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Jeannot chez les bagnards - 14

Une erreur monumentale

Dans quelques jours, enfin on reverra la terre. Tant mieux! Cette traversée commence à être bien longue pour les deux enfants. Un navire, c'est très beau, mais il n'y a pas d'herbe, pas d'arbres, pas d'oiseaux, et pas de petits singes!

Comment Jeannot va-t-il réagir en découvrant une France tellement différente de la Guyane? Souvent les parents se posent cette question. Aussi essaient-ils de préparer l'enfant:

– Tu sais, Jeannot, bientôt tu verras partout beaucoup de mamans. Ce n'est pas comme en Guyane. Là-bas, il n'y a que des hommes, et seulement une ou deux femmes. Tandis qu'en France, tu te rends compte, il y a autant de mamans que de papas! Moi aussi, j'ai une maman. Il y a si longtemps que je ne l'ai pas revue! Elle nous attend. Elle t'aime bien, même sans te connaître encore. Elle s'appelle grand-maman. Ses cheveux sont tout blancs parce qu'elle est déjà vieille.

– Aussi vieille que le vieux Louis du pull-over?
– Oui, à peu près, mais elle est très gentille, tu verras!
– Le vieux Louis aussi est très gentil, maman. Parfois, quand je me promène sur le pont avec papa, et quand nous rencontrons le vieux Louis, tu sais ce qu'il fait?
– Non! dis-moi!

– Il me tend sa grosse main et me dit: "Viens, gamin!" Alors je lui donne la main, et nous continuons la promenade à trois, et il est tout content, le vieux Louis. Je crois qu'il m'aime bien, tu sais maman.

- J'en suis certaine, mon petit Jeannot. Mais ta grand-maman aura une voix très douce. Elle te dira sûrement "mon petit", et puis...
– Ah! et tu crois que je l'aimerai autant que le vieux Louis, maman?
– Oh! oui, bien plus! Et tu sais, nous habiterons quelques jours à la ferme avec grand-papa et grand-maman. Tu verras de beaux chevaux, et des vaches, et des petits moutons.
– Et des petits singes?

Ainsi, chaque jour un peu plus, l'enfant doit se faire à l'idée de la nouvelle vie qui l'attend en France.

Enfin, à grands coups de sirène, le navire entre au port de Saint-Nazaire. Deux remorqueurs trapus et nerveux viennent s'y cramponner au moyen de cordes pour l'amener lentement vers le quai. Parmi les arrivants, on sent de l'impatience. Un homme tire son mouchoir et l'agite gravement pour saluer la France qu'il retrouve. C'est le vieux Louis. A présent, il se frotte les yeux. Est-ce pour se persuader qu'il ne rêve pas? Est-ce pour essuyer quelques larmes qui roulent sur deux joues creusées par les années?

Quant à Jeannot, il ne sait vraiment plus où regarder. Tout semble être là spécialement pour attirer son attention: les longs bâtiments blancs du port, la coque éventrée d'un vieux cargo dans un chantier naval, les grues qui gesticulent comme des immenses bras, les sirènes graves et lentes, ou stridentes, agaçantes, les cris des dockers énervés. Ah! quel flot de questions!

C'est le moment des formalités de douane. Dans le vaste hall où les passagers attendent le contrôle de leurs bagages, un docker pousse un chariot chargé de malles et de valises. Comme il fait chaud, cet homme se contente d'une salopette et d'un maillot gris qui laisse libres ses bras musclés. On y remarque quelques tatouages. Jeannot l'observe, intrigué. Puis tout à coup, il s'exclame de la façon la plus naturelle:
– Regarde ce bagnard, papa, il...

Mais pour une fois la phrase de l'enfant s'arrête au beau milieu, car la main paternelle s'est vite posée sur la bouche d'un Jeannot tout étonné. Il faut lui faire comprendre qu'un manutentionnaire est loin d'être un bagnard.

Maintenant, en route pour la gare! Là, nouvelle surprise pour les deux jeunes enfants. Un train, c'est très très long, ça marche tout seul, sans bagnards pour pousser. Et ça roule si vite en arrivant le long du quai! Toute la famille s'installe dans un wagon. Il faut attendre encore.

Enfin le convoi s'ébranle. Alors Etienne et Jeannot collent le nez à la fenêtre pour mieux voir défiler le paysage. Quand, sur la route voisine, une voiture roule dans le même sens que le train, ils font un concours avec elle. Un mur la dérobe à leurs yeux... ils la retrouvent plus loin...
– On a gagné! s'écrie Jeannot lorsque l'auto doit s'arrêter au passage à niveau.

Après de longues heures de voyage, on arrive à la ferme. Enfin les petits-fils vont connaître leur grand-maman.
– Dès que tu la verras, Jeannot, tu iras l'embrasser et tu lui diras: "Bonjour, grand-maman!". Les choses vont se passer à peu près comme prévu...
– Cours, Jeannot! elle est là-bas! Mais au même moment, un vacher se montre à la porte de l'écurie. Habitué au visage rude des bagnards, Jeannot reconnaît un vague air de famille. Il s'élance, saute au cou du vacher tout surpris, et l'embrasse avec un retentissant "Bonjour, grand-maman"!

FIN de "Jeannot chez les bagnards"

Texte: Samuel Grandjean

Lisez la suite de l'histoire de Jeannot:
"Jeannot pendant la guerre"


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