Dieu - Illusion ou réalité ?

par Francis Schaeffer

Appendice A - L'Eglise des classes moyennes dans la seconde moitié du XXe siècle

Je souhaite que ce livre soit utile et aide les "évangéliques" à devenir plus forts et plus convaincants en cette seconde moitié du XXe siècle.

Pour cela, trois principes doivent être respectés:

  1. maintenir clairement et intégralement les doctrines du christianisme historique ;
  2. à toute question honnête, donner une réponse honnête ; la formule "contentez-vous de croire" n'est pas biblique;
  3. manifester de façon individuelle et collective que Dieu existe aujourd'hui, et montrer ainsi que le christianisme historique est plus qu'une dialectique supérieure ou que le meilleur point d'intégration psychologique.

Deux catégories de personnes sont difficiles à atteindre dans notre société: les intellectuels et les ouvriers. Les membres de nos Eglises appartiennent essentiellement, en effet, à la classe moyenne, et nous devons nous rendre à l'évidence que beaucoup d'enfants de parents chrétiens rejettent leur milieu aussi bien à la maison qu'à l'Eglise locale.

Dans deux domaines dont l'importance va croissant, celui des idées et celui de l'éthique, la plupart des Eglises n'ont pas grand chose à dire aux intellectuels, aux ouvriers ou même, trop souvent, aux jeunes issus de foyers chrétiens.

Dans le cadre de notre travail en Suisse, il nous est fréquemment arrivé de rencontrer des enfants de chrétiens d'origines géographiques différentes, mais tous en pleine confusion. Les réponses qui avaient été faites à leurs questions leur apparaissaient sans lien avec ce qui les préoccupait. Cette observation est valable aussi bien pour les personnes qui viennent nous voir en Suisse que pour celles que nous rencontrons, en voyageant dans le monde occidental, à l'occasion des conférences que nous y donnons.

C'est pourquoi je suis convaincu que si l'Eglise a vraiment le souci de changer de style et d'aller au devant des intellectuels, des ouvriers et des jeunes, elle doit mettre en pratique, avec lucidité et courage, les trois principes énoncés plus haut. A la communauté de l'Abri, dans la mesure où nous avons cherché à agir de la sorte par la grâce de Dieu (même si c'est d'une manière tout à fait imparfaite), nous avons vu l'Evangile atteindre beaucoup d'hommes et de femmes du XXe siècle. Aussi pensons-nous que ces trois principes sont valables partout où l'Eglise a véritablement le désir de parler aux personnes de notre génération.

Ces principes et cette façon de voir ne sont pas réservés à quelques oeuvres chrétiennes spécialisées dans l'accueil international d'intellectuels et d'artistes. Ils sont également utilisables auprès de personnes peu cultivées, comme j'ai pu l'observer avec reconnaissance.

Je suis convaincu aussi que ces principes et cette manière d'envisager les choses seraient bénéfiques à l'intérieur des Eglises de "classes moyennes" et des institutions, si nombreuses dans les milieux "évangéliques". Elles en recevraient, tout d'abord, une nouvelle idée de la richesse qui est en Christ et, autre intérêt, leurs membres seraient moins considérés par ceux de l'extérieur comme des personnes sans culture et passéistes. Enfin, les jeunes "évangéliques" seraient mieux protégés et ne courraient plus Ie risque d'être incompris et, pire encore, de ne pas être pris au sérieux.

Je suis profondément troublé par ce que je découvre dans nos Eglises occidentales, et aussi parmi les chrétiens qui se sont convertis outre-mer. Bien des fois, lors de conférences faites dans des groupements internationaux en Angleterre et ailleurs, j'ai été navré de voir l'état de dénuement dans lequel les anciens élèves des écoles de missions chrétiennes affrontent le monde du XXe siècle.

Il ne faut, certes, pas minimiser l'oeuvre du Saint-Esprit mais, nulle part dans l'Ecriture, celle-ci n'est une excuse à la paresse et au manque d'amour. Or, le Saint-Esprit n'est jamais considéré comme "vieux-jeu".

Attention! Pour comprendre et pour appliquer les principes que nous avons essayé d'exposer, il ne suffit pas d'apprendre par coeur une recette ou une terminologie déterminée; cette façon de faire ne serait qu'une manière de plus de tourner le dos à la vie. Une des joies de notre travail a été de voir de nombreux jeunes et des professeurs plus âgés appliquer cette forme de pensée dans le cadre de leur discipline universitaire et dans les arts, et la mettre en oeuvre dans leur champ personnel d'intérêt.

