bible-ouverte - accueil ligne

 

La fille du roi de la mer
Chapitre 15: RETOUR AU PAYS DES VIKINGS

Debout à l'avant du bateau, Thierry regardait le soleil se lever sur la terre des Vikings. Son rêve était enfin réalisé : après un séjour de quelques mois à Hambourg, au siège de la mission, où ils avaient été fort bien reçus, Eric et lui avaient pu se joindre à un petit groupe de missionnaires qui se rendaient à Ribe, grand port danois où Anschaire avait fondé, cinquante ans auparavant, la seconde église du Danemark.
(Note: La première église avait été fondée à Slesvig en 850.)

De là, les missionnaires s'étaient dispersés, par groupes de deux ou trois, pour évangéliser le Nord du pays. Eric et Thierry, avec deux missionnaires, avaient pris passage à bord d'un petit voilier qui faisait le cabotage le long de la côte et qui devait les déposer près du village dont Knut était le chef. A mesure qu'on approchait du but, l'impatience des deux garçons grandissait.

– Ce bateau se traîne comme une limace! bougonna Eric. Ah! si j'avais un drakkar!
(Note: Les drakkars, bateaux de guerre, étaient extrêmement rapides.)

Au fond de son cœur, une sourde inquiétude, qu'il n'osait avouer, se mêlait à la joie du retour. Comment les choses s'étaient-elles passées pour Helga durant sa longue absence? Comment Ingrid avait-elle traité la jeune épouse chrétienne de son fils? Helga le croyait mort, peut-être... Et si elle s'était remariée? Ou si le prêtre de Wotan, par quelque manœuvre sournoise, avait tenté de se débarrasser de cette chrétienne gênante?

Enfin le bateau entra dans la baie au fond de laquelle s'élevait le village natal d'Eric. Des enfants, qui avaient aperçu le bateau de loin, accoururent. Eric reconnut parmi eux deux de ses jeunes frères et, mettant Ses mains en porte-voix, il les héla:
– Harold! Nils!

Les deux garçons, stupéfaits, fixèrent un moment la silhouette qui se dressait à l'avant du bateau. Un rugissement leur échappa:
Eric!

Harold se jeta dans la mer pour rejoindre plus vite son frère miraculeusement retrouvé, Eric, lui, sauta par-dessus le bordage et, dans l'eau jusqu'à mi-corps, s'élança vers Harold, les bras ouverts. Les deux frères s'étreignirent sauvagement, tandis que Nils filait comme un trait vers la maison de Knut pour avertir toute la famille. Il revint escorté de Knut, d'Ingrid, de Kari, des deux filles, des serviteurs, des esclaves et de la moitié du village. Tous bénissaient les dieux à haute voix, et le prêtre de Wotan en personne, alerté par la rumeur publique, apparut sur le rivage. La foule grossissait de minute en minute. Eric, entouré, assailli de questions, avait l'allure d'un triomphateur. Mais le visage de Knut s'assombrit soudain quand le chef reconnut Thierry qui débarquait a son tour.

– Pourquoi avoir amené avec toi ce chrétien de malheur? gronda-t-il. Olaf a juré de l'écorcher vif et de le faire rôtir à petit feu s'il lui tombait entre les mains! Eric appuya sa main sur l'épaule de Thierry.

– Thierry de Hauterive est mon frère! dit-il à haute voix. C'est grâce à lui que je suis vivant et libre, et que j'ai pu regagner mon pays! Personne ne touchera un cheveu de sa tête!

Il y eut un murmure parmi la foule et des regards se tournèrent vers le prêtre de Wotan.

Cependant Eric commençait à s'inquiéter de ne pas voir Helga. Il posa la question qui lui brûlait les lèvres:
– Où est Helga?

Un silence de mort tomba.

Eric, saisi d'un sinistre pressentiment, s'écria:
– Où est-elle? Qu'est-ce que vous me cachez? Est-ce qu'elle est morte?

Knut, gêné, détourna le regard. Ce fut Ingrid qui répondit:
– Ne parle pas de cette maudite! Elle a attiré sur nous la colère des dieux! C'est à cause d'elle que trois de nos drakkars ont été détruits et que nos guerriers ont été vaincus! cria-t-elle.

– Où est Helga? gronda Eric. Qui l'a tuée?

Ses yeux lançaient des éclairs. Ingrid regarda son fils avec effroi. Eric n'était plus l'adolescent qui était parti un matin de printemps, deux ans auparavant. C'était un grand gaillard à l'air mâle et résolu qu'elle avait maintenant devant elle. Mais Ingrid était une femme hardie. Elle ne voulut pas laisser voir que son fils lui faisait peur. Elle releva la tête d'un air de défi.

– Helga a été chassée dans la forêt à coups de pierres sur l'ordre du prêtre de Wotan, cria-t-elle.

Un rugissement de fauve blessé échappa à Eric. Il tira son épée et fonça dans la direction du prêtre de Wotan. Son visage était effrayant.

– Prêtre de l'enfer! cria-t-il en brandissant son épée. Ton crime sera châtié! Tes faux dieux ne te protégeront pas de la mort!

Les gens s'écartèrent précipitamment devant Eric, et le prêtre de Wotan, le visage gris comme la cendre, s'enfuit à toutes jambes. Eric se lança à sa poursuite.

– Arrête, Eric, arrête! criait Thierry désespérément, en courant derrière son ami. Ne le tue pas! Mais Eric, transporté par la fureur, n'écoutait rien. Le prêtre, hors d'haleine, se réfugia dans le temple de Wotan dont il ferma et barricada la porte derrière lui. Sans perdre un instant, Eric entra dans la maison la plus proche, y prit une hache et revint s'attaquer à la porte du temple. La porte était en bois, comme tout l'édifice.

– Arrête, fils insensé! gronda Knut. Tu vas attirer sur nous tous la colère des dieux!
– Sacrilège! sacrilège! hurlait la foule. Eric se retourna, la hache brandie. Il était terrible et magnifique dans son courroux. – Ecoutez bien! cria-t-il d'une voix vibrante. Je suis chrétien comme Helga! Comme Helga que vous avez chassée à coups de pierres pour qu'elle meure de faim dans la forêt ou qu'elle soit déchirée par les bêtes féroces! Je vous pardonne votre crime. Mais l'instigateur de ce crime, le prêtre de Wotan, mourra de ma main!

Il se fit un grand silence. Impressionnés par l'attitude énergique d'Eric et par ses paroles, les païens se turent. Mais Thierry ne se tint pas pour battu.

– Eric, arrête, au nom du Christ! s'écria-t-il en saisissant le bras de son ami.

Eric lutta pour se dégager:
– Laisse-moi! Je veux venger Helga !
– Tu ne dois pas la venger. Si tu es chrétien, tu dois pardonner, comme le Christ, sur la croix, a pardonné à ses bourreaux!

Eric baissa la tête, vaincu. Il revit la comtesse de Hauterive lui disant:
– Je pardonne à ton père, au nom du Christ.
Didier, lui aussi, avait pardonné.
Eric sentait. qu'il était incapable, lui, de pardonner. C'était au dessus de ses forces. Du moins pouvait-il, pour obéir à Christ, renoncer à sa vengeance. Il jeta la hache loin de lui.
– C'est bien, dit-il enfin, je ne le tuerai pas. Mais je jure que j'abattrai son temple et que je détruirai ses idoles maudites!

 


blue care wAccueil
  Liens
  Plan du site        
  Contact
tampon 5x5 gris