Aracy 3 - Deux drames
- Mbava'e kc'a? Qu'est-ce que c'est? se demande Aracy en voyant des gens à l'entrée de sa maloca. Ils n'y étaient pas, avant! C'est vrai. Mais du temps a passé depuis qu'elle est partie. Le ruisseau est loin. Et le sentier est long, pour des petites jambes. Remplir d'eau la vieille outre, c'est une chose, mais ensuite il faut la porter. A trois ans, Aracy n'est pas forte. Et Joanna n'a pas pu l'aider. Elle était trop précieuse dans la maloca.
- Mbava'e kc'a? Que se passe-t-il? demande la petite aux premières personnes qu'elle rencontre.
- Ta mère ne va pas bien. Elle est très malade! Alors l'enfant dépose l'outre à l'entrée de la maloca. Elle s'en va, toute triste, derrière la "maison". Elle s'assied par terre, le dos contre la paroi de bambou, les jambes repliées, la tête sur ses genoux… Entre les grosses tiges de bambou réussira-t-elle à voir ce qui se passe dans la maloca? En tout cas, elle entend. Plusieurs femmes discutent. Et quand elles ne jacassent pas toutes ensemble, Aracy perçoit de faibles gémissements: sa chère maman n'en peut plus!
- Viens dedans, Aracy! dit gentiment Joanna, en prenant la main de sa sœur.
Mais la petite reste blottie comme une bête traquée. Elle aurait envie de pleurer. Elle sent la gravité de la situation. Pour la troisième fois, l'homme au visage blanc vient près de la malade. C'est un missionnaire. Il travaille parmi les Indiens de la tribu caiua. Longuement il parlemente… Soudain, on emmène la malade couchée dans son hamac. Inquiète, Aracy suit des yeux le groupe qui s'éloigne… La nuit est descendue sur la grande forêt. Dans la maloca, blottie contre Joanna, la petite Aracy s'est enfin endormie. Hélas! cette nuit non plus ne sera pas comme les autres… |
Depuis longtemps, la lune s'est cachée derrière de noirs nuages. A présent, on dirait que toute la forêt se met à frissonner. Le vent se lève, l'orage approche. Par moments, tout s'éclaire dans la maloca, puis le tonnerre gronde. Maintenant, de grosses gouttes martèlent le toit de paille. Le vent redouble, lugubre et tenace. C'est la tempête! A chaque rafale, la charpente gémit. Assemblées par des lianes, les poutres grincent… Aracy a très peur. Joanna aussi. Et le vent s'acharne toujours plus!
Tout à coup… craak! Une pièce de la charpente casse! Aussitôt, la toiture est soufflée. Elle bascule en arrachant une bonne partie de la poutraison. La maloca a fini d'exister! - Joanna, Aracy! crie le père de famille, courez vite chez nos cousins, là-bas! Les fillettes obéissent. A moitié nues sous la pluie, elles pataugent dans la nuit. De temps en temps, un éclair leur permet de s'orienter… Paniquées et ruisselantes, enfin elles trouvent un refuge… |
La tempête a passé, mais quel triste souvenir! A trois ans, dans la même journée, Aracy vient donc d'être privée de sa maman et de sa maison. Pauvre petite Indienne. Que va-t-elle devenir?
Texte: Samuel Grandjean