Quelle que soit notre responsabilité – enseignement, action missionnaire, activité au sein de l'Eglise locale – nous devons éviter deux écueils:

  1. l'acceptation résignée de la situation présente, dont le maintien est dû à l'inertie de personnes qui évoquent souvent le problème de la jeunesse dans l'Eglise et parlent beaucoup de missions, mais qui sont résolument opposées – parce que cela leur serait pénible – à mettre en question leurs habitudes. Or, malheureusement, ce sont justement ces personnes-là qui, dans les milieux "évangéliques", ont le pouvoir de décision tant pour l'organisation des actions que pour l'utilisation des fonds. Leur souci est de "ne pas faire tanguer la barque". Une telle responsabilité ne peut être assumée, cependant, ni par les jeunes eux-mêmes, ni uniquement par les jeunes pasteurs et les jeunes missionnaires. Les chrétiens d'expérience doivent avoir le courage de distinguer, sous la direction du Saint-Esprit, entre l'immuable vérité biblique et des pratiques devenues confortables. Souvent dans les Eglises, on veut s'en tenir au "simple Evangile", sans se préoccuper, en fait, de ce que celui-ci peut signifier pour les personnes de l'extérieur, ou pour les enfants de l'Eglise appelés à vivre dans un monde changeant et complexe.
  2. le snobisme ou l'élitisme intellectuel et culturel, tentation facile à laquelle nous devons nous aider mutuellement à résister. Cette attitude attriste le Saint-Esprit, car elle est plus destructrice que constructive, et plus corrosive que tout autre chose.

Nous commettrons sûrement des erreurs mais, par la grâce de Dieu, efforçons-nous d'éviter l'un ou l'autre de ces deux écueils ou tel autre placé entre les deux.

Après avoir profondément réfléchi et acquis une longue expérience pratique dans plusieurs pays, je suggère que les deux pensées suivantes restent présentes à l'esprit de ceux qui préparent les jeunes à témoigner de leur foi aujourd'hui.

Tout d'abord, ne pas oublier que les membres des Eglises et institutions sont aussi des brebis de Dieu, qui ont tout autant besoin de soins et d'aide que les intellectuels, les artistes et les jeunes. La vocation d'un pasteur qui accepte l'appel d'une Eglise doit s'exercer auprès de tous ses membres, ne serait-ce que par simple honnêteté puisque tous les membres contribuent à payer son salaire. Ceux d'entre eux qui se désintéressent complètement des problèmes nouveaux doivent être nourris et soignés comme les autres. La prédication et l'enseignement dans une Eglise "évangélique" de classe moyenne ne doivent ni jeter le trouble, ni blesser, ou être insuffisamment nourrissants.

Pourtant, il ne faut rien prêcher ou enseigner que des jeunes, ou d'autres, devront désapprendre, ensuite, lorsqu'ils discuteront de problèmes plus sérieux, feront certaines lectures, ou iront à l'université. Tout le matériel utilisé pour le catéchisme, les écoles bibliques, etc. doit être préparé dans cette pensée et en se posant la question: "ce matériel peut-il permettre la poursuite d'une étude sérieuse sans être sujette à démenti pendant une période de dix-huit ans?"

Cela implique un plus grand soin dans la préparation des sermons, du matériel catéchétique, des plans d'études bibliques, etc. Tout le monde n'est pas également préparé pour ce travail, mais chacun y gagnerait si les Facultés de Théologie, les Instituts bibliques, les maisons où l'on forme les missionnaires et les éditeurs veillaient à éviter les vieilles erreurs et les vieilles omissions, et comptaient dans leurs effectifs des personnes entraînées à penser en termes d'apologétique culturelle globale. Un programme pourrait être préparé de façon à être utilisable au bout d'un certain laps de temps: trois ans, par exemple.

Deuxième recommandation: il faudrait prévoir des moments particuliers dans la vie de l'Eglise, dans les oeuvres ou dans la Mission, au cours desquels les personnes qui ont à faire face aux problèmes du XXe siècle, ou qui vont avoir à le faire, puissent trouver ce dont elles ont besoin: entretiens, débats, séminaires... Des participants extérieurs à l'Eglise pourraient être invités à ces rencontres qui n'ont pas besoin de rassembler une foule de gens, ni de faire l'objet de publicité. La marche en avant souhaitée ne doit pas être purement intellectuelle; en effet, si l'on approfondit les questions intellectuelles, on aborde les réalités et les graves problèmes spirituels, exactement de la même manière que lorsqu'on approfondit les questions spirituelles, on en vient aux réalités et aux problèmes intellectuels.

Les hommes et les femmes formés de cette manière seront alors capables, s'ils vont à l'étranger ou dans des milieux qui ne leur sont pas familiers, de comprendre les problèmes contemporains auxquels les personnes qu'ils rencontrent ont à faire face.

Un cours d'homilétique ou d'apologétique qui ne mettrait pas effectivement en oeuvre ces deux suggestions ne serait rien d'autre, à notre époque, qu'un lamentable échec.

Les congrès chrétiens, etc. devraient faire une place à l'étude plus approfondie et plus large de ces considérations. Les responsables de programmes à la radio pourraient trouver au moins un petit moment pour parler de ceux qui, en beaucoup d'endroits, forment la majorité de la population.

Tout le monde serait ainsi nourri et, si l'on adoptait cette méthode sans précipitation, en insistant sur la croissance spirituelle et sur l'amour autant que sur la compréhension, il n'y aurait, dans la plupart des cas, ni deux "Eglises" sous un même toit, ni "explosion". Mais quelques étincelles sont moins à craindre que l'abandon à eux-mêmes de ceux du dehors, et la suffocation par la poussière des jeunes désireux de recevoir, dans l'Eglise, de véritables réponses.