Le terrible sorcier
- Je les aurai, je les aurai! hurle une voix rauque. Ces cris sortent d'une case isolée dans laquelle on n'ose pénétrer que si l'on y est spécialement convoqué.
C'est la case du vieux sorcier, rusé dominateur d'un village de brousse, à quelques kilomètres de Mahadaga, la station missionnaire.
- Je les aurai, ces chiens de chrétiens! Et cette fois, ils ne remettront plus les pieds ici pour parler de leur grand dieu!
Avec deux complices, le sorcier a préparé son plan. Toute la nuit, son tam-tam a martelé l'atmosphère. Et la bière a coulé à flots, excitant les trois hommes.
Le sorcier sait qu'il trouvera tout le monde sur la place, en ce jour de marché.
- Allons-y! dit-il à ses compagnons. Toi, Mindieba, passe devant avec ton tam-tam! Et toi, Kanfidini, tu n'as qu'à me suivre!
Comment vous le représentez-vous, ce vieux sorcier? Le visage repoussant sous son bariolage, sorte de masque vert, bleu, écarlate et noir?
Imaginez-vous sa tête entre deux impressionnantes cornes de buffle tenues par de larges lanières jaunes?
Le voyez-vous drapé dans une ample tunique rouge, avec tout un attirail d'amulettes aux pouvoirs magiques?
Eh bien! tout cela n'est que pure imagination, car ce sorcier ne se distingue en rien de tous les autres hommes, si ce n'est par son pouvoir mystérieux et redoutable.
Précédé du griot (ou joueur de tam-tam), le sorcier arrive sur la place du marché. Sa seule apparition y sème l'épouvante. Au premier moment, tout le monde reste figé sur place. Puis, timidement tout d'abord, certains s'approchent de lui. Ils viennent aux nouvelles. Cette arrivée inattendue du sorcier annonce peut-être un grand malheur...
Maintenant, l'homme crie, gesticule et fait tout pour effrayer les gens. Il prononce de terribles menaces contre ceux qui oseront écouter un chrétien. Puis c'est une avalanche de blasphèmes contre Dieu, et de malédictions contre les missionnaires. Sûr d'avoir obtenu l'effet voulu, le sorcier se retire enfin, vociférant des paroles incompréhensibles. Après cela, comment l'Evangile pourra-t-il encore atteindre ces gens plongés dans la crainte et dans les ténèbres? Attendez!
Quand Dieu est injurié, souvent il garde le silence, patientant pour donner encore à l'homme l'occasion de se repentir. Je suis vivant! dit le Seigneur, l'Eternel. Ce que je désire, ce n'est pas que le méchant meure, c'est qu'il change de conduite, et qu'il vive." Pourtant, si l'homme s'endurcit, multipliant ses blasphèmes, alors vient un moment où Dieu doit frapper. Et c'est une chose terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant!
La même nuit, un incendie éclate dans la case du sorcier. Dans les huttes, il y a presque toujours un feu qui couve entre quelques pierres, surtout pendant la saison moins chaude. Le sorcier a-t-il encore bu en rentrant? Etait-il ivre? A-t-il laissé tomber sur les braises un objet inflammable? Tout cela est possible. En tout cas maintenant, sa maison flambe comme un tas de paille! Tandis que ses deux complices sautent hors de la case, le vieux sorcier reste couché parterre, sans doute anéanti par l'alcool. Les deux autres s'en aperçoivent. Ils veulent arracher leur ami au danger. Ils n'ont pas le temps de le soulever: l'air est suffocant. Vite, ils tirent le vieillard par les jambes. Le voilà presque dehors mais tout à coup ... crac! Dans un tourbillon d'étincelles, une poutre du toit s'abat sur le sol, bloquant le corps à l'intérieur des flammes.
Chez les Gourmantchés, quand la foudre ou l'incendie détruisent une case, c'est toujours un signe de malédiction. Vous pouvez donc imaginer facilement la réaction des villageois: le Dieu des chrétiens a puni le blasphémateur!
Un gros trou est creusé sur place, au milieu des cendres. Avec des bâtons, on y pousse le corps du sorcier, puis chacun s'éloigne rapidement de ce lieu maudit.
Quelques jours plus tard, les missionnaires vont au village voisin pour y parler de Dieu. Ils savent que des menaces ont été proférées contre eux, mais ils ignorent tout de ce qui s'est passé ensuite.
Dès qu'il arrivent, des hommes se rassemblent autour d'eux:
- Votre Dieu est plus fort que celui des sorciers. Nous voudrions qu'il soit aussi notre Dieu. Que devons-nous faire pour cela?
Ainsi, d'un seul coup, l'Evangile pénètre là où les puissances du mal lui avaient si furieusement barré la route.