Aracy 13 - Comme une bête curieuse...
- A table! A table! entend-on dans toute la maison. Déborah! Aracy!
- Déjà l'heure du repas! s'étonnent les deux fillettes.
Elles sont tout excitées. Que de beaux projets elles ont déjà pu faire!
Enfin la famille est réunie autour de la table.
- Sois la bienvenue, Aracy! dit alors la maîtresse de maison, amie de Dona Loide. Nous te souhaitons une belle semaine de vacances chez nous!
- Si tu savais comme Déborah s'est réjouie! ajoute le père de famille.
- Moi aussi! répond une Aracy encore un peu timide. C'est beau, cette herbe devant la maison. On peut jouer, là?
- Bien sûr! Mais Déborah te fera aussi visiter notre cité de Présidente Prudente. Elle est jolie.
- En tout cas, reprend la maman de Déborah, tu as bien fait de rester ici pendant que Dona Loide est à São Paulo. Tu te sentirais perdue dans cette immense ville.
- Et tu t'ennuierais vite pendant que ta maman entreprend toutes ces démarches pour la Mission Caiua!
- Mais tu verras, ajoute Déborah, on va faire un tas de choses ensemble!
- Tant mieux! s'écrie Aracy. Ce sera des vacances formidables!
Si les parents de Déborah sont fiers d'héberger Aracy, hélas! ils ne sont pas très prudents. Hier déjà, la mère de famille a glissé à l'oreille de sa voisine:
- Vous savez… pour une semaine nous aurons chez nous une vraie petite Caiua!
- Une indienne! a répondu la voisine, alors je veux la voir!
- Allons-y! dit joyeusement Déborah, prenant la main d'Aracy. Et les deux fillettes partent à la boulangerie, à trois cents mètres de là.
Chemin faisant, elles discutent du programme de la journée.
- Après, je te montrerai une grande place bordée de magasins avec de belles vitrines!
Des vitrines et leur étalage, comme cela doit surprendre un enfant né dans la forêt vierge!
Soudain, alertée par des chuchotements derrière elle, la petite Indienne se retourne… Que voit-elle? Des enfants, des jeunes et mêmes quelques adultes qui la regardent tous. Petits amis! Ne faites jamais cela ¨Et ne regardez pas un étranger comme une bête curieuse! Il vous frappe peut-être par sa couleur, son vêtement, sa langue. Mais vous le frappez aussi. Et lui, il ne dit rien! - A jovem India! a jovem India! continue de crier toute la bande. | |
Il n'en faut pas plus pour qu'Aracy soit prise de panique. Que lui veulent tous ces gens? lui faire du mal? La tuer peut-être? Les indiens n'ont-ils pas été souvent malmenés par des Blancs? Alors les deux fillettes se mettent à courir. Il ne reste heureusement qu'une cinquantaine de mètres jusqu'à la boulangerie. Seulement, derrière elles, les autres aussi pressent le pas. Ils veulent tous voir la petite Caiua. C'est tout ce qu'ils désirent… |
Ouf! Les deux fillettes sont dans le magasin!
- Bizarre! pense le boulanger en servant ses jeunes clientes, jamais je n'ai vu autant de gens s'intéresser si subitement à ma vitrine! Mais le court dialogue des enfants lui fait dresser l'oreille:
- Qu'est-ce qu'on va faire, à présent? s'exclame avec crainte celle des fillettes qu'il n'a jamais vue. On n'ose plus sortir!
- Que se passe-t-il? demande le boulanger. Essoufflée, Déborah explique rapidement. Alors le commerçant comprend tout.
- Venez vite par ici! dit-il en entraînant les enfants dans l'arrière-boutique. Déjà, il referme la porte sur lui.
- Attendez! on va leur jouer un bon tour! ajoute alors malicieusement le boulanger. Vous allez sortir par derrière. Tenez! Passez par cette cour. Vous vous retrouverez dans la rue. Filez à la maison. et pendant ce temps, moi, je vais leur dire ce que je pense de leur comportement!
A présent, Aracy et Déborah courent de nouveau, mais dans l'autre sens, tandis que les badauds ont toujours le nez collé à la vitrine de la boulangerie. Pourtant, tout à coup…
Aqui, ela está fugindo! Elle est là-bas, elle s'en va! crie un gosse.
Aussitôt, la meute se lance à leur poursuite! Aracy court comme une gazelle… Elle arrive la première, bientôt suivie de sa grande amie.
Pauvre Aracy! Elle ne sera pas tranquille tant que la porte ne sera pas fermée à double tour.
Sortir encore, après cette aventure? Oh non! Elle n'en a plus envie, même pas pour aller voir les vitrine. Ah! ses vacances à Présidente Prudente, la petite Indienne ne pourra jamais les oublier!
Texte: Samuel Grandjean