Les habits de Maria
Genovieva 18e épisode
Après le dernier chant des croyants réunis ce dimanche matin, soudain quelqu'un saisit le bras de Genovieva. C'est Maria. Elle voudrait lui parler un peu à l'écart.
– Ecoute, Genovieva, confie-t-elle bientôt à son amie, moi aussi j'ai été repérée par la police secrète. Je ne me sens plus en sécurité... Est-ce que je pourrais dormir ici, comme toi?
– Bien sûr, si les responsables de l'église sont d'accord. Mais... tu sais... il faudra que tu sois très discrète... Avant de donner plus d'explications, Genovieva s'assure que personne ne puisse entendre cette conversation.
– On ne devra surtout pas savoir que tu loges ici. Et puis... Es-tu prête à dormir sans matelas, sans couverture, et sans oreiller?
– Pourquoi? J'apporterai tout ce qu'il faut!
– Non, Maria, tu ne peux pas! En cas de perquisition, la Securitate aurait la preuve que quelqu'un vit ici. Alors...
– Alors quoi? demande naïvement Maria.
– Elle pourrait même fermer l'église. Tu comprends? Maria fait un signe de la tête.
– Ecoute! reprend Genovieva depuis des mois, ma seule couverture c'est la nappe de cette table. Et parfois il fait très froid: l'église ne se chauffe pas facilement. Mais si tu peux te contenter d'un banc comme lit, alors viens !
Maria n'hésite pas:
– Tant pis pour le confort, pourvu que je n'aie pas d'autres ennuis! La voici donc installée dans le refuge de Genovieva. Elle y passera près d'un an.
Hélas, Maria souffre de rhumatismes. Et le froid est son grand ennemi. Il faut lui livrer bataille. Mais comment faire, en hiver, dans une église qu'on a tant de peine à chauffer? Maria a trouvé une solution pour le moins singulière: tous les vêtements qu'elle possède, elle les porte sur elle! Cinq robes, plusieurs jaquettes, trois écharpes et deux bonnets, cela peut bien donner une allure rondelette! |
Elle croise une dame qui ne prête pas attention à elle. Puis deux enfants, dans leur uniforme d'écoliers.
– Pourvu que la queue ne soit pas trop longue se dit Genovieva qui marche d'un bon pas... Voyez-vous ce vieux mur tapissé de lierre? Genovieva arrive à sa hauteur. Elle va le dépasser. La malheureuse, elle ne sait pas qu'un policier se cache là-derrière. Tout à coup, Genovieva l'aperçoit. Trop tard pour rebrousser chemin!
Notre amie a-t-elle laissé paraître une petite hésitation? Ce n'est pas impossible.
– Où allez-vous? demande déjà l'homme de la Securitate.
– J'ai besoin de pain... je vais en acheter!
– Montrez-moi une pièce d'identité!
– ...Je sors de l'église, à cent mètres d'ici, tente d'expliquer Genovieva. J'y ai laissé mon sac avec mes papiers.
– Eh bien, allez les chercher!
La jeune fille obéit aussitôt. En chemin, elle supplie Dieu de venir à son secours... Voici le portail de l'église. Avant de le franchir, vite elle se retourne. Le policier vient dans cette direction...
En principe, il n'a pas le droit d'arrêter quelqu'un dans un lieu de culte. Mais devant l'église, c'est bien différent!
Genovieva se précipite dans le bâtiment. Maria sursaute. Mais avant qu'elle n'ait le temps de demander des explications...
– Vite, dit Genovieva, donne-moi tes habits! Dépêche-toi, Maria, je t'en supplie: ta robe de dessus, vite ta jaquette!
Interloquée, Maria enlève une de ses robes.
– Qu'est-ce que tu veux fai...
– Vite une de tes écharpes... et passe-moi tes bas!
Maria obéit comme un automate, sans rien comprendre.
– Encore ton bonnet! supplie Genovieva tandis que Maria lui lance sa jaquette.
– Vite... voilà! Merci bien, je peux y aller! A bientôt! ajoute Genovieva en sortant de l'église.
Elle a une drôle d'allure, dans cette robe trop large. Elle paraît même ridicule avec ces bas en accordéon sur des jambes fines et... un peu tremblantes, il faut le reconnaître.
– Mais aller où? se demande encore Maria, tout éberluée.
A peine sortie, Genovieva sent son sang se glacer dans ses veines. Il est là, près du portail. Il la regarde, apparemment surpris.
– Ce n'est pas celle que j'attends, pense sûrement le policier, alors qu'une vieille femme, un peu courbée, passe à côté de lui.
Pauvre homme... il attendra longtemps!
Partie en boitillant, soudain la petite grand-mère échappe aux regards, à l'angle de la rue. Alors, tout à coup, elle se met à courir comme une gazelle. Bientôt elle se précipite vers une porte, frappe, et disparaît dans la maison. Elle est chez des chrétiens. Ces amis sont bien surpris de la voir arriver dans cet accoutrement...
Le chef de famille possède une voiture. Quand la nuit sera tombée, il ramènera Genovieva jusqu'à son refuge. Alors, enfin, Maria pourra comprendre!
– Tu sais, lui avouera Genovieva, j'ai souvent eu envie de rire en te voyant porter tous ces vêtements! Mais jamais comme aujourd'hui je n'ai autant apprécié ta garde-robe ambulante!
Texte: Samuel Grandjean