Jeannot pendant la guerre - Une ville sous les bombes
"Enfant déficient, sérieux danger pulmonaire, suralimentation indispensable!" Voilà ce que le médecin scolaire vient d'écrire sur une note de service au sujet de Jeannot. En lisant cela, Lydie pousse un long soupir:
– Mais c'est la guerre, les denrées sont si rares! Malgré tous mes efforts, je ne sais plus où trouver ce qu'il faut pour nourrir mes deux garçons. Que faire?
– En Suisse, nous avons des amis chrétiens, suggère Jean. Ils nous ont offert de prendre Jeannot. Puisque la Croix-Rouge organise des convois d'enfants, on pourrait...
– Mais supportera-t-il la séparation?
– Il le faut. Il n'y a pas d'autre solution!
La décision est prise. On entreprend des démarches. Une réponse vient. Le jour du départ arrive. Comment Jeannot va-t-il réagir quand il se verra confié à des personnes inconnues? C'est un réel souci pour les parents!
A la gare, tout un wagon se remplit d'enfants. Comme les autres, Jeannot porte, épinglée à son vêtement, une grosse étiquette blanche marquée d'une croix rouge. A présent, c'est à lui de monter...
– Au revoir, mon chéri!
Il embrasse sa maman, et la quitte aussi naturellement que s'il allait passer une heure chez la voisine!
Lentement, le convoi s'ébranle. Des mouchoirs s'agitent...
– Au revoir papa! Au revoir maman!
Dès leur arrivée en Suisse, les enfants se dispersent, placés dans différentes familles. Pour Jeannot, quel changement de décor, après Saint- Etienne avec son quartier d'usines et ses sirènes lugubres! Le voici dans un joli petit village planté sur une colline verdoyante, pas très loin d'Yverdon et du beau lac de Neuchâtel: Pomy.
Le "petit Français" est comblé d'affection et de soins. Bien vite il se lie d'amitié avec les enfants de la famille et ceux du village. Quelle joie de pouvoir croquer à belles dents, aussi bien dans les pommes que dans les tartines beurrées! Si seulement ses parents et Etienne pouvaient le rejoindre!
En Suisse, Jeannot reprend des couleurs. Mais au bout de trois mois, il se retrouve sur un quai de gare parmi beaucoup d'autres enfants. De nouveau une infirmière fixe à la boutonnière de son petit manteau la grosse étiquette de la Croix-Rouge. C'est le retour!
A l'arrivée, tout le monde admire la bonne mine de Jeannot. Et lui, il contemple un joli bébé, son deuxième frère qui est né en février. On l'appelle Daniel.
Malgré le soleil de mai, les visages sont souvent sombres. Fréquemment, les sirènes hurlent, annonçant l'arrivée de lourds bombardiers au grondement sourd. Certains jours, ils ne font que survoler la ville. D'autres fois, l'éclatement des bombes secoue l'air avant que les sirènes aient eu le temps d'avertir. Ce sont surtout les usines qu'on cherche à détruire parce qu'elles fabriquent des armes. Mais les bombardiers ne visent pas toujours juste!
Un matin, à l'heure du petit déjeuner, soudain l'alarme retentit. Vite, toute la famille se précipite dans un abri.
Déjà les détonations déchirent l'air. Déjà des maisons sont en flammes. Quelques secondes s'écoulent, et soudain un bruit assourdissant remplit tout. Les gros murs de l'abri se mettent à trembler. Pendant un quart d'heure tout est secoué. Les gens hurlent. Dans un coin, deux bambins de six et huit ans se serrent contre leur mère. Les larmes coulent. Les petites jambes tremblent. Alors, avec un calme que seul Dieu peut donner, Lydie parle à ses deux enfants :
– Jeannot! Etienne! ... Est-ce que Jésus est avec nous ici?
– Oui, oui, maman!
– Alors... il faut montrer qu'il est avec nous!
Les deux enfants se calment, et leurs parents remercient Dieu. Dans cette sombre cave, sous le bruit des bombes, le père de Jeannot annonce l'Evangile à tous ces gens angoissés.
C'est fini! Enfin on peut ouvrir la lourde porte de béton, et regarder dehors...
La ville est transformée en fumée, en flammes et en amas indescriptibles de décombres. Des rues entières ont disparu! Cà et là, d'immenses pans de murs s'écroulent encore avec fracas, dans une explosion d'étincelles. Quel spectacle lugubre! Partout des cris d'angoisse, des appels affolés, de la terreur, des larmes! Cet effroyable bombardement vient de faire deux mille morts. Oui, c'est cela, la guerre!
Ah! quel changement de décor, dans ce quartier industriel! Maintenant, quelques immeubles intacts se dressent comme des îlots au milieu des ruines fumantes.
Dans un nuage de poussière et une odeur âcre de fumée, la famille se fraie un chemin entre les décombres. Nos amis retrouveront-ils leur lieu d'habitation? Que vont-ils devenir, à présent?
Texte: Samuel Grandjean