Jeannot pendant la guerre - Le gros rat

On pense parfois qu'être missionnaire, c'est aller très loin pour parler de Dieu aux païens. C'est aussi cela, bien sûr. Mais des païens, on en trouve partout, aussi chez nous!

Ne pouvant pas retourner vers les bagnards de la lointaine Guyane, Jean sera missionnaire sur place. D'ailleurs, entre-temps, après le rapport détaillé de quelques journalistes, et les courageuses démarches de l'Armée du Salut, le gouvernement français a pris une très importante décision: le bagne a été supprimé. Alors des pénitenciers se sont ouverts en France. Le Lamartinière a cessé d'être le bateau-prison qui amenait continuellement en Guyane de nouveaux condamnés. Le service de rapatriement commençait à fonctionner quand la guerre a tout interrompu.

Mais en France, les premiers arrivés ont vite senti de la méfiance et même du mépris. Après tout, ne sont-ils pas d'anciens bagnards? Tout le monde était bien d'accord de mettre fin au scandale de la Guyane, mais maintenant, qui veut donner du travail à ceux qui sont rentrés? Il faut des gens qui se soucient de leur sort et qui les aident. Pour sa part, le père de Jeannot en retrouve plusieurs.

A présent, on a besoin du missionnaire à Saint-Etienne. Il serait plus agréable de rester dans les Cévennes où le danger des bombes est tout de même moins grand. Mais puisque c'est pour servir Dieu, toute la famille déménage. Les usines de Saint-Etienne travaillent dur, surtout celles qui fabriquent des armes. On peut donc redouter des bombardements! Mais un autre problème préoccupe aussi les parents de Jeannot. Que mettre sur la table, quand tout est si rare? Il s'agit de faire durer le maigre contenu de l'armoire. Souvent, hélas! on est au bout du repas avant que la faim soit satisfaite!

Un matin, Lydie fait une découverte à la cave. Les souris ont passé par là : plusieurs pommes de terre sont rongées. Vite, on installe une grosse trappe amorcée par une couenne de lard. Faudra-t-il beaucoup de temps pour attraper la petite gourmande?

Dans l'après-midi, Jean descend tout doucement à la cave. Il est bien curieux de savoir si le piège a déjà fonctionné. Les pommes de terre sont là, dans la pénombre, mais... Oh ! que voit-il? Est-ce possible ? Un immense rat, tout près de la trappe! Bien trop gros pour pouvoir y entrer, d'une patte il essaie d'atteindre le lard. A-t-il flairé la présence de quelqu'un? Sûrement, puisqu'il ne bouge plus!

Va-t-il déguerpir? Mais où trouvera-t-il une issue si un homme lui barre le passage? Ne pouvant échapper, que fait-il? Il se met à... parler!
– Tu comprends, papa! J'avais faim, moi! Alors j'ai pensé à cette couenne de lard. Et je me suis dit que... je pouvais bien la voler à une souris.

Le gros "rat" n'était autre qu'un Jeannot désamorçant la trappe pour apaiser sa faim. Avant même d'avoir pris, il s'était fait prendre. Mais il n'a pas été grondé. Au contraire. Ce jour-là, notre petit ami a pu profiter d'un repas supplémentaire, sa maman ayant puisé dans les provisions du lendemain!

Ne mettons cependant pas tout sur le compte de Jeannot. C'était bel et bien un vrai rat qui avait goûté aux pommes de terre à la cave. Il fut d'ailleurs pris dans la trappe deux jours plus tard!

Texte: Samuel Grandjean