Jeannot pendant la guerre - Fils d'un prisonnier?
Jeannot n'est pas encore bien grand. Pourtant c'est le moment d'aller à l'école : à la maternelle pour commencer. Sera-t-il bon élève? En tout cas il s'applique. Savez-vous quelle est sa plus grande préoccupation? Grandir assez vite pour pouvoir aider toujours plus sa maman. Notre petit ami n'a pas oublié la dernière recommandation de son père. Juste avant le départ pour l'armée, il y a un an, ne lui a-t-il pas dit: "Fais tout ce que tu peux pour aider maman. Elle a besoin de toi!"?
C'est parfois amusant d'observer les deux frères. Tandis que le nouveau petit élève initie son cadet aux mystères de l'école, Etienne écoute, bouche bée, s'efforçant de comprendre...
Jeannot se plaît parmi ses camarades. Il aime son institutrice. Tout va bien. Mais un jour, l'enfant rentre de l'école bouleversé. Comme il a le coeur gros, tout le long du chemin. A peine à la maison, il éclate en sanglots. Il lui faut un bon moment pour se reprendre.
Dans les paroles entrecoupées de son fils encore tout secoué, Lydie comprend qu'il est question du papa... prisonnier!
A l'école, l'enfant aurait-il appris une nouvelle concernant son père? Mais Lydie serait certainement déjà renseignée!
En réalité, la maîtresse a voulu organiser un envoi de paquets aux soldats. Le père de chacun de ses élèves doit recevoir un petit colis. – Et nous commencerons par les prisonniers! a dit l'institutrice.
Oh, ce mot. Si elle avait su quel effet il allait produire sur son petit élève, jamais elle ne l'aurait prononcé! Prisonnier! Cette parole a traversé comme une flèche le coeur de Jeannot. L'enfant est bien placé pour savoir mieux que tous ses camarades ce qu'est un prisonnier. Il en a assez vus en Guyane. Non! Ce n'est pas possible que son père soit parti pour la Guyane, et qu'il y travaille avec les autres bagnards, loin des siens, dans cette terre aride. Et puis, il faut avoir volé ou même tué, pour être prisonnier. Non! son père n'a pas fait cela... les autres se sont trompés, ce n'est pas lui...
– Maman! dis-moi que ce n'est pas vrai... Promets-moi que papa n'est pas prisonnier!
Lydie comprend ce qui s'est passé dans l'esprit de l'enfant. Alors elle lui explique ce qu'est un prisonnier de guerre. Son cher papa est quelque part en France... ou peut-être en Allemagne, mais en tout cas pas en Guyane!
Si Jeannot, pleinement satisfait par ces précisions, est tout à fait rassuré maintenant, sa mère n'en demeure pas moins perplexe... Son mari est-il encore en vie? L'aurait-on effectivement capturé et déporté en Allemagne? Si l'on pouvait savoir... au moins savoir...
Au moment de l'invasion de la France par l'armée ennemie, il y a eu de grands mouvements de troupes. A plusieurs reprises, le soldat s'est trouvé en danger, surtout quand les Allemands ont fait une terrible poussée en avant avec leurs chars blindés. Ils cherchaient à disloquer les bataillons français pour les forcer à reculer. En les coinçant contre la frontière suisse, ils auraient alors vite fait de les encercler.
Mais alors que la situation était désespérée pour ces combattants français, la Suisse leur a ouvert ses portes. En franchissant la frontière, ils ont déposé leurs armes. Finies les nuits sans sommeil ou les attaques soudaines. A présent, ils sont en lieu sûr, logés dans des baraquements militaires. En Suisse, on les appelle "les internés". Vont-ils attendre là jusqu'à la fin de la guerre? Personne ne le sait. Pour le moment, ils ne risquent plus rien, c'est le principal. Mais cela ne les empêche pas de penser aux leurs avec inquiétude.
Parmi tous ces internés, il en est un, malade, qui regarde bien souvent la photo d'une épouse tenant sur ses genoux un petit Etienne et son frère Jeannot.
– Où sont-ils à présent? se demande-t-il constamment. Encore a Grenoble ? Et s'ils en sont partis, où leur écrire?
S'il a déposé ses armes à la frontière suisse, ce soldat français en a conservé une précieuse dans sa poche, une arme qui l'aide à lutter contre le découragement. Cette arme, c'est sa Bible!
Texte: Samuel Grandjean