'est un poison pour le présent. Enfant battue à plusieurs reprises, cette jeune fille a maintenant décidé de tourner la page, de pardonner à son père. Dès lors, son agressivité disparaît, elle donne un autre sens à sa vie.
Pourquoi pardonner ? Est-ce de la faiblesse ? Non. Et même si elle a longtemps considéré que son père ne méritait pas son pardon, elle s'est ensuite rendu compte qu'elle non plus ne méritait pas le pardon de Dieu. Et pourtant, il le lui a accordé. Jésus-Christ a, en effet, porté la responsabilité de toutes ses fautes, de toutes les nôtres. C'est pour cette raison qu'il est mort sur la croix. La souffrance, il sait ce que c'est.
Dieu aussi la connaît: Il a donné son Fils.
Alors, ne disons peut-être pas trop vite: “Si Dieu était bon, il ne permettrait pas !” La question de la souffrance reste délicate et complexe. Cependant, une chose est certaine: Dieu demeure “un refuge au jour du malheur" (Jérémie, ch. 17, v. 17).
Peut-être même, un jour, aurons-nous l'occasion de constater comme Joseph: “Vous aviez formé le projet de me faire du mal, mais Dieu l'a transformé en bien" (Genèse, ch. 50, v. 20).
Marie-Christine Favre