William Tyndale le père de la Bible anglaise - John H. Alexander
Nous aimerions aujourd'hui évoquer le souvenir d'un géant de la foi dont on parle peu sur le continent européen et qui a cependant joué un rôle décisif pour la cause de la Parole de Dieu: William Tyndale, le père de la Bible anglaise, qui a été condamné au bûcher par Charles Quint à Vilvoorde (Belgique) le 6 octobre 1536.
"Je défie le pape et toutes ses lois, et si Dieu me prête vie, je ferai qu'en Angleterre le garçon qui pousse la charrue connaisse l'Ecriture mieux que le pape lui-même." Ainsi s'exprimait William Tyndale à Cambridge, vraisemblablement en 1522. Et il tint parole.
Brillant érudit, il parlait l'hébreu, le grec, le latin, l'anglais, l'italien, l'espagnol et le français, "si bien que chacune de ces langues aurait pu être sa langue maternelle". Tyndale avait rencontré Erasme et découvert son Nouveau Testament grec-latin. Saisi par le message de l'Ecriture, il s'était mis à le traduire en anglais. D'abord, il rechercha la protection de Tunstall, évêque de Londres, mais lorsque ce dernier apprit ses intentions, il lui refusa l'accès à son palais. Comment poursuivre cette tâche en Angleterre, alors que les autorités ecclésiastiques emprisonnaient et même condamnaient au bûcher les possesseurs des écrits de Luther?
En 1524, Tyndale quitte sa patrie qu'il ne reverra plus. Il achève sa traduction à Hambourg et la remet à un imprimeur. Des ouvriers trop bavards en informent le prêtre Cochlaeus, qui s'apprête à mettre la main sur l'édition. Tyndale se précipite à l'atelier, saisit ses précieux manuscrits et les emporte à Worms. Son Nouveau Testament y paraîtra en 1525.
Cependant, Cochlaeus a alerté l'évêque de Londres; Tyndale sait donc que les précieux volumes seront saisis à leur arrivée en Angleterre. Pour déjouer l'étroite surveillance qui s'exerce dans les ports, les Nouveaux Testaments sont cachés dans des ballots d'étoffe ou des barils de vin. Beaucoup d'exemplaires sont néanmoins confisqués. Leurs destinataires sont astreints à défiler à cheval, le visage tourné vers la queue de l'animal, et portant visiblement le livre défendu; ils devront le jeter eux-mêmes au feu devant tous, et faire pénitence. Mais les efforts de l'évêque de Londres sont voués à l'échec: la Parole de Dieu est toujours plus ardemment désirée. Chacun veut prendre connaissance de l'ouvrage proscrit et s'ingénie à l'obtenir au mépris des menaces. En désespoir de cause, l'évêque de Londres prie Packington, un négociant de la cité, de mettre à profit ses relations commerciales avec le port d'Anvers, pour accaparer à la source toute l'édition de Tyndale. Muni d'une forte somme d'argent, Packington se rend sur le continent. L'évêque a cru "mener Dieu par le bout du doigt", écrit un chroniqueur de l'époque. Mais en cette entreprise, il ne réussira pas mieux que dans les précédentes. L'adversaire de Dieu fait souvent une oeuvre qui le trompe. Packington, ami secret de Tyndale, arrive chez le traducteur:
– Maître Tyndale, je vous ai trouvé un bon acquéreur pour vos livres.
– Et qui donc?
– L'évêque de Londres!
– Mais, si l'évêque veut ces livres, ce ne peut être que pour les brûler!
– Eh bien qu'importe! D'une manière ou d'une autre l'évêque les brûlera. Il vaut mieux qu'ils vous soient payés; cela vous permettra d'en imprimer d'autres à leur place!
Le marché est conclu et l'édition est apportée en Angleterre. L'évêque de Londres convoque la population devant la cathédrale Saint-Paul pour assister à la destruction massive des livres hérétiques. Cependant, l'attrait du fruit défendu exerce son ascendant sur les spectateurs assemblés pour la circonstance. Le bûcher de l'évêque de Londres devient une publicité inespérée pour la deuxième édition du Nouveau Testament Tyndale, imprimé cette fois en petit format, pour faciliter la dissimulation des volumes et mieux échapper aux perquisitions. L'homme mortel ne peut lutter contre le Tout-Puissant ni s'opposer à la marée montante de sa visitation. La Parole divine se répand de plus en plus en Angleterre.
