Toute seule pour le voyage?

Genovieva 33e épisode

Le train de nuit qui part vers Bucarest s'ébranle. Tous les mouchoirs s'agitent.
– La revedere! la revedere! (au revoir! au revoir!) crient en choeur tous ceux qui restent sur le quai.
Des fenêtres du wagon, on répond par de grands gestes, longtemps, longtemps...

Le train vient de disparaître dans la nuit. Ce mercredi 19 mars, jamais Genovieva ne pourra l'oublier. Dans sa vie, une page importante se tourne. Demain à l'aube, Genovieva sera à Bucarest. Et vendredi matin, elle s'envolera pour Rome. Au-dessus d'elle: une valise. Dans sa poche un passeport avec la fameuse date, dernière limite pour quitter le pays. Dans son coeur: ce qu'on peut ressentir quand on part vers l'inconnu. Un jour, reverra-t-elle sa ville? Retrouvera-t-elle les êtres qui lui sont si chers? Personne ne peut le dire. Elle sait une chose: elle quitte sa chère Roumanie parce qu'elle ne peut plus continuer d'y vivre.

 

La journée de demain sera bien remplie. A Bucarest Genovieva devra prendre contact avec l'ambassade américaine, puis passer à l'agence pour confirmer sa réservation dans l'avion. Ensuite, elle verra plusieurs amis. Mais ce soir... la voilà dans le train.
Seule? Non, heureusement pas! Son Dieu est tout près d'elle. Notre amie le sait. Jamais il n'abandonne ceux qui lui appartiennent. Il l'a promis. Et dans sa Bible, Genovieva a souligné ce verset du chapitre 54 d'Esaïe: "Quand les montagnes s'éloigneraient, mon amour ne s'é1oignera pas de toi, et mon alliance de paix ne chancellera pas, dit l'Eternel qui a compassion de toi."
Elles s'éloignent à présent, les montagnes de la belle Moldavie. Mais Dieu tient sa promesse. Il a même permis que notre voyageuse soit très bien entourée. Partout dans ce wagon, elle voit des visages connus: ceux de sa chère famille, mais tant d'autres aussi. Cent-vingt personnes ont décidé de prendre le même train pour être avec elle dans la capitale jusqu'à l'heure de l'envol.
– Mais où logerez-vous tous, la nuit prochaine? s'est souciée Genovieva.
– Ne t'inquiète pas pour nous! ont répondu ses amis. Nous nous débrouillerons. Mais nous serons avec toi jusqu'au dernier moment!

Ce vendredi matin, la pluie fine et froide donne à Bucarest un air plutôt triste. Mais ils sont à l'aéroport, fidèles au rendez-vous, tous regroupés dans le hall des départs internationaux.
Deux heures avant l'envol, les passagers doivent être sur place. Il faut enregistrer les bagages et réserver sa place.
– Qui sont donc tous ces gens? questionne un policier en se tournant vers Genovieva. Avez-vous une pièce d'identité?
– Voici mon passeport! Ce sont tous des amis qui ont tenu à me saluer avant mon départ.
– Attendez un moment! L'agent s'approche d'un collègue:
– Pour avoir une pareille escorte, cette voyageuse doit être une personnalité. De qui s'agit-il?
– Téléphone à la Securitate. Ils pourront sûrement nous renseigner! Soudain, le policier revient vers Genovieva.
– Veuillez m'accompagner! Elle suit donc cet agent, persuadée qu'elle va retrouver le groupe dans quelques minutes. On la fait passer par un guichet. On tamponne son passeport. Mais ensuite, plus moyen de revenir en arrière! La voilà dans une salle d'attente... toute seule, deux heures avant le départ, si près de ses amis, mais dans l'impossibilité de les revoir! Puis on la fait monter dans l'avion. Longtemps, longtemps, elle restera seule parmi tous ces sièges vides...

Texte: Samuel Grandjean