La police arrive!
Genovieva 21e épisode
– D'accord, on se réjouit! a dit M. Coroama, et nous serons heureux de vous recevoir tous dans notre maison. Vous verrez, elle est assez grande!
Qui est M. Coroama? Un chrétien très actif. Il a mis tout en oeuvre pour organiser cette visite du choeur de Sion, pendant quatre jours dans son village.
Nous voici donc tout au nord du pays, à trois kilomètres seulement de la frontière russe. Vicovu de Sus est un grand village de montagne. L'automne le pare de ses plus belles teintes, mais il fait déjà frais. Profitant d'une période de vacances, plusieurs églises de la région ont invité les cinquante enfants et leurs six responsables. Ce dernier soir, c'est à Vicovu de Sus que le choeur chantera.
Depuis trois jours, quelle animation dans la famille Coroama! La maison est pleine à craquer. Partout des paillasses recouvrent le plancher. Il y en a jusqu'au grenier. On est un peu serrés, mais quelle joie pour tous!
Pour les repas, de longues tables ont été dressées au jardin, derrière la maison. A tour de rôle, des chrétiennes du village viennent faire la cuisine. Les trois premiers soirs, les jeunes chanteurs ont été accueillis dans les églises bondées. Des enfants du village leur ont souhaité la bienvenue avec un gros bouquet de fleurs. Préparer le programme n'a pas été une petite affaire. Mais les six adultes qui sont du voyage ont chacun leur tâche. Rodica veille à la tenue des enfants. Les garçons n'ont-ils pas des taches à leurs vêtements? Les fillettes sont-elles bien coiffées? Vieru cire les chaussures. Il assure aussi le bon ordre dans cette grande famille. Sylvia copie et distribue le programme de la soirée. Tout doit être bien réglé. En public, on ne peut pas hésiter sur le choix des chants! Elena est responsable du matériel. Teodor accorde les instruments. Et Genovieva? Elle veille à tout. Les enfants sont-ils un peu trop excités? En gardant le sourire, elle lève la main, et le calme revient. Et puis... il y a les imprévus:
– Genovieva! mon lacet est cassé... En as-tu un pour moi?
– Genovieva, je viens de perdre un bouton. Tu peux me le recoudre?
– Genovieva! J'ai mal aux dents! Tu n'aurais pas un cachet?
Avant chaque audition, la grande famille se réunit pour demander le secours de Dieu. On répète encore les chants les plus difficiles.
Cet après-midi, tout le monde est au jardin quand un visiteur inattendu se présente au portail. Visage sévère, chapeau à larges bords : un policier en civil! Soudain, tous les enfants se taisent... L'officier de police entre dans le jardin. Il regarde tout le groupe, fixe Genovieva, et la désigne du doigt:
– Vous! Venez avec moi au poste de police!
Chacun sait ce que cela peut signifier!
– Moi? Pourquoi? demande alors Genovieva.
– Pas de questions, venez!
Vite notre amie enfile ses chaussures, et met de l'ordre dans sa chevelure.
– Priez pour moi! souffle-t-elle aux enfants tandis que le policier, dos tourné, attend au portail.
– Mais que faites-vous? demande Genovieva à trois des plus petits.
Spontanément, ils l'ont entourée de leurs bras :
– N'y va pas! lui disent-ils. Quatre, cinq... vingt autres enfants viennent se presser autour d'elle. Le cercle s'agrandit et se resserre toujours plus. Genovieva ne peut plus faire un seul pas!
– N'y va pas, s'il te plaît ! répètent cinquante voix enfantines.
Le policier s'impatiente... Des petits se mettent à pleurer: |
Quel soupir de soulagement! Un jeune remercie Dieu à haute voix.
Mais les larmes sont à peine séchées quand un bruit de moteur se rapproche. Une voiture s'arrête près du portail. Le même homme en sort, suivi d'un officier en uniforme. On dirait qu'il se cache derrière ses lunettes foncées. Aussitôt, le cercle se reforme.
– Mademoiselle Genovieva! dit très courtoisement l'officier, nous avons l'ordre de vous emmener au poste pour un simple contrôle d'identité. S'il vous plaît, venez donc avec nous. Dans une demi-heure vous serez de retour!
Mais les enfants n'ont pas confiance.
– N'y va pas! hurlent-ils encore. L'officier s'énerve. Ne pouvant plus se faire entendre, par gestes il ordonne à Genovieva d'obéir à son ordre.
– Petits amis! Il faut que j'aille là-bas. Laissez-moi donc passer. Allons, écartez-vous!
Peine perdue! Les jeunes chanteurs ne bougent pas!
– Est-ce que vous entendez? hurle le policier. Venez! On vous attend!
– Je sais, mais je ne peux pas! répond Genovieva pressée de toutes parts. Je ne peux pas avancer d'un centimètre.
Les spectateurs continuent d'affluer, ce qui augmente la confusion des deux agents. Nerveux, ils échangent quelques mots, puis s'engouffrent dans leur véhicule qui démarre aussitôt...
Une fois encore, on respire. Pourtant! deux garçons, Cornel et Iulian, décident de monter la garde au portail. Une demi-heure plus tard, ils font irruption dans le jardin...
– Une voiture arrive! crient-ils. Elle a trois antennes!
– Trois antennes? C'est la Securitate! Vite le rempart se dresse autour de Genovieva. Deux autres messieurs sortent du véhicule. Pour ne pas effrayer les enfants, ils restent à distance.
– Mademoiselle! disent-ils calmement, Nous avons reçu un ordre. Vous devez venir avec nous. Genovieva fait signe qu'elle a compris Elle tente de se frayer un chemin vers les policiers, mais un nouveau barrage l'en empêche: les enfants terrifiés forment une haie infranchissable.
– N'y va pas, n'y va pas! crient-ils tous en pleurant. Les deux agents sont impuissants. C'est bien la première fois qu'ils se heurtent à une "armée d'enfants". Alors... ils font demi-tour, pour ne plus revenir!
Ah! comme les membres du choeur se sentent soudés les uns aux autres, à présent! Ce soir, leurs chants auront des accents plus vibrants que jamais, quelque chose d'indéfinissable, mais quelque chose du ciel!
Texte: Samuel Grandjean