Pourtant les adversaires de la Bible ne désarment pas. Ils tendent un piège à Tyndale. Trop confiant, le traducteur accepte une invitation à un repas chez de prétendus amis; on met la main sur lui et on l'enferme au château de Vilvoorde (Belgique). Mais Dieu n'abandonne pas son serviteur, qui bénéficie alors d'une extraordinaire faveur: Miracle, il obtient en prison le matériel nécessaire à la traduction de l'Ancien Testament en anglais. On a retrouvé la lettre que Tyndale adressa de sa cellule au gouverneur de la ville, le marquis de Bergen:
Je souffre gravement du froid, et je suis affecté par un catarrhe perpétuel, qui s'est beaucoup développé dans mon cachot humide. J'aurais besoin d'un habit plus chaud, car celui que je possède est très mince. Mon manteau est complètement usé, mes chemises sont déchirées; il me faudrait également un pardessus plus épais. De même, je sollicite de votre part la permission d'avoir une lampe le soir, car il m'est fastidieux de m'asseoir seul dans les ténèbres pendant les longues veilles de l'hiver. Mais ce que je vous demande pardessus tout, et ce que je sollicite de votre clémence en tout premier, c'est une Bible hébraïque, une grammaire hébraïque et un dictionnaire hébreu, afin que je puisse passer mon temps à étudier.
Ce poignant appel au secours nous fait penser à la supplique d'un autre prisonnier qui, quinze siècles auparavant, avait devancé Tyndale dans la dispensation de l'Ecriture sainte. Erudit comme Tyndale, il avait également été incarcéré à cause de sa fidélité à Jésus-Christ. Cependant, il ne s'adressait pas à un marquis, mais à un jeune compagnon d'oeuvre du nom de Timothée:
Quand tu viendras, apporte le manteau que j'ai laissé a Troas chez Carpus, et les livres, surtout les parchemins... Tâche de venir avant l'hiver. 2 Timothée 4:13,21.
Dans sa cellule de Rome, l'apôtre Paul rédigea des Epîtres qui, depuis vingt siècles, édifient les chrétiens du monde entier. Dans son cachot de Vilvoorde, le réformateur, ayant obtenu Bible, grammaire et dictionnaire en hébreu, traduisit un texte qui fut en bénédiction à d'innombrables croyants des pays anglo-saxons. En écrivant, le premier était au bénéfice du don spécifique de l'inspiration plénière caractérisant l'ensemble de l'Ecriture.
En traduisant, le deuxième accomplissait sa tâche, étant assuré du secours constant de ce même Esprit. Comment aurait-il pu la mener à bien sans cette aide, alors qu'il travaillait dans des conditions presque inhumaines, dans un donjon humide, exposé aux courants d'air et infesté de vermine, et que sa santé était déjà gravement compromise? Ce n'est pas sans douleurs que fut enfantée la Bible anglaise, cette Bible qui, pendant quatre siècles, se répandit plus qu'aucune autre sur la surface du globe.
Condamné par Charles Quint, Tyndale monta sur le bûcher le 6 octobre 1536. Ceux qui assistèrent à son supplice entendirent sa dernière prière, prononcée au moment où les flammes léchaient déjà son visage: "Seigneur, ouvre les yeux du roi d'Angleterre..."
Cette ultime requête sera exaucée deux ans plus tard. Les amis de Tyndale ont recueilli sa traduction faite en prison; ils la complètent et la font imprimer. Il aurait été beaucoup trop dangereux d'indiquer le nom du traducteur sur la page de garde; aussi cette édition est-elle désignée comme la "Bible de Matthieu" (Matthew's Bible), selon le prénom de l'imprimeur.
En 1538 donc, un exemplaire de cette édition est remis au roi Henri Vlll. Bouleversé par la beauté du texte et la profondeur de son message, le monarque, qui s'est déjà distingué par ses actes d'indépendance à l'égard du pape, passe outre une nouvelle fois les interdictions ecclésiastiques et décrète que "cette Bible doit être lue dans toutes les paroisses d'Angleterre". Exauçant la prière de Tyndale sur son bûcher, le Seigneur avait ouvert les yeux du roi.
Cette première mesure officielle de tolérance à l'égard de l'Ecriture sainte profita à deux autres éditions de la Bible anglaise qui sortirent de presse à la même époque: la Bible de Miles Coverdale (1537), traduction effectuée à partir du latin, par un ami de Tyndale; la Grande Bible (The Great Bible, 1539), réédition de la version de Tyndale, pourvue de notes explicatives. On commençait à respecter l'autorité des Ecritures, au point que, depuis 1547, tous les souverains couronnés en Angleterre prêtent serment sur la Bible.
Le succès de ces trois versions de la Bible fut éclipsé par une quatrième, la "Bible de Genève" (Geneva Bible, 1560), qu'éditèrent des chrétiens réfugiés dans la ville de Calvin; ils avaient fui les persécutions ordonnées par Marie Tudor, dite la Sanglante (1553-1558). Cette édition se répandit très largement en Angleterre, dès le moment où la liberté religieuse fut rétablie sous Elisabeth 1ère (1558-1603). Durant un demi-siècle, elle joua un rôle déterminant dans la propagation de la foi et l'édification des croyants, au point qu'on en oublia presque totalement la version de Tyndale.
Cependant, la Geneva Bible avait une particularité: son texte était abondamment commenté. Or, plusieurs annotations, rédigées sous le coup de la persécution, contestaient le principe de l'autorité. Il était recommandé aux fidèles de ne pas se soumettre aux rois et aux gouvernements si ces derniers entravaient le libre exercice de leur foi. Aussi, parmi les nombreux lecteurs de cette Bible, certains commencèrent-ils d'en prendre à leur aise, faisant fi des lois et déclarations royales, et méprisant diverses mesures prises par le pouvoir temporel.
En 1603, le roi Jacques Vl d'Ecosse occupa le trône d'Angleterre, sous le nom de Jacques 1er. Cette accession marquait la formation du Royaume-Uni de Grande-Bretagne. Or, le souverain craignait que les notes ajoutées à la Geneva Bible ne sapent son autorité auprès de ses sujets, ce qui le conduisit, en 1607, à prendre une initiative historique: il chargea 54 savants et ecclésiastiques de Londres de procéder à une révision du texte sacré, et d'en préparer une édition qui pouvait être recommandée et confirmée du sceau royal.
En se penchant sur les versions existantes, ces érudits redécouvrirent la Bible de Tyndale et en reconnurent toute la valeur. Elle constitua le 80 ou le 90% du nouveau texte qui, en 1611, sortit de presse sous la désignation de Version Autorisée du roi Jacques. Au début, son succès fut relatif. Mais la qualité de ce chef-d'œuvre ne tarda pas à s'imposer, éclipsant toutes les éditions existantes.
Pendant 350 ans, la Version Autorisée fut, dans les pays anglo-saxons, le best-seller en librairie. On peut dire que la Version Autorisée a modelé le langage et la mentalité de la nation britannique. Songeons un instant à l'extension de la langue de Shakespeare dans le monde, puis au nombre de missionnaires d'expression anglaise qui sont partis sous toutes les latitudes pour traduire la Parole divine en dialectes indigènes, au départ de la Version Autorisée. Pensons aux innombrables commentaires, dictionnaires ou concordances de la Bible, conçus selon cette version; et rappelons-nous surtout ce qu'a été le christianisme en Ecosse et en Angleterre, les pays de la Bible, puis aux Etats- Unis, actuellement le premier foyer de rayonnement spirituel dans le monde. C'est la Bible de Tyndale qui a édifié ces millions de croyants en leur communiquant le message divin. Par son moyen, le vœu du martyr de 1536 s'est accompli: "Le jeune garçon qui pousse la charrue connaît mieux l'Ecriture que le pape lui-même..."
Tiré de "L'histoire de la Bible", édition La Maison de la Bible
Sources consultées: F.F. Bruce: "The Book and the Parchments", pp. 212-217. David Lortsch: "L'histoire de la Bible en France", édition de 1910, pp. 368-